Politique étrangère: assez des apprentis sorciers

Il est minuit moins cinq Dr. Cassis!

“A vaincre sans péril on triomphe sans gloire”! S’il était le Rodrigue du Cid voilà ce qu’on aurait envie de dire à Ignazio Cassis à la descente de l’avion qui le ramène de son périple africain! J’ai représenté la Suisse dans de nombreux pays africains et Dieu sait que j’aime ce continent et que j’ai été souvent frustré de constater la trop grande indifférence de nos édiles à son égard. Et pourtant je ne suis pas convaincu que le moment ait été bien choisi pour faire un “timeout” sous le soleil alors que, pour rester dans la métaphore tennistique, la Suisse et l’UE sont entrées dans le “money time” de leur Accord-cadre. Sans parler de la pandémie qui empêche au commun des mortels de voyager! Au secrétariat national de son parti à Berne, le PLR, on ne cache pas depuis son élection qu’on est prêt à tout lui pardonner, ses faux pas, ses manques, sa transparence, son absence de bilan à une condition: qu’il délivre cet accord si essentiel pour notre avenir, notamment économique.

On peut s’inquiéter de ne pas le voir en prendre le chemin. Pire, après un trop long silence, ses déclarations récentes laissent entendre qu’il tente de dégager sa responsabilité d’un échec de plus en plus envisageable: l’accord ne serait “pas essentiel”, “dans une négociation on peut réussir mais aussi échouer”, le “Conseil fédéral” a remplacé depuis longtemps le “je” dans ses déclarations comme si cela n’était plus vraiment son affaire! Or, en qualité de Chef de notre diplomatie c’est lui le capitaine qui devrait mener ce combat et pas les chefs négociateurs. Son manque d’engagement fait même douter certains de sa réelle volonté d’aboutir. Après tout, le socle de son électorat parlementaire, l’UDC, ne cesse de lui rappeler qu’il a été élu pour tirer la prise.

Je ne suis pas sûr qu’il n’ait jamais, ne serait-ce qu’une fois, fait le voyage de Bruxelles pour rencontrer ses homologues européens. Comme il ne s’est jamais rendu à Londres depuis son élection, alors que les négociations du Brexit étaient importantes pour la Suisse. Il s’est fait élire sur une promesse de “Reset”, tout en entretenant l’ambiguïté sur le sens de sa formule. Certains craignent aujourd’hui qu’il n’entendait pas vraiment une relance du processus. Sinon comment expliquer qu’il n’ait pas parcouru le pays par monts et par vaux pour défendre son projet et convaincre. De l’eau au moulin de ceux qui disent qu’à la première difficulté Ignazio Cassis disparaît!

Son inertie sur le dossier a permis à sa collègue de  parti, Karin Keller-Sutter, d’en prendre pratiquement le contrôle. Au lieu de se battre, comme disent les hockeyeurs, là où on reçoit des coups devant les buts adverses, il semble se réfugier dans les angles de la patinoire. C’est ainsi que peut être interprétée sa semaine africaine, dont il a pris un plaisir évident à partager les meilleurs moments sous la forme de tweets-cartes postales enthousiastes style colonie de vacances. Le retour aux affaires promet pour lui d’être difficile

Parti après des mois de critiques de toute part, concernant aussi bien sa politique européenne que la gestion de son département, les interviews qu’il a accordés au journal “Le Temps” et à la RTS à son retour inquiètent. “Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes” lui aurait répondu ironiquement Voltaire! En résumé, il ne voit aucune raison de changer quoique ce soit. Si la politique est l’art du possible, elle est aussi l’art d’optimiser en permanence son action et sa méthode. Répondre qu’il ne voit aucune raison de se rendre à Bruxelles ou que sa gestion à l’interne est parfaite, sous prétexte qu’une récente enquête aurait démontré un indice de satisfaction élevé (alors qu’aucune question de l’enquête n’a porté sur les vraies causes des vrais problèmes qui parasitent le DFAE), pose la vraie question qui inquiète: Ignazio Cassis est-il capable de changer?

On ose l’espérer, tant un homme politique devrait avoir un instinct de survie. Le sien devrait lui dire que son avenir au gouvernement dépend de sa capacité de rebondir, s’il ne veut pas perdre sans combattre contre Karin Keller-Sutter dans deux ans et offrir ainsi le deuxième siège du PLR au Conseil fédéral à qui voudra le ramasser.

Après le safari africain d’Ignazio Cassis, la tentation de paraphraser le film de 1952 consacré à un autre  médecin, devenu célèbre sur le continent africain, est irrésistible: s’il “était minuit” pour le docteur Schweitzer, on aimerait dire à Ignazio Cassis que pour lui il est minuit moins cinq! Cela lui donne du temps pour accepter les critiques et corriger, s’il le peut, ce qui ne marche pas depuis son élection.

Un nouveau porte-parole et une nouvelle stratégie de communication ne donneront le change que pour un temps limité. Le moment est enfin venu pour lui de terminer son apprentissage et d’abandonner le rollator sur lequel il s’appuie depuis son élection. Faute de quoi il passera à la trappe et notre politique étrangère avec lui.

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