Tous les extrémistes de droite, tous les néo-droitiers, tous les adeptes de la droite dure ont en commun ce même mode de raisonnement qui leur permet de faire passer les bourreaux pour les victimes et les victimes pour les bourreaux. Maîtres d’une dialectique, volontairement privée de son caractère émancipatoire, ils font preuve d’un esprit révisionniste bien plus dangereux que ne le sont toutes les formes de négationnisme historique. Ni extrémiste de droite, ni négationniste de l’histoire, Christoph Blocher a démontré ces derniers jours qu’il est un parfait révisionniste. En accusant l’Union européenne d’avoir rompu le contrat qui la liait à la Suisse, il vient, ni plus ni moins, de marteler une contre-vérité que chaque observateur politique est en mesure de balayer d’un seul revers de main. Faut-il lui rappeler que c’est la Suisse et non l’UE qui, le 9 février 2014, a remis en cause le principe fondamental de la libre circulation des personnes, dont l’UDC et ses amis ne veulent désormais plus entendre parler.
Mais sachant que plus la ficelle est grosse, mieux elle passe, Christoph Blocher ne se prive pas de multiplier les provocations orales et de formuler des allégations mensongères qui, plus que jamais, méritent d’être dénoncées comme il se doit. Lorsqu’il affirme que les bilatérales « sont en première ligne dans l’intérêt de l’Union européenne » (sic !), il utilise à la perfection une arme que tous les démagogues aiment à manier avec délectation, à savoir l’amnésie historique.
Christoph Blocher aura en effet bien du mal à prouver le contraire. Après ce triste « dimanche noir » du 6 décembre 1992, la Suisse fut bel et bien le pays de l’OCDE ayant connu la plus faible croissance durant la décennie des années 90. Contraints de réagir, le Conseil fédéral et le patronat helvétique engageaient alors des pourparlers avec l’UE pour signer le 21 juin 1999 les premiers accords bilatéraux. Bouée de sauvetage économique et politique accordée par l’Union européenne à la Confédération, ces mêmes accords ont alors permis à la Suisse de remonter une pente sur laquelle elle s’était laissé glisser par la propre faute des électeurs influencés par la verve simpliste mais efficace du milliardaire zurichois.
Toujours fidèle à son révisionnisme politique, Christoph Blocher vient « d’en remettre une couche ». Se référant à l’article 14, alinéa 2 des dispositions de base de l’accord de 1999, signé par la Confédération et l’Union européenne sur la libre circulation des personnes, il invoque désormais qu’« en cas de difficultés sérieuses d'ordre économique ou social, [un] comité mixte se réunit, à la demande d'une des parties contractantes, afin d'examiner les mesures appropriées pour remédier à la situation ». Il omet toutefois d’ajouter que selon ce même article « ces mesures sont limitées, dans leur champ d'application et leur durée, à ce qui est strictement indispensable pour remédier à la situation », alors que la remise de la libre circulation des personnes par la Suisse a un caractère constitutionnel et par conséquent non limité dans le temps. Ici, Christoph Blocher franchit un cap que les vingt-huit pays membres de l’Union européenne ne sont plus du tout en mesure d’accepter.
La Suisse donnerait une image déplorable d’elle-même si elle s’aventurait à renégocier à Bruxelles les traités la liant à l’Union européenne. Avec pour seul argument ses propres «difficultés sérieuses d’ordre économique et social », elle perdrait immédiatement toute forme de crédibilité. Si tel était le cas, on peut d’ores et déjà, deviner la mine ébahie de ses interlocuteurs européens qui, chacun dans leur pays respectif, sont confrontés à des problèmes économiques et sociaux bien plus graves que ceux que l’on trouve dans nos 26 cantons. Personnage raillé d’un incroyable vaudeville politique et acteur principal du plus ridicule des ballets diplomatiques, le Conseil fédéral serait alors obligé de faire machine arrière et de revenir à grandes enjambées de ce faux-pas aux conséquences internationales incommensurables.
Que la Suisse se préserve enfin des mauvais conseils que lui prodigue sans cesse Christoph Blocher. Il y a plus de 35 ans, les salles de cinéma projetaient un film de légende intitulé « Faiseurs de Suisses ». Que l’on nous évite désormais de produire un nouveau long métrage au titre malheureusement évocateur de « Casseurs de la Suisse ». Inéluctablement, le premier rôle y serait incarné par Christoph Blocher lui-même.
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