Illustration : Nelly Damas pour Foliosophy
Céline
Une connaissance lointaine, très estimée, me demande, après avoir gentiment pris des nouvelles sur la manière dont je me confine :
“Je me demandais à cette occasion comment la philosophie pouvait aider dans ce genre de situation”.
Mon premier réflexe, un peu contrit, est de penser que, dans la marée des infos, des leçons données, des avis partagés et des peurs déballées, on ne voit pas bien comment on peut, sans arrogance et sans redite, parler dans la cacophonie (bien naturelle) ambiante. Et que d’ailleurs, prendre la parole pour dire que tout le monde cause, c’est ajouter du bruit sans explication. Que taxer toutes ces opinions de bruit, c’est de l’arrogance qui ne sert à personne. Que prétendre donner des explications, sans être médecin ou économiste, de l’arrogance encore. Les réseaux bruissent de ceux qui expliquent et de ceux qui font des commentaires sur ceux qui expliquent. Les réseaux servent à ça, me direz-vous. Je le sais puisque je les pratique.
Entre ceux qui nous expliquent :
- D’où vient le coronavirus ;
- Des projections sur son développement ;
- De la comparaison avec les pandémies passées ;
- De ce que COVID-19 augure des pandémies à venir ;
- De quel message biblique ou mystique il est porteur ;
- De l’expression de nos peurs, et de nos élans de solidarité à peu près jamais incompatibles avec nos réflexes de survie totalement égocentrés ;
- Des prédictions sur les effets économiques, ou comment, à l’aplatissement de la courbe de l’épidémie doit correspondre également un aplatissement de la courbe du crash économique ;
- Du calcul inlassablement repris, heure après heure, des inconvénients (abyssaux) de la situation actuelle et de ses avantages (pour le répit que notre confinement quasi-généralisé offre à la planète, pour la prise de recul sur le fonctionnement habituel de la marche du monde que ce pas de côté nous invite à faire) ;
On a le sentiment d’être dans une marmite qui bout. Une marmite dans laquelle, sans recette préalable connue, une armée de magiciens en herbe ont jeté des plantes dans les vertus desquelles ils croient dur comme fer. Reste à savoir si la soupe sera comestible et si chacun y sera invité.
C’est flippant, mais fascinant aussi, ce retournement, ce grand retournement de toutes nos certitudes.
C’est fou le nombre de questions que cette situation pose. Fou, tout ce qu’elle met à nu. Fou les contradictions qu’elle charrie. C’est flippant, mais fascinant aussi, ce retournement, ce grand retournement de toutes nos certitudes.
Il y a le retournement du terme “confiner”, d’abord. Jusqu’à il y a quelques courtes semaines, il était synonyme d’une passivité frileuse, craintive. On l’utilisait surtout abstraitement, pour indiquer un repli qui n’aurait pas dû être. Puis a surgi le “confinement”, qui a réveillé un mot très ancien, réservé depuis à la catégorie très choisie de prisonniers qu’on isole des autres (les “doublement reclus” en somme). Et nous l’avons entendu un peu différemment. Nous l’avons entendu brusquement, sous les injonctions plus ou moins radicales des gouvernements, comme une action dont nous devons devenir les maîtres, comme une action qui signe notre responsabilité, comme une épreuve, à la fois individuelle et collective. Et nous sentons que nous n’avons pas le choix de ne pas être à la hauteur. En quelques jours, malgré notre stupéfaction sans cesse renouvelée, le confinement est devenu central et… naturel.
C’est ça, la première découverte : voir à quelle vitesse nous prenons acte et agissons en conséquence.
Oubliée la surpuissante “force des habitudes”, devenu facilissime le “lâcher-prise” pour lequel on a dépensé beaucoup avant ; inéluctablement ébranlé le credo collectif suivant lequel certains changements sont to-ta-le-ment-impossibles, puisqu’ils sont devenus brusquement ab-so-lu-ment-im-pé-ra-tifs !
