Politique étrangère: assez des apprentis sorciers

La Suisse menacée d’insignifiance?

L’échec de Philipp Hildebrand dans sa quête de la fonction de Secrétaire Général de l’OCDE et les enseignements qu’il en tire dans la dernière livraison de la NZZamSonntag devraient retentir  comme une alarme aux oreilles des Suisses somnolents et repliés sur eux-mêmes, comme un peuple de marmottes refusant de quitter leur hibernation. “Les peuples heureux n’ont pas d’histoire”, “pour vivre heureux vivons cachés”, “small is beautiful” voilà des expressions proverbiales qui rassembleraient sans doute derrière elles une majorité de Suisses!

Nos beaux yeux ne suffisent plus! Philipp Hildebrand l’a appris à ses dépens. Au-delà de son profil de banquier privé, qui a pu aussi jouer un rôle dans son échec, il propose un diagnostic qui a le mérite de la clarté: l’époque où la Suisse nageait dans un océan de bonne volonté grâce à ses bons offices est révolue. C’est aujourd’hui l’existence ou l’absence d’instruments d’influence qui détermine la réussite ou l’échec dans un monde devenu de plus en plus complexe avec l’émergence de nouveaux acteurs. Or, des instruments d’influence nous n’en avons plus guère. Comment en sommes-nous arrivés là?

Pendant l’essentiel du XXème siècle la neutralité et les bons offices ont en effet servi de concept global dans nos relations avec le monde. La Suisse était neutre donc utile. Depuis la fin de la guerre froide les choses ont bien changé. La neutralité a perdu sa valeur ajoutée et de nombreux autres pays ont repris à leur compte le rôle dévolu jusqu’alors quasi exclusivement à la Suisse. En même temps que notre richesse relative se maintenait voire augmentait, notre influence diminuait dramatiquement. Le résultat de ce croisement des courbes fut évident: suscitant des jalousies nous étions devenus une cible. La crise des avoirs en déshérence aurait dû nous ôter nos dernières illusion sur la nouvelle nature des relations internationales. Ne pouvant plus bénéficier de la sanctuarisation que notre neutralité nous avait assurée, nous aurions dû nous doter d’une nouvelle stratégie globale dans laquelle inscrire la défense de nos intérêts. Il n’y en avait qu’une: l’Union européenne. Pas forcément l’intégration, quoique qu’elle aurait résolu d’un coup l’essentiel de nos problèmes d’influence, mais l’établissement avec elle de liens institutionnels solides. On sait ce qu’il en est advenu.

Alors que Philipp Hildebrand souligne la nécessité existentielle pour nous de savoir comment nous défendrons encore nos intérêts en 2040, il est légitime de chercher des éléments de réponses auprès du DFAE, qui doit ou devrait être en pointe dans l’élaboration de stratégies d’avenir. Quel diagnostic pose-t-il, quelles visions envisage-t-il à cet horizon, quels objectifs a-t-il pour la Suisse? Quelles stratégies propose-t-il pour les atteindre? Paradoxalement, alors que notre ministère des affaires étrangères croule sous les visions et les stratégies en tout genre, on a rarement eu autant l’impression qu’il reste hors-sol, sans prise sur la réalité.

La situation du DFAE n’est pas simple: alors qu’il devrait répéter sans relâche l’importance de consolider nos relations institutionnelles dans notre matrice naturelle, l’Europe, on sent sa frilosité européenne qui l’amène à se multiplier dans des opérations de diversion qui ont peu ou prou à faire avec une vraie stratégie de défense de nos intérêts. Avoir une stratégie pour l’Afrique subsaharienne, pour la région MENA, l’Asie, l’Amérique du Sud, voire la lune ou Mars, est bel et bon, mais cela remplace-t-il l’essentiel qui reste la consolidation de nos relations avec l’UE ? Nous devons en effet devenir des Européens faute de quoi nous continuerons notre périple solitaire qui nous conduira nulle part!

L’échec de Philipp Hildebrand n’est pas le seul qui souligne notre perte d’influence. Récemment, dans un domaine qui fait partie du cœur de la diplomatie, la Suisse n’a pas été capable de faire renommer notre excellent candidat, Thomas Greminger, au poste de Secrétaire général de l’OSCE. Toutes les nominations récentes à des fonctions importantes dans le cadre des Nations Unies, dont la Suisse peut être fière, comme celle de notre compatriote, Christine Schraner Burgener, comme Envoyée spéciale pour le Myanmar, ou Mirko Manzoni, comme Envoyé personnel du SG des Nations Unies pour le Mozambique, l’ont été sans aucune intervention du DFAE ou de la Suisse officielle qui les ont apprises après coup.

Philipp Hildebrand, qui n’ignore rien des difficultés de notre politique européenne et qui ne semble guère se faire d’illusions sur les chances que nous trouvions dans un avenir rapproché une solution satisfaisante, propose que la Suisse s’inspire de l’exemple de Singapour. Nous doter d’un fond souverain pour nous permettre de gagner en influence grâce à une diplomatie financière active est une alternative envisageable.

C’est comme si nous nous trouvions à la croisée des chemins ou que que nous nous en approchions: soit nous clarifions nos relations avec l’UE et nous les pérennisons soit nous nous dotons des énormes moyens financiers qui nous permettraient de devenir le Singapour de l’Europe. Une option par contre pourrait se fermer comme une fenêtre que la tempête claquerait: celle de la navigation à vue avec laquelle nous avons réussi jusqu’ici à optimiser les gains et à réduire les risques. Celle de l’insignifiance symbolisée par la photo de notre ministre des affaires étrangères ci-dessus, qui trône au milieu de la “Swissminiatur” à Melide!

De quoi aurons-nous le courage, de faire un pas politique conséquent en direction de l’UE ou de défaire les cordons de la bourse pour financer notre influence dans une démarche solitaire? Le genre de décisions douloureuses que les Suisses généralement détestent mais sur lesquelles nous ne pourrons pas faire l’impasse. Si l’échec de Philipp Hildebrand aura servi à clarifier nos enjeux d’avenir il n’aura pas été vain.

 

 

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