Politique étrangère: assez des apprentis sorciers

L’Autriche sauve l’honneur de la Suisse

La diplomatie nucléaire multilatérale sort d’un agenda diplomatique plutôt chargé. Ce furent d’abord à New York les deux semaines de la Conférence du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP). Ensuite la décision de l’Iran de suspendre certaines clauses du JCPOA (accord signé en 2015 avec les USA, la Russie, la Chine, la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne), comme le traité l’autorise en cas de manquement à ses obligations par une autre partie. Et des manquements, il y en a eu avec la sortie unilatérale des USA du JCPOA en 2018, l’imposition de nouvelles sanctions américaines à l’encontre de l’Iran et la suspension des exemptions américaines à l’achat de pétrole iranien, ce qui correspond de facto à un embargo pétrolier.

Ces développements sont inquiétants. Comme le sont les orientations que prend la Suisse dans sa politique nucléaire. Ses déclarations lors de la récente Conférence du TNP, accessibles sur le site de l’ONG Reaching Critical Will (http://reachingcriticalwill.org/disarmament-fora/npt/2019/statements), sont révélatrices. Quatre exemples :

• Dans aucune de ses déclarations la Suisse a mentionné le Traité d’interdiction des armes nucléaires (TIAN), dont elle a pourtant soutenu l’adoption en 2017, mais que le Conseil fédéral refuse toujours de signer malgré l’injonction du Parlement. L’absence de cet élément-clé donne l’impression que la délégation suisse s’est trompée d’année, voire de conférence ! Elle témoigne d’un alignement toujours plus prononcé de la Suisse sur les Etats dotés de l’arme nucléaire. En effet, ne pas mentionner le TIAN fait le jeu de ces derniers qui veulent passer le traité sous silence. Ce faisant, la Suisse perd encore un peu plus de sa crédibilité pour jouer un quelconque rôle dans ce dossier. Si l’on veut en effet trouver une véritable référence à la politique humanitaire liée au désarmement, il faut aller la chercher dans la déclaration autrichienne. C’est en effet l’Autriche – et non la Suisse – qui salue l’engagement du CICR et de ICAN (Prix Nobel de la Paix en 2018), deux organisations basées à Genève et déterminantes dans le soutien au TIAN. Au moment où M. Cassis fanfaronnait sur son compte twitter à l’occasion du 100ème anniversaire de l’ONU à Genève, c’est l’Autriche qui défendait, à notre place, à New-York la tradition humanitaire de Genève ! Le monde à l’envers ! Si l’on se souvient que c’est la Suisse qui avait lancé, il y a près de dix ans, l’approche humanitaire ayant abouti au TIAN, notre manque de courage et de vision politiques ne peut que surprendre.

• En matière de désarmement nucléaire, la Suisse « appelle les États dotés de l’arme nucléaire à faire avancer leurs discussions sur l’amélioration de la stabilité stratégique ». Cette formulation digne de la guerre froide intrigue. Signifie-t-elle que la Suisse soutient un accroissement de l’arsenal nucléaire de la Chine, pour qu’elle arrive à la parité avec les USA ou la Russie ? En introduction de son rapport sur le TIAN, le groupe d’experts de l’administration fédérale avait pourtant rappelé que « la Suisse souscrit à l’objectif d’un monde exempt d’armes nucléaires ». Comment vouloir atteindre cet objectif tout en conservant, voire en améliorant, la stabilité stratégique donnée par l’arme nucléaire ? L’un devrait exclure l’autre. Dans ses positions antérieures, la Suisse s’était toujours opposée au maintien du statu quo stratégique, puisqu’elle voulait un monde sans armes nucléaires. Or cet objectif a disparu des déclarations suisses de cette année ! On peut logiquement se demander si leurs auteurs sont conscients de cette contradiction.

• Toujours sous l’angle du désarmement nucléaire, la Suisse pense que « lancer un débat sur l’amélioration de l’environnement international afin de faire progresser le désarmement nucléaire peut avoir une valeur-ajoutée ». La déclaration fait référence à l’initiative « Conducive Environment for Nuclear Disarmament » lancée par les USA. Or, ce type d’initiative est un piège permettant à son initiateur de démontrer ses « efforts » de désarmement, alors qu’aujourd’hui pas plus les USA que les autres Etats nucléaires ne veulent désarmer. Comment en effet les USA entendent-ils créer un environnement favorable au désarmement en dépensant près de 450 milliards de dollars dans la décennie à venir pour leur arsenal nucléaire, en méprisant leurs engagements multilatéraux de désarmement (retrait du JCPOA avec l’Iran, de l’INF avec la Russie (Accord sur les missiles à courte et moyenne portée), de l’ATT (Traité sur le commerce des armes conventionnelles) et en envoyant un porte-avion dans le Golfe Persique ?

• Pour terminer sur le thème du désarmement nucléaire, la Suisse marque enfin son intérêt à soutenir la « réflexion » là où elle pense déceler des possibilités de « progrès ». Elle cite à cet effet « la vérification dans la promotion du désarmement nucléaire ». Or ce type de coopération souffre d’un défaut rédhibitoire : les Etats non-dotés de l’arme nucléaire, comme la Suisse, ne maîtrisent pas les technologies liées à cette arme et ne peuvent donc rien apporter aux Etats dotés que ceux-ci ne connaissent déjà. Ici aussi nous devrions être plus clairvoyants et ne pas jouer les supplétifs des Etats dotés.

La Suisse a raison de revendiquer un siège au Conseil de sécurité de l’ONU. L’expérience pourrait être passionnante à condition de rester nous-mêmes, fidèles à nos valeurs. En revanche, s’il s’agit de jouer les caniches des grandes puissances mieux vaut y renoncer ! Nous ne servirions ni les intérêts de la communauté internationale ni les nôtres !

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