De ce constat naît un double sentiment : 1. Tout ce qu’on croyait indéboulonnable, tant au niveau individuel que mondial, peut être pulvérisé en un instant. 2. Nous sommes capables d’assumer de grands, de très grands changements.
La seconde découverte, c’est de voir émerger brusquement toutes sortes d’informations sur “notre monde d’avant”, qu’on ignorait, ou dont on ne s’était pas vraiment avisé.
Le coût des salaires a délocalisé la production de biens devenus de première nécessité (comme les masques) et il ne semble pas si facile de redevenir autonomes lorsque c’est nécessaire. On apprend qu’on songe à “fermer la bourse “ parce qu’elle chute trop vite alors qu’on n’a jamais pensé la fermer parce qu’elle monte trop. On apprend que les avions volaient à vide pour réserver leurs créneaux, on apprend que l’industrie pharmaceutique suisse cherche plus qu’elle ne produit, on redécouvre le jésuitisme de certaines assurances qui refusent de payer pour une pandémie des entreprises assurées contre les épidémies (nuance)… Les ficelles de notre monde d’avant sont brusquement visibles. On s’étonne un peu de ce que tout ne tenait qu’à un fil.
La troisième prise de conscience presque corporelle, c’est la découverte de l’interdépendance
Entre les petits faits de nos vies et les grands mouvements de l’économie, nos petits bobos et les grandes thèses, entre la vitesse à laquelle le papier de toilettes disparaît des rayons et la modélisation de la propagation, entre nos gags partagés sur les réseaux pour rigoler de la situation et l’incertitude à peu près totale sur la manière dont notre planète, voire notre humanité même dirait Harari, sortiront de cette épreuve, nous ne savons plus comment composer le puzzle dans lequel, désormais, il n’y a plus de pièces si petites qu’elles n’aient à y trouver une place.
Alors, la philosophie dans tout ça ?
Elle n’est pas la chloroquine miracle du père Raoult. Quelle serait d’ailleurs la forme du miracle qu’on attendrait ? Une guérison totale de tous et une éradication complète du coronavirus ? En attendant quoi ? Le prochain virus ? Pour continuer exactement comme avant ?
La consolation comme exercice philosophique
Il est un exercice philosophique, apparu dans l’antiquité et dont on trouve des traces jusqu’au XVIIe avant qu’il soit définitivement laissé aux théologiens puis aux psychologues, celui de la consolation. Ce sont les Stoïciens qui l’ont initié, soucieux de donner une réponse rationnelle à la situation de l’homme et à la marge de manœuvre véritable qui est la sienne. Lucrèce, Sénèque et Cicéron ont rédigé des lettres destinées à des personnes réelles, affligées par les pires tourments que l’espèce humaine connaisse : la perte d’un être cher (les consolations portant sur la perte d’un enfant sont nombreuses, émouvantes, puissantes), une maladie grave, la perte de ses biens…
La consolation peut également prendre la forme de dialogues ou de poèmes, mais la structure profonde est récurrente : on donne quittance à la souffrance par l’évocation des différentes émotions pour montrer à l’affligé qu’il est compris et l’inviter à entrer dans une démarche rationnelle par laquelle il reconnaîtra, pour relativiser ses maux, la finitude de sa destinée, la force de la nature ou celle des décrets de Dieu, c’est selon. Certaines consolations de l’Antiquité sont d’une modernité qui dépassent celles du XVIIe. N’omettons pas l’étonnante “Consolation de la philosophie”, rédigé en prison par Boèce en 524 après J.-C., alors qu’il attendait sa mise à mort, accusé qu’il était de trahison. C’est la philosophie elle-même, personnifiée, qui vient lui rendre visite.
La consolation, par le recours à la rationalité qu’elle offre pour apaiser un vécu de grande émotion, est utile et nécessaire à celui qui est pris dans une situation où il n’a d’autre choix que l’acceptation de son sort.
Par l’exercice de la rationalité, une acceptation active est possible, laquelle écarte la prostration victimaire.
