Politique étrangère: assez des apprentis sorciers

Affaires étrangères suisses: une affaire présidentielle ?

Qui se souvient que notre Constitution adoptée en 1999 (https://www.admin.ch/opc/fr/classified-compilation/19995395/index.html) confie, dans son article 184, chiffre 1, au Conseil fédéral la conduite de la politique étrangère de la Suisse? Plus rares encore sont ceux qui se rappellent que de 1848 à 1914 le «Département politique fédéral» (DPF), appellation du «Département fédéral des affaires étrangères» (DFAE) jusqu’en 1979, était «piloté par le Président de la Confédération», comme le dit joliment aujourd’hui le site du DFAE (https://www.eda.admin.ch/eda/fr/dfae/dfae/histoire-dfae.html). Le même site poursuit que le département ne disposait alors que de «très peu de moyens».

Je vous entends vous interroger sur les raisons de ce rappel historique. «Victimes» de la philosophie des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles, nous assumons que ce qui s’est fait serait forcément moins bien que ce qui se fait ou, à fortiori, se fera. Sinon pourquoi changer? Même si cette foi inébranlable dans un progrès linéaire de l’histoire a été fortement ébranlée par les atrocités commises au XXe siècle et le relativisme ambiant, elle continue à fournir la matrice de notre appréhension du monde et des événements.

Les discussions autour de la réforme du Conseil fédéral sont un peu le serpent de mer des dernières décennies du siècle passé. Si on en a souvent parlé, personne ne l’a jamais vue! Elles étaient motivées essentiellement par la surcharge quasi exponentielle qui pèse sur les épaules de nos ministres, qui ont tous à l’étranger plusieurs interlocuteurs en charge de leurs dossiers! Même s’ils se plaignent tous de leur emploi du temps, le moment venu, rares sont celles et ceux prêts à renoncer à une partie de leurs prérogatives. Elles/ils ont beau être ministres, elles/ils n’en demeurent pas moins des êtres humains! Un seul Chef de Département rencontre, lorsqu’il se déplace ou reçoit à Berne, un seul interlocuteur institutionnel: le ministre des affaires étrangères. Vous allez me dire qu’il en va de même pour la ministre de la défense. Non, car la Protection de la population et les Sports sont aussi de sa compétence! Qu’on le prenne comme on veut, notre Sudoku gouvernemental aboutit toujours à la même conclusion: notre ministre des affaires étrangères est celui, et de loin, qui a le plus de temps à disposition pour peaufiner sa copie! Celui qui a priori aurait le moins d’excuses de ne pas être à la hauteur…

Or, depuis 2017, un phénomène récurrent ne cesse d’interpeller: la Suisse n’a existé et n’existe dans le monde quasiment que grâce à un Président, Alain Berset en 2018, et une Présidente, Simonetta Sommaruga en 2020. Même si la Covid19 ne lui a pas facilité la tâche, sa récente visite d’Etat en Ukraine a montré toute l’étendue de ses qualités de femme d’Etat. Le fait que ces deux magistrats soient socialistes ne peut être la raison de leur succès. Avant eux, Doris Leuthard en 2017 avait aussi fait une excellente figure. Comme contre-exemple, vous allez me présenter Ueli Maurer en 2019 (qui s’en souvient?). Ueli Maurer est Ueli Maurer et reste plutôt l’exception que la règle dans sa manière d’être président. Il a été reçu par Trump à la Maison blanche, même si cela ne saurait constituer un diplôme d’honorabilité! En 2021, Guy Parmelin aura l’occasion de démontrer si un représentant de l’UDC peut s’inscrire dans la grande tradition de nos présidentes et présidents ou s’il est condamné à jouer le petit bras souverainiste pour ne pas contrarier sa base électorale!

Si plus grand monde ne parle encore de notre actuel ministre des affaires étrangères, ce n’est pas parce qu’il n’est pas président. Il est largement responsable de ce qui lui arrive. Inutile en effet de revenir sur ses faux pas, son absence de substance et sa difficulté quasi rédhibitoire à s’entourer d’une «garde rapprochée diplomatique» (mises à part pour les questions européennes) à la fois à la hauteur des vrais défis de politique étrangère et capable de le protéger efficacement. Entré en confinement avant la crise sanitaire, il y est resté. Ce vide à la tête du DFAE, plutôt rare dans notre histoire récente, constitue en revanche une belle opportunité pour nos présidents et présidentes qui, généralement, ne se font pas prier pour l’occuper avec appétit et maîtrise.

Le succès de la double présidence de la Confédération et de l’OSCE de Didier Burkhalter en 2014, en pleine crise ukrainienne, est encore dans toutes les mémoires. Cet alignement des planètes fut exceptionnel et le restera! Si nous n’avons aucune influence sur l’alignement des astres, rien ne nous empêche de nous interroger sur la manière d’en reproduire un de manière proactive. Une solution pourrait être trouvée dans notre histoire: un retour à la situation qui prévalait entre 1848 et 1914 ! Rattacher le DFAE à la présidente ou au président de la Confédération, dans un vaste Département présidentiel, placerait la Suisse en situation idéale pour exercer son influence dans le monde sur des dossiers vitaux pour elle. Ce serait l’assurance d’avoir toujours accès à la plus haute marche des exécutifs. Dans le contexte d’une telle réforme, l’idée de prolonger le mandat de la présidence à deux ans voire plus, pour donner plus de visibilité internationale au titulaire, pourrait aussi être un développement positif.

Qu’adviendrait-il du DFAE et de ses excellents collaborateurs ? Bien loin de perdre au change, ils y gagneraient! Au jour le jour ils seraient dirigés par un «vice-conseiller fédéral» ou un «super-secrétaire d’Etat» (confirmé par l’Assemblée fédérale). Si entre 1848 et 1914 le DPF ne disposait que «de très peu de moyens», les choses ont fort heureusement bien changé aujourd’hui. Ainsi ne seraient-ils plus dépendants des velléités d’un chef, plus ou moins préparé à diriger un département qui lui a été la plupart du temps imposé, mais d’une présidente ou d’un président, qui est déjà convaincu ou qui comprend généralement assez vite l’importance des contacts internationaux au plus haut niveau.

La Suisse aurait ainsi tout à gagner que ses affaires étrangères deviennent une affaire présidentielle! Une manière élégante de donner raison à nos Pères fondateurs plus de 170 ans après! Les pays aussi devraient se méfier de leurs premières impressions, car elles sont souvent les bonnes.

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