Politique étrangère: assez des apprentis sorciers

Sortons de la caverne!

Il n’a échappé à personne que nous vivons dans une période d’hyper-information. Les réseaux sociaux sont omniprésents. Chacun y va de son gazouillis, de Trump à Macron jusqu’à notre voisin. Être pris dans les bouchons lorsque vous vous rendez au bureau suffit à réveiller le réflexe de communicant de certains. Comme si cela constituait une information d’importance universelle. En fait ce qui caractérise notre temps c’est à la fois l’universalisation de l’individuel ou plutôt l’individualisation de l’universel et l’hyper-banalisation: le déclenchement d’une guerre au Moyen-Orient, des chutes de neige dans son jardin, une prise de poids de Kim Kardashian ou 5000 morts aux Philippines au fond c’est du pareil au même! Chacun a l’impression d’être une star dès lors qu’il tweete au moins une fois par jour sur les péripéties de son quotidien. Je tweete donc je suis aurait dit Descartes aujourd’hui!

Nous ne vivons plus dans le monde de grand-papa. Autrefois, lorsque l’on prenait sa retraite on entrait dans une sorte d’hibernation où le fameux devoir de réserve s’imposait à tous sous prétexte qu’il était mal venu de critiquer ses successeurs. Un manque de classe disait-on ! Ou même un manque d’éthique ! C’est comme si le seul fait de savoir certaines choses vous disqualifiait ou devait vous murer dans un silence sépulcral, à partir du moment où vous avez atteint la date de péremption. Les développements des douze derniers mois, dans le monde et en Suisse, m’ont convaincu d’une chose : si l’on ne s’occupe pas de ce que l’on fait en votre nom cela se fera contre vous!

Il faudra s’y faire! Aujourd’hui les grands-papas et les grands-mamans sont aussi sur la toile. Ils ont du temps, de la mémoire et des souvenirs. Il est peut-être plus difficile qu’à d’autres de leur faire prendre des vessies pour des lanternes. Une fois qu’ils en sont sortis personne ne les fera retourner dans leur caverne. Témoins et gardiens: y-a-t-il un rôle plus utile pour l’ancienne génération face aux dérives actuelles?

En parlant de dérive justement! La politique étrangère n’a d’étrangère que le nom. Il s’agit en réalité de notre cadre de vie. Que l’on arrête les limites de ce cadre à son village, son canton ou son pays c’est après tout le choix de chacun. Personnellement mon pays c’est la planète. C’est pourquoi tout ce qui nuit aux intérêts de la planète nuit aux intérêts de mon pays.

J’ai servi sous six responsables de la diplomatie suisse. La constante de Pierre Aubert à Didier Burkhalter fut de porter dans le monde des valeurs qui généralement s’identifiaient à nos intérêts. Ne soyons pas naïfs et reconnaissons que parfois il y avait certaines discrépances. On a bien retrouvé ici ou là certaines grenades suisses qui n’avaient rien à y faire. Mais ce qui a toujours prévalu fut le souci de cohérence. Qu’en est-il aujourd’hui ?

J’ai l’impression que la subtile mécanique suisse ne fonctionne plus en politique étrangère en tout cas. Les Suisses croient peut-être que le Conseil fédéral en tant qu’institution conduit toutes nos politiques, dans les domaines de la politique extérieure, de l’économie, du sécuritaire et de la défense, des finances, du social, de la culture, de la santé etc. C’est sans doute correct dans les manuels de droit constitutionnel. Dans la réalité, les Chefs de département ont une influence prépondérante dans leurs dossiers. Lorsqu’ils présentent au collège leurs propositions les chances de l’emporter sont généralement largement au-dessus de 50 % s’ils se situent dans la mouvance majoritaire du collège. Or le curseur majoritaire est aujourd’hui clairement non pas au centre-droit mais à droite. Une droite décomplexée dirait-on en France mais qui probablement ne reflète pas le pays réel. Concrètement cela signifie qu’aujourd’hui, ce qui est le cas, si le Chef du DFAE propose de l’UDC il n’aura guère de difficulté à le faire accepter. Si ce même Chef du DFAE faisait aujourd’hui des propositions que l’on associerait plutôt avec la gauche il aurait plus de difficulté à les faire avaliser par une majorité de ses collègues. On en est loin!

Je ne connais pas le nouveau Chef de notre diplomatie. Je porte mon modeste jugement sur sa politique. Je pense qu’en faisant ainsi je ne fais qu’utiliser mon droit de citoyen de base. Je suis d’avis par ailleurs que nous vivons des développements si dramatiques que le devoir de réserve doit devenir un droit d’ingérence dans le débat démocratique.

 

Je crains en effet qu’aujourd’hui tout ce qui a été construit par les six prédécesseurs de l’actuel responsable du DFAE soit systématiquement démonté. La Suisse humaniste, solidaire, pacifiste ! Si c’est ce que veut une majorité de Suisses d’accord. Mais je n’en suis pas si sûr. Je crains que ce démontage se fasse de manière subtile, toujours au nom du peuple alors qu’on se vautre dans le populisme. On nous refait le coup de la grenouille que l’on cuit sans qu’elle ne s’en rende compte ! On attaque les Nations-Unies par le biais de l’UNWRA, en remettant en question le multilatéralisme, on vise les budgets de la coopération et de la promotion de la paix et des droits de l’homme en reparlant de la conditionnalité migratoire, on rompt les digues qui préviennent nos marchands d’armes de s’attaquer aux juteux marchés des guerres et des guerres civiles, on refuse de signer le traité d’interdiction des armes nucléaires, alors que cela a constitué un de nos piliers de politique étrangère, mettant en danger “Genève centre d’excellence du désarmement”, on tente de repousser à plus tard la signature de la nouvelle convention des Nations-Unies sur la migration, alors que la Suisse en est la co-auteure, prétextant une soudaine et irrépressible envie (populiste) de large consultation (alors que seule l’UDC s’y oppose! une fois de plus), on prend le risque de repousser aux calendes grecques la conclusion d’un accord-cadre avec l’UE en attaquant frontalement les syndicats, tout en laissant entendre que la gauche serait responsable de l’échec puisqu’elle camperait sur des lignes rouges surannées, on laisse suinter des critiques à l’égard de notre candidature au Conseil de sécurité des Nations-Unies, tout en ayant l’air de ne pas y toucher. Si cela n’est pas le programme de l’UDC cela y ressemble fort!

J’entends qu’il serait normal de conduire une politique étrangère libérale-radicale lorsqu’elle est conduite par un PLR. Encore qu’aujourd’hui elle est plutôt UDC que PLR!  Le problème c’est qu’il ne devrait pas y avoir de politique étrangère libérale-radicale, ni socialiste, ni démocrate-chrétienne, ni verte, ni UDC… La politique étrangère de la Suisse  doit être suisse. C’est pour l’avoir compris que les prédécesseurs de l’actuel responsable, qu’ils fussent socialistes, démocrate-chrétiens ou … radical, se sont inscrits dans une continuité qui a profité au pays.

Aujourd’hui le parlement et l’opinion publique doivent corriger les excès du Conseil fédéral comme cela fut le cas dans le domaine des exportations d’armes. Une vraie capitulation en rase campagne!

La politique étrangère est trop importante pour être laissée dans les seules mains des responsables. Elle doit devenir l’affaire de tous, même si le devoir de réserve doit en prendre un coup !

Il est temps de sortir de la caverne et de suivre d’un peu plus près ce qu’on prétend faire en notre nom à l’extérieur, continuerait à nous conseiller Platon aujourd’hui!

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