Il y a dans cet exercice discret, en apparence impuissant, toutes les composantes d’un héroïsme admirable.
Cet exemple peut nous servir. Notre peur face à l’inconnu, notre chagrin pour la perte de nos aînés proches, la prise de conscience de notre vulnérabilité, elle aussi porteuse de sens, peuvent y trouver un soulagement et la lecture de Sénèque lui-même ne sera pas du temps perdu. Je n’ai pas trouvé, en revanche, dans la littérature religieuse ou philosophique, de consolation collective liée à un épisode épidémique. Sans doute parce que le chagrin est toujours une affaire individuelle, même si l’émotion peut être partagée.
Chagrin individuel et défi collectif
Mais ce à quoi nous devons essentiellement faire face en ce moment, au-delà de notre souci pour nous-même, est une épreuve collective, qui teste notre sens de la solidarité sociale, notre sentiment d’appartenance au genre humain, notre esprit de système élevé aux exigences de la planète entière.
Il y a bien des années, le commandant Cousteau craignait notre effondrement si nous ne comprenions pas que nous devons respecter l’océan, parce que la vie entière en dépend. Il y a près de six ans maintenant, Bill Gates avertissait que ce qui nous menacerait désormais, ce ne serait pas les missiles, mais les microbes. Boris Cyrulnik prédit qu’après le coronavirus, il y aura des changements profonds, que c’est la règle après une crise majeure, et que nous avons les moyens d’être résilients. Plus orienté philosophie politique, Sloterdijk nous annonce que le système occidental va se révéler aussi autoritaire que celui de la Chine, comme on peut en voir selon lui les prémisses dans la manifestation d’une exagération maternante et celle d’une déresponsabilisation générale. Mouchards portables et voisins délateurs.
Yuval Noah Harari, quant à lui, affirme que nous allons faire face à deux choix particulièrement importants : le premier entre la surveillance totalitaire et le renforcement du sens citoyen, le second entre l’isolement nationaliste et la solidarité globale.
J’aime ce programme. Chacun d’entre nous n’ignorait pas que la complexité du système rendait pratiquement vaine chacune de nos actions individuelles. Nous venons de voir que le système est complexe, soit, que ceux que nous croyions aux commandes travaillent avec pas mal de désarroi à concevoir des solutions qu’ils espèrent fructueuses. En clair, ils “cherchent” eux aussi en espérant que l’effet de levier que leur confère leur statut permettra de trouver une issue. Mais nous savons aussi, sans lyrisme aucun, qu’ensemble nous avons un grand pouvoir, que nous pouvons pour une part définir ce qu’il adviendra de la suite, choisir le renforcement du sens citoyen et la solidarité globale plutôt que le contraire. Parce que le contraire, à coup sûr, jamais n’intimidera les virus à venir. Pour le collectif aussi, l’existence précède l’essence quand il s’agit de faire des choix qui engagent.
Les réseaux bruissent de ceux qui expliquent et de ceux qui font des commentaires sur ceux qui expliquent. Rien de plus normal. Chacun sent les fondements d’un vieux monde devenus incertains et les possibles, sur lesquels nous avons tous le regard posé, s’ouvrir.
J’espère qu’on s’en souviendra avant que les avions ne se remettent à zébrer le ciel toutes les deux minutes, que la pollution de l’air ne soit à nouveau perçue par les satellites, qu’elle ne reprenne sa mise à mort des 5000 habitants annuels dans notre pays, avant que notre frénésie de consommation n’enclenche à nouveau le mécanisme d’épuisement de la planète, avant que…
Brillantissime ! Le texte le plus dense et le plus profond que j’aie lu jusqu’à présent sur cette pandémie qui suspend notre temps et notre vie, et nous laisse par moment, selon l’angoisse qu’elle nous impose, dans un état de sidération indomptable.
L’espoir et le désespoir sont devenus inextricablement enchevêtrés.
Et “notre besoin de consolation est impossible à rassasier” (Stig Dagerman).
