Politique étrangère: assez des apprentis sorciers

Il faut sauver le soldat Cassis!

Lorsque la courbe d’insatisfaction monte à des hauteurs stratosphériques et que celle de la popularité s’effondre dans des profondeurs abyssales un homme politique est incontestablement entré dans une zone de turbulence….même dans la tranquille Helvétie. Au moment de son élection, il y a un peu plus d’an an, Ignazio Cassis avait pourtant été accueilli avec bienveillance. Après plus de 20 ans d’absence, le moment semblait en effet venu pour le canton du Tessin d’être à nouveau représenté au gouvernement. Les valses-hésitations contradictoires dont il s’était fait l’auteur durant la campagne avaient surpris. On les avait mises sur le compte de son manque d’expérience.

Ses premiers pas à la tête du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), ou plutôt ses faux pas, ont surpris plus d’un avant d’inquiéter les autres. Après ses déclarations étonnantes sur l’UNWRA, sa remise en cause abrupte des mesures d’accompagnement de nos accords avec l’UE ont même amené le Chef du PS à s’inquiéter que la politique étrangère de la Suisse soit dirigée par un “apprenti”. Il ne tenait qu’au PS de reprendre le DFAE lors de la dernière rocade mais Alain Berset a malheureusement privilégié un autre scénario plus personnel! Ignazio Cassis avait annoncé, avant son élection, un “reset” dans nos relations avec Bruxelles. Or, son seul reset fut d’enlever les responsabilités européennes à la Secrétaire d’Etat en fonction et de les confier à un nouveau Secrétaire d’Etat. Bien lui en a pris aux vues des résultats! Pour le reste, le nouveau ministre n’a pas réussi à convaincre une majorité du gouvernement d’approuver le projet d’accord-cadre soumis en ce moment-même à un processus inédit de consultation. Les couacs se sont poursuivis avec la décision de refuser la signature et la ratification du Traité d’interdiction des armes nucléaires, retoquée par les deux Chambres du Parlement, et du Pacte mondial sur les migrations. Des déclarations ambiguës ont aussi suivi, comme celle sur la nécessité de réformer le multilatéralisme après des entretiens à Washington avec des interlocuteurs aussi peu recommandables sur cette question que Mike Pompeo, son homologue américain, et John Bolton, le très “hardliner” Conseiller à la sécurité nationale de D. Trump ou celle récemment, devant le Conseil des droits de l’homme, sur “notre devoir de lutter pour les droits humains…mais aussi de nous concentrer sur l’essentiel” (?)! L’insatisfaction et les inquiétudes concernant les ruptures de cohérence voire les volte-faces de la politique étrangère suisse sont aussi allées croissantes à l’intérieur même du DFAE. Bref, aujourd’hui le malaise semble être évident à l’extérieur comme à l’intérieur de la maison.

A ces questions de fond vient s’ajouter un récent sondage d’opinion (Sotomo, 02.2019) qui voit notre ministre des affaires étrangères terminer bon dernier du classement avec plus de 70% d’opinions défavorables combinées. C’est du jamais vu pour un Conseiller fédéral si peu de temps après son élection. Les premières voix critiques, encore anonymes, se font entendre dans son propre camp libéral-radical! Il n’est jamais bon pour un pays que son premier représentant à l’étranger soit contesté et fragilisé à l’intérieur.

On ne peut s’empêcher de comparer le lent et apparemment inexorable processus de décrédibilisation dont souffre aujourd’hui Ignazio Cassis à celui qui avait lentement prétérité puis pourri le mandat de Pierre Aubert son lointain prédécesseur socialiste (1978-1987), au point de le mettre quasiment hors-jeu ainsi que son Département. Le risque de devenir inaudible, quoique l’on dise ou fasse, menace. La comparaison entre les deux magistrats ne s’arrête pas là, puisqu’Ignazio Cassis, sur un plan personnel, semble manifester dans ses contacts la même chaleur humaine que son prédécesseur. Un aspect de sa personnalité qui le distinguerait positivement de son dernier prédécesseur tessinois.

Pris dans les courants descendants, comme un plongeur, un homme politique doit s’en dégager. Pour se relancer, le chef du DFAE serait bien conseillé de resserrer et de concentrer le sommet de sa hiérarchie. Il devrait se laisser inspirer par l’excellence de la gestion du dossier européen et confier l’ensemble de la diplomatie helvétique à son architecte, le Secrétaire d’Etat aux affaires européennes. En lui confiant les relations bilatérales avec les pays européens, il a déjà franchi un pas significatif dans cette direction. Le DFAE a rarement connu de direction bicéphale et n’a rien à gagner d’une concurrence au sommet. Par ailleurs, cette concentration permettrait aussi une économie d’échelle importante au niveau salarial, toujours bienvenue en période d’économie. Mais c’est surtout la cohérence qui y gagnerait. Il resterait bien sûr ensuite au ministre à faire plus confiance à cette direction renforcée qu’à ses intuitions, comme c’est déjà visiblement le cas pour les affaires européennes, dans lesquelles, à l’exception notoire de ses déclarations dévastatrices sur les mesures d’accompagnement, les dérapages ont été rares.

Il y va de l’intérêt de la Suisse de sauver le soldat Cassis même contre lui-même!  

 

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