Politique étrangère: assez des apprentis sorciers

Entre Covid19 et «Cryptoleaks » la Suisse ne doit pas choisir

Il est naturel que les crises sanitaire et  subséquemment économique de l’ampleur de celles que nous traversons depuis mars 2020 mettent tout le reste entre parenthèses. Mais mettre entre parenthèses ne signifie ni effacer ni oublier. C’est peut-être ce qu’ont espéré en mars dernier ceux, encore vivants, qui sont concernés de près ou de loin par le scandale sans précédent révélé par les « Cryptoleaks », qui a tous les ingrédients pour devenir un « Cryptogate » .

Rappelons brièvement les faits. L’affaire a éclaté en février de cette année. La CIA et les services de renseignement allemands (BND) auraient, durant des dizaines d’années, intercepté des milliers de documents via les appareils de chiffrement de l’entreprise Crypto. Grâce à des appareils truqués, la CIA et le BND ont écouté les conversations de plus de 100 Etats étrangers. Les deux services de renseignement ont acheté l’entreprise zougoise à parts égales en 1970, en passant par une fondation du Liechtenstein. Le BND a quitté l’opération en 1993. Mais les Etats-Unis ont prolongé les écoutes jusqu’en 2018 au moins, selon des recherches conjointes de l’émission de la SRF Rundschau, de ZDF et du «Washington Post».

Le monde politique suisse à l’unisson fut tout d’abord atterré par ces révélations. La présidente du PLR a spontanément réclamé une Commission d’enquête parlementaire (CEP). C’est l’instrument le plus fort dont dispose le Parlement et n’a été utilisée que quatre fois dans notre histoire : l’affaire des Mirages, l’affaire des fiches, pour l’armée secrète P-26 et dans le cas de la caisse de prévoyance de la Confédération (Publica). Mais très vite le clivage gauche-droite a repris ses droits. Alors que la gauche restait favorable à une CEP, la droite voulait l’éviter (« pour l’instant ») pour toutes sortes de bonnes et moins bonnes raisons. La solution de compromis fut de confier à la Délégation des commissions de gestion des Chambres fédérales le soin de faire toute la lumière dans cette affaire pour le moins opaque.

C’est au moment où cette commission était sensée débuter ses travaux qu’un nouveau virus venu de l’Est a modifié radicalement tous les agendas publics et privés. Elle ne pourra pas, pour des raisons compréhensibles, remettre ses premières conclusions, comme il était prévu, dès cet été. Si depuis mars personne n’a plus manifesté le moindre intérêt pour cette affaire, il est à souhaiter qu’elle remontera dans notre conscience collective au fur et à mesure que nous retrouverons une certaine normalité. Le procureur général de la Confédération a peut-être aussi compté sur la Covid19 pour que l’oubli efface ses frasques. Fort heureusement il n’en fut rien !  Concernant les Cryptoleaks un certain nombre de protagonistes encore en fonction, qui se sont fait une réputation de Téflon tant fut grande leur capacité à se sortir sans dommage jusqu’ici de tous les traquenards, ont certainement dans leur for intérieur remercié cette divine surprise prenant la forme d’un virus !

Même si nous sommes un peuple bienveillant qui n’aime pas les histoires nous n’avons pas le choix : malgré la Covid19 nous devrons faire toute la lumière sur ce qu’il s’est passé pendant la guerre froide et jusqu’en 2018 à l’insu de beaucoup de Suisses mais probablement en toute connaissance de cause de certains de nos compatriotes qui, en se taisant, ont accepté passivement ou activement de violer nos valeurs pour plaire à certaines Puissances.

De notre Parlement, comme peuple, nous n’attendons rien de plus mais rien de moins que le droit de nous regarder avec fierté dans le miroir de l’histoire !

 

Quitter la version mobile