L’illustration est si bien choisie qu’elle donne à réfléchir et à méditer…
Superbe texte, magnifique reflexion!
Nous avons beaucoup à réapprendre des stoïciens occultes et détournés à l’aube d’une mutation radicale: le christianisme. A cette epoque aussi, une mutation des plus autoritaires.
Comme quoi…
Merci,ça me donne envie de revoir Microcosmos-le Peuple de l’herbe.
Les connexions entre les idées sont parfois insondables !
Je me demande comment le confinement du savoir dénué d’empathie peut aider dans cette situation.
Boris Cyrulnik, que vous citez, prédit un changement profond après la crise et reste optimiste quant à notre capacité d’absorber les chocs. Cet homme a montré son optimisme aussi en donnant ses avis, à l’époque, sur le devenir de Natacha Kampuch, la jeune allemande séquestrée entre l’âge de dix et dix-huit ans. Je ne fais pas de parallèle entre le malheur collectif du virus, et le malheur individuel de cette jeune fille, mais veux saisir l’occasion de faire part du comportement de ce psychologue avide de célébrité, offrant des analyses toujours bien accueillies, qui n’a eu aucun respect en répondant à une interview parue dans Le Matin, illustrée de nombreuses photos de la chambre remplie d’effets personnels où cette jeune fille a passé huit ans de sa vie. Il savait pertinemment que celle-ci avait déclaré qu’elle ne voulait pas que ces photos soient publiées, son seul monde durant la moitié de sa vie, cela était indissociable de son intimité. Il n’en a tenu aucunement compte. Quel penser de cet homme qui arrache le pansement et pose son doigt sur la blessure tout en abordant le sujet de la douleur, et son optimisme quant à la guérison ? On me dira peut-être que la satisfaction d’un ego prospère ne nuit en rien à la valeur du savoir transmis. Peut-on considérer qu’un enseignement est authentique quand la personne qui le prodigue ne l’est pas ?
Un grand merci pour votre commentaire. Vous m’apprenez cet épisode de la “pratique médiatique” de B. Cyrulnik que j’ignorais. Les photos indésirables de la chambre de N. Kampuch étaient-elles du fait de B.C. lui-même ? Etait-il au courant que le journal les publierait ? Le “produit fini” livré à la compréhension des lecteurs leur donne parfois une représentation, pour ce qui touche à la responsabilité des différents intervenants d’un article, qui est loin de la réalité des modalités de sa rédaction. A peu près tous ceux qui ont été interviewés une fois ont pu constater ce décalage entre la fabrication du message et les indices semés pour sa réception par le lecteur…
Ces considérations n’enlèvent au demeurant rien à ce que vous dites. Peut-être y a-t-il eu manipulation de la part du célèbre neuropsychiatre/éthologue, peut-être ne se contente-t-il pas de répondre aux demandes de conseils (après tout, ce sont toujours les mêmes célébrités qu’on interroge), mais sollicite-t-il la lumière de manière exagérée… Qui sait ? Je ne suis pas sûre que ça enlève de la pertinence au propos, ni que ça lui en ajoute, d’ailleurs : sur la pandémie en cours, chacun, même (et surtout) les célébrités y vont de leurs prophéties. Personnellement, j’ai un peu souri de voir à nouveau la notion de “résilience” surgir, indissociablement attachée au nom de Cyrulnik, comme un réflexe. Est-ce de son fait seulement ou celui des journalistes aussi ? Je l’ignore…
Et je ne suis pas bien sûre que Harari ou Sloterdijk cherchent l’obscurité. Mais après tout, quand on a quelque chose à dire, peut-être n’est-ce pas un mal…
NB : “Le confinement du savoir dénué d’empathie…” : magnifique formule !
Merci pour ce texte inspirant.
Merci à vous d’avoir pris le temps de le lire !
Il faudra nommer de façon commune TOUS ces soignants extrêmement courageux, dont qqs volontaires et autres dont des livreurs, des travailleurs, … d un nom mémorable et héroïque, qui luttent contre la pandémie Covid-19. Je suggère le mot DECOVIDES-ES.
Cela avait été le cas pour TCHERNOBYL, avec le mot LIQUIDATEURS.
Après cette pandémie leur accorder un statut universel, comme pour les anciens combattants, mais ici vraiment universel (en y impliquant au delà des Etats, ONU-OMS et les droits universels)
Avec cette catastrophe liée au NÉOLIBÉRALISME aveugle, unidimensionnelle, … dont la finance privée et leurs paradis fiscaux, qui plutôt sont des ENFERS. Cette masse d argent détourne de l argent et/ou des richesses publiques, commune a toute la population de la planète. Se cachent ici assez d argent pour apporter tous les soins nécessaires à la planète et à toute l humanité, dont ODD.
CHICHE.
Vous mettez la barre très haut, Jacques. Mais d’accord : CHICHE. Il n’y a pas vraiment d’autre voie.
Lors d’une relecture de cet excellent texte, je relève l’affirmation de Harari :
« Yuval Noah Harari, quant à lui, affirme que nous allons faire face à deux choix particulièrement importants : le premier entre la surveillance totalitaire et le renforcement du sens citoyen, le second entre l’isolement nationaliste et la solidarité globale. »
Pour le premier, bien sûr que c’est le renforcement du sens citoyen qui l’emporte, à première vue, même si la tentation d’une surveillance totalitaire n’est pas nulle, qui affranchirait d’une majeure partie de la responsabilité personnelle, charge parfois pénible à trimballer…
C’est à son second choix que j’ai de la peine à adhérer – l’isolement nationaliste ou la solidarité globale –, parce que, en buttant devant le poncif de l’isolement nationaliste, m’a sauté un yeux le traitement inégal de ce choix, car qui aimerait choisir l’isolement nationaliste ? Pas d’autre alternative, donc, que la solidarité globale… Et s’il avait présenté son choix entre le regroupement autonomiste et l’interdépendance généralisée, ces deux expressions n’étant que la traduction des siennes, en termes plus réalistes, peut-être moins idéologiques, ferait-on sans hésiter le même choix ? Ainsi, dans sa façon de faire peser sur la balance un seul choix possible, il jette l’autre à la corbeille. Dommage de rabattre l’équilibre à une seule possibilité, pire que bancal ! Y aura-t-il encore place pour du sens citoyen, devant ce choix qui n’en est pas un ?
L’isolement nationaliste ! Pas d’autre possibilité d’exister dans un pays ? Le sentiment d’appartenance à sa nation ne serait-il que repli sur soi accompagné de la certitude de vivre dans une nation au-dessus des autres ? Quelle pauvre conception ! On est en pleine idéologie ! Dommage, encore, de restreindre la cohésion entre citoyen et pays à une doctrine détestable. Faire glisser subrepticement le nationalisme vers la nation pour ensuite confondre les deux à escient, revient à en décapiter le sens, car qui se se souvient que, si la patrie est la terre des pères, des ancêtres, la nation est la terre où l’on est né (natus). Et, qu’elle soit patrie ou nation, cette terre contient des humains vivant en société organisée, formant pays ou Etat, avec des limites, nécessité si naturelle que même les animaux en ont besoin et marquent leur territoire pour pouvoir le gérer sans l’épuiser. Des limites au sein desquelles les habitants peuvent exercer leur sens citoyen en gérant leur environnement, celui qu’ils connaissent et qui les entoure, sans l’épuiser ; et si chaque pays, chaque nation, chaque Etat s’en préoccupe pour sa superficie, on n’aura plus besoin de la solidarité globale, soit interdépendance généralisée, sauf pour s’échanger des virus, et peut-être aussi les moyens de s’en débarrasser ? …
Quelle belle remarque que la vôtre, Claire. Vous avez raison, l’alternative du deuxième choix « isolement nationaliste et solidarité globale » est tronquée : autant pