Politique étrangère: assez des apprentis sorciers

2018 : année des cactus pour la diplomatie suisse

« Dans leurs têtes, il y a des cactus
Dans leurs intentions il y a des cactus
Dans leurs déclarations il y a des cactus
Dans leurs décisions il y a des cactus
Aïe aïe aïe !
Ouille »

Depuis douze mois, la diplomatie suisse a redonné une nouvelle jeunesse, plutôt inattendue, au tube des Sixties, écrit par Jacques Lanzmann et interprété par Jacques Dutronc, que l’on pourrait paraphraser ainsi !

Et pourtant tout avait été imaginé et rêvé autrement.

Le temps des cerises et des …promesses

L’arrivée d’un nouveau chef est généralement associée avec des sentiments positifs. On parle d’un «état de grâce », d’un nouveau départ. On souhaite de fraîches impulsions, après les inévitables années routine du prédécesseur. On s’attend à de nouvelles idées pour débloquer les nœuds devenus gordiens à force de ne pas avoir été défaits. Il n’en fut pas autrement avec l’arrivée d’Ignazio Cassis à la tête de la diplomatie suisse ! Non pas que ses origines cantonales suffisaient à elles seules à augurer des lendemains qui chantent. Après tout, le dernier Conseiller fédéral Tessinois à avoir dirigé le DFAE, pendant 6 ans et 29 jours, figure aussi sur la liste très exclusive des chefs de département dont les démissions ont été célébrées à l’interne avec une joie égale, voire supérieure aux frustrations et aux souffrances qu’ils avaient fait endurer à leurs collaborateurs. Un an plus tard que restent-ils des promesses ? La fin de l’année offre l’occasion d’un premier bilan.

Un champ de cactus

De grands espoirs avaient été placés dans le nouveau venu pour le dossier européen. Ce casse-tête de la diplomatie suisse avait usé de nombreux chefs de département avant lui. Son prédécesseur immédiat avait longtemps cru qu’il allait aboutir à la conclusion de ce fameux « Accord-cadre institutionnel » qui avait fini par lui voler des nuits de sommeil et probablement provoquer le “tsunami” à l’origine d’une démission aussi soudaine qu’inattendue. Ignazio Cassis ne s’y était pas trompé. Avant son élection déjà, il avait annoncé que le moment était venu de pousser sur le bouton Reset, sans lever l’ambiguïté qui entourait sa formule. Il souhaitait empoigner le dossier de manière différente. Lui enlever les émotions négatives qui, à son avis, clivaient inutilement le pays. Relancer la discussion et unir enfin les Suisses et l’UE sur un projet reformulé. Chacun se réjouissait de la potion que l’on espérait magique du bon docteur Cassis !

Le nouveau ministre des affaires étrangères est d’abord allé par monts et par vaux répétant sa conviction que toute politique étrangère était de la politique intérieure. Chiche ! Nous allions donc voir si ses promesses survivraient à son élection au Conseil fédéral. Même si elle fut louable la conviction du nouveau Conseiller fédéral que tout se gagne à l’interne n’avait pas convaincu les plus sceptiques. Ces derniers s’interrogeaient sur les intentions du nouvel arrivé par rapport à Bruxelles. Comment allait-il s’y prendre pour donner un nouveau départ aux négociations proprement dites ? L’avenir leur a donné malheureusement raison. M. Cassis avait-il oublié qu’en politique étrangère, comme pour danser, nous ne sommes pas seuls ? Il était bel et bon de provoquer un coup de sac dans le pays mais il aurait été tout aussi salutaire de pousser sur le bouton Reset dans les négociations avec ce partenaire avec lequel il s’agissait de trouver une solution.

