Politique étrangère: assez des apprentis sorciers

Viola Amherd se tire une balle dans le pied

Avouons que la scène est étonnante! Notre ministre de la défense, des sports et de la protection de la population vient de commettre ce que l’on ne souhaite à aucune recrue: un accident de tir. Au lieu d’exécuter un élémentaire retrait des cartouches, elle a laissé une balle dans le barillet qu’elle s’est tiré dans le pied!

Comment interpréter autrement sa récente décision de mettre à pied le Chef du Service de renseignement de la Confédération, Jean-Philippe Gaudin? Ce dernier avait ramené de la sérénité dans un service qui, sous son prédécesseur, était allé de remous en turbulences. Faut-il rappeler l’affaire Crypto AG ou celle du collaborateur qui, des semaines durant, avait exporté dans son sac à dos une partie des secrets les mieux gardés ou, encore, cet espion mandaté pour s’attaquer illégalement aux services fiscaux de certains Länder allemands? Ce prédécesseur avait d’ailleurs toujours réussi à retomber sur ses pattes. A tel point qu’il mérite incontestablement son surnom de “Chef Téflon” sur lequel rien n’attache! Il continue de couler des jours tranquilles comme Secrétaire général du Département des affaires étrangères. Le départ de Jean-Philippe Gaudin pourrait d’ailleurs laisser penser que le meilleur moyen de se faire remercier est de bien faire son travail!

Aussi la surprise ne fut-elle que plus grande d’apprendre sa mise à pied ! Qu’avait-il fait de grave pour justifier un tel traitement? Avait-il trahi son pays? N’avait-il pas été fidèle à ses engagements contractuels ? Que nenni! Sa mise à la porte n’est la conséquence d’aucun manquement. On les aurait communiqués sinon. Le communiqué de presse du Département est succinct, trop succinct. On comprend entre les lignes que la ministre a tenté en vain d’obtenir de son Chef du Service de renseignement une démission, un départ volontaire. Ne l’ayant pas obtenue, elle n’en a pas moins poursuivi son plan. Quel était-il? Se débarrasser d’un haut fonctionnaire exemplaire, apprécié à la fois de ses collaborateurs et du Conseil fédéral, mais dont la bouille et le style ne semblaient pas lui revenir. Cela s’appelle la volonté du prince, de la princesse en l’occurrence. Le problème, dans une démocratie qui fonctionne comme la nôtre, c’est que l’arbitraire ne saurait être une méthode de gouvernement.

Viola Amherd a aussi oublié que le Chef du Service de renseignement est bien plus qu’un simple collaborateur corvéable à merci  mais le Chef du Service de renseignement de la Confédération. Nommé par le Conseil fédéral, son mandat ne pouvait lui être ôté que par ce même Conseil fédéral. Selon des sources confidentielles concordantes, la plupart des collègues de la ministre de la défense ont été choqués par la nouvelle et ont envisagé la possibilité de s’y opposer. Au final, qu’ils n’aient pas décidé majoritairement de délocaliser temporairement le Service de renseignent dans un autre département ou de tout simplement s’opposer à la proposition de décision de leur collègue n’atteste que d’une chose: l’inertie d’un système dans lequel la règle est que chaque Chef/fe de département fait ce qu’il/elle veut dans son pré carré. M. Gaudin n’est pas le Chef des sports ou de la protection de la population mais le responsable de notre première ligne de sécurité. Cela explique que son départ ne pouvait se passer comme chat sur braise, même si c’est en définitive ce qu’il s’est passé.

Le défi, considérable en soi, de trouver un successeur à Jean-Philippe Gaudin n’est peut-être pas le plus grand qui attend Viola Amherd. Après un parcours que beaucoup d’observateurs estimaient sans faute, peut-être a-t-elle commis sa première. La victoire à la raclette pour les avions de combat lui aurait-t-elle donné trop d’ailes? Ses choix à venir seront scrutés avec attention. Elle se sentira observée, ce qui ne renforcera pas forcément la sérénité des processus. L’impression qu’il n’y a pas de plan B pour la succession de Gaudin, qu’il s’agissait surtout de mettre dehors, corroborée par des initiés, ne rassure pas. Les semaines à venir apporteront des réponses. Notre sécurité n’aura qu’à attendre …

Viola Amherd devra aussi réparer une image désormais écornée de femme d’Etat raisonnable, sereine et incapable de céder aux caprices. Depuis son élection elle avait réussi à se façonner une aura de “Mutti”, toutes proportions gardées à la Angela Merkel! Mais une vraie “Mutti” ne devrait pas faire ça, renvoyer pour des raisons de convenance personnelle un haut fonctionnaire méritant. Ce défit-là risque d’être plus difficile à relever!

 

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