Politique européenne

A Francfort, le changement c’est maintenant!

Laissons aux experts financiers et bancaires le soin d’évaluer la pertinence économique de la décision de la Banque centrale européenne d’instaurer pour les banques des taux de dépôt négatifs et de baisser son taux directeur à 0,15%. Plus qu’un message monétaire, c’est bel et bien un signal politique qu’ont émis en ce 5 juin 2014 les dirigeants de la BCE. Alors qu’en paraphrasant le slogan électoral de François Hollande, le quotidien économique français «La Tribune» se plaignait qu’à «Bruxelles, le changement, ce n’est pas pour maintenant», les gardiens de l’euro ont fait un croche-patte à la Commission européenne. En lui tenant à peu près ce langage, ils lui ont bien fait comprendre que Francfort allait remettre les pendules européennes à l’heure.

Situation pour le moins paradoxale, c’est la BCE et non l’exécutif européen qui a pris en main un tournant politique qui s’impose. A l’opposé d’une «commission Barroso» qui décidemment jusqu’au bout n’a été que très rarement au rendez-vous de l’histoire, la Banque centrale européenne a tiré la sonnette d’alarme, avant qu’il ne soit trop tard. Mesurant les dangers d’une dérive déflationniste, dotée d’un sens historique et d’une analyse macroéconomique du ‘temps long’, elle est la première institution européenne à avoir compris le message que venaient d’adresser les électeurs lors des européennes du 25 mai dernier. En phase avec des millions de citoyens communautaires, qui ne supportent plus les politiques d’austérité, elle préfère la croissance à la défiance.

Nul ne peut encore évaluer les conséquences d’une telle décision. Peut-être seront-elles moins efficaces que ne l’espèrent les membres du directoire de la BCE? Peut-être ne s’agit-il là que d’un coup de semonce sans lendemain, voire que d’une vaine tentative pour sortir des sentiers battus dans lesquels l’Union européenne s’est engagée depuis la crise boursière et monétaire de ces dernières années? C’est du moins ce qu’espèrent les tenants de cette orthodoxie financière pour qui l’austérité demeure encore la seule potion à administrer à des malades européens qui pourtant, de moins en moins, croient en leur propre guérison.

D’ailleurs ne fallait-il pas s’étonner des réactions contradictoires qui ont immédiatement suivi le geste de la BEC du 5 juin dernier? Alors que la France, par la voix de son Président et de ses ministres, saluaient, tel Manuel Valls, «des décisions très importantes pour notre économie, celle de l'Union européenne, [et] évidemment celle de la France», les autorités de Berlin se montraient beaucoup moins enthousiastes. Sans parler de la presse d’outre-Rhin, qui, à l’image des journaux conservateurs, tels que la «Bild-Zeitung» ou «Die Welt», tirait à boulets rouges contre des mesures, dont les épargnants allemands seraient les premières et principales victimes.

Nouveau paradoxe européen, voilà que l’Allemagne, qui n’avait accepté l’instauration de la monnaie unique qu’au prix du strict respect de l’indépendance de la Banque centrale européenne, se trouve dorénavant prise au piège de son propre jeu. Le Président de la BEC, Mario Draghi, ne manque d’ailleurs pas de rappeler aux gouvernements de la zone euro qu’il a agi dans le cadre légal que lui imposent les traités signés par les États communautaires. Que l’on suive ou non son argumentation, le premier argentier européen assume désormais un choix politique qui dépasse de loin un ajustement technique des taux d’intérêt. En accord avec le directoire de la BCE, il a opéré une véritable inversion de tendance qui, si elle devait réussir, signifierait, ni plus ni moins, la fin d’une pensée unique européenne qui est arrivée au bout de sa logique. En ce sens, le 5 juin restera peut-être comme le D-Day, le «Draghi-Day», où la BCE a amorcé un virage politique de l’histoire économique de la construction européenne. Car pour elle, le changement, c’est maintenant !

    

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