Le temps des cactus a hélas suivi le temps des cerises ! A l’intérieur, les fronts n’ont jamais été autant opposés entre ceux qui appellent l’accord de leurs vœux et les autres. Le nouveau ministre n’y est pas étranger, lui qui a provoqué la colère des syndicats et de la gauche en remettant en question certaines lignes rouges, notamment celles concernant le « dumping salarial ». Pendant ce temps, à Bruxelles, les négociations aboutissaient à un projet d’accord approuvé par les deux équipes de négociation, européenne et suisse. Il y avait cependant un hic et de taille: le projet sortait des garde-fous fixés dans le mandat du Conseil fédéral et franchissait certaines lignes rouges. Si bien que le Conseil fédéral ne s’est pas estimé en mesure de l’approuver, ni même, au grand dam de Bruxelles qui l’a fait savoir, de donner un simple avis sur les résultats. Il a préféré fuir dans une procédure de consultation auprès de partenaires dont les avis sont d’ores et déjà largement connus.

Le Reset a donc fait Pschitt ! A tel point que certains se demandent à quoi bon poursuivre l’exercice. Certes, la position du gouvernement n’est pas enviable, pris en tenaille entre Bruxelles, dont il craint les mesures punitives en cas de refus, et le peuple dont il redoute l’ire en cas d’approbation ! Mais les bons capitaines ne doivent-ils pas prouver leurs qualités de courage et de leadership surtout par gros temps ?

Le Parlement sauve l’honneur

Le Reset ne s’est pas limité aux relations avec l’UE. Très vite, le vent mauvais s’est engouffré dans toute la maison. En douze mois, la Suisse a tourné le dos aux politiques qu’elle avait menées pendant des décennies. Son engagement en faveur du multilatéralisme a été mis en doute par nos partenaires traditionnels. Les critiques du ministre à l’encontre de l’UNWRA ne sont  pas passées inaperçues et ont pour le moins surpris. L’assouplissement de l’ordonnance d’exportations des armes de guerre vers les pays en guerre ou en guerre civile a choqué. Le refus de signer le Traité d’interdiction des armes nucléaires et le Pacte des Nations-Unies sur les Migrations, adopté récemment à Marrakech, a d’autant plus été perçu dans le monde comme un lâchage que la Suisse avait beaucoup travaillé à leur élaboration. En cette fin 2018, le “cactus européen” n’est donc, malheureusement, pas isolé dans ce qui ressemble de plus en plus à un véritable champ!

Une lueur d’espoir brille toutefois en cette fin d’année au-dessus de nous, comme Vénus, l’Etoile du berger. Face à un Conseil fédéral et un DFAE défaillants, le Parlement a corrigé les dérapages les plus choquants. Il a forcé le gouvernement à revenir sur sa décision concernant l’exportation de matériels de guerre. Plus impressionnant encore, les deux Chambres, à une large majorité, ont demandé à l’exécutif de revoir sa copie et de signer le Traité d’interdiction des armes nucléaires. L’événement est suffisamment exceptionnel dans notre histoire pour être relevé. Il faut dire que, concernant ce dernier, les raisons invoquées par le gouvernement pour ne pas le signer, tirées d’un rapport interdépartemental d’une faiblesse étonnante, étaient si spécieuses qu’elles ne pouvaient que s’effondrer d’elles-mêmes. N’en retenons qu’une : la Suisse ne peut risquer d’agacer l’OTAN sans risquer par la même occasion de se voir interdire l’accès au parapluie nucléaire de l’Alliance en cas de crise ! La défense de la neutralité a su se montrer plus ferme, convenons-en !

Au moment des vœux, souhaitons à notre pays pour 2019 un véritable Reset diplomatique … dans le bon sens cette fois. Nous en aurons besoin pour que la Suisse reprenne avec dignité sa place sur la mappemonde. Pour que l’on entende à nouveau sa voix apaisante dans les nombreux conflits qui l’ensanglantent. Personne ne comprendrait une Suisse égoïste, repliée sur elle-même. C’est à la fois la fidélité à notre héritage et la rançon de nos succès économiques qui nous obligent.

Mes meilleurs vœux pour les Fêtes et une Année 2019 pleine de bonheur et de santé à vous toutes et tous qui passez par ici!

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