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Solidarité globale ou repli nationaliste : comment sortir de cette alternative infernale

Le débat sur la solidarité envers la communauté internationale bute sur des termes dont le sens est piégé. Ils sont utilisés et portés comme des étendards par le camp idéaliste cependant qu’ils suscitent la peur dans le camp opposé. Les mâchoires de ce dispositif infernal sont grandes ouvertes et neutraliser le mécanisme de fermeture pour nous préserver d’un grand « clac » serait une bonne chose.

Yuval Harari opposait récemment la « solidarité globale » au « repli nationaliste » et concluait que le premier terme était le seul à pouvoir contrer l’expansion du coronavirus. Une lectrice nommée Claire répondait dans un blog du Temps qu’elle rejetait l’alternative isolement nationaliste versus solidarité globale. Elle observait que la nation concrétise des solidarités bien réelles cependant qu’une interdépendance généralisée est source de confusions :

« Pas d’autre possibilité d’exister dans un pays ? Le sentiment d’appartenance à sa nation ne serait-il que repli sur soi accompagné de la certitude de vivre dans une nation au-dessus des autres ? Quelle pauvre conception ! (…) Et, qu’elle soit patrie ou nation, cette terre contient des humains vivant en société organisée, formant pays ou Etat, avec des limites, nécessité si naturelle que même les animaux en ont besoin et marquent leur territoire pour pouvoir le gérer sans l’épuiser. Des limites au sein desquelles les habitants peuvent exercer leur sens citoyen en gérant leur environnement, celui qu’ils connaissent et qui les entoure, sans l’épuiser ; et si chaque pays, chaque nation, chaque Etat s’en préoccupe pour sa superficie, on n’aura plus besoin de la solidarité globale, soit interdépendance généralisée, sauf pour s’échanger des virus, et peut-être aussi les moyens de s’en débarrasser ? »

Ce commentaire exprimé dans le blog de Marie-Claude Sawerschel permet d’éclairer la signification du terme de solidarité. Celle-ci est cultivée par les membres de différents groupements : syndicat patronal, syndicat d’ouvriers, assurance mutuelle, groupement d’immigrés d’une même culture, association de cyclistes… Un pays est un champ privilégié pour l’expression des liens de protection mutuelle, à l’interne comme avec l’étranger.

La solidarité comme ensemble restreint d’obligations et de dépendances

Certaines de ces relations réunissent des personnes ou des groupes qui s’opposent à quelque chose ou aux détenteurs d’un pouvoir. Le jeu des rivalités fonctionne correctement dans les démocraties dignes de ce nom. Il en va ainsi, du moins tant que les institutions parviennent à combattre la mauvaise solidarité, celle qui unit les auteurs de vols ou de crimes de toutes sortes, et qui peut être solide.

Au-delà de la protection mutuelle, les liens de coopération établis en vue du bien commun peuvent laisser s’exprimer la générosité, la fraternité et même l’amour. Un pays nourri régulièrement par le civisme de ses habitants est un terreau fertile pour l’épanouissement de la solidarité bénéfique : écoute des personnes vulnérables et des victimes de violence, aide alimentaire d’urgence, dons en faveur de la recherche scientifique indépendante, soutien à un système de santé ou à un type d’énergie renouvelable, etc. Un pays est un lieu où se développent différents niveaux d’entraides complémentaires, tous positifs, dont certains peuvent être qualifiés de désintéressés et d’autres – la majorité – relèvent d’une mutualisation dont profite, de manière plus ou moins directe, la population.

Donc oui, participer au développement de relations solidaires contribue au sentiment d’appartenance à un pays. Et réciproquement, l’amour du pays aide à cultiver toute la palette des relations qui font sa résilience et assaisonnent le sens de nos existences individuelles.

La culture des solidarités sur la scène internationale renouvelle le pays, elle ne saurait toutefois mener à une « solidarité globale ». Toute personne ou toute organisation qui fait naître des liens d’entraide participe peut-être de la fraternité des êtres humains, mais ses actions sont soumises aux contingences de la réalité. Les moyens à mobiliser entrent de plus en concurrence avec les ressources indispensables à d’autres appuis, légitimes eux aussi.

Pour le résumer en deux images. 1° Toute manifestation d’une solidarité internationale s’inscrit dans un champ et est entourée par une frontière particulière, comme si, eh oui, comme si elle demeurait locale. 2° La « solidarité globale » est un truc aussi contradictoire que des « ronds carrés ».

Le piège à éviter

Porter haut l’étendard de la « solidarité globale » galvanise certains des militants de la noble fraternité universelle. Mais ignorer les limites qui circonscrivent l’exercice de la solidarité en optant pour sa globalisation – cause inévitable d’une confusion généralisée – laisse planer l’ombre effrayante de son contraire : la destruction des solidarités concrètes qui organisent un pays et ses habitants. Il ne serait pas étonnant que cette perspective inquiète le peuple et, par ricochet, profite aux promoteurs du repli nationaliste.

Les idéaux ont leur place dans tous les débats, à condition d’être servi par un vocabulaire précis. Pour le coup, scander « solidarité globale » à travers ses mâchoires contribue à activer le piège d’une alternative infernale qui, si l’on n’y prend garde, se refermera impitoyablement sur nous et notre postérité. L’ambition idéaliste se contredit elle-même si elle utilise un langage approximatif. Et je suis sûr que Yuval, Marie-Claude et Claire seront d’accord. On parie ?

 

Voir le blog de Marie-Claude Sawerschel

 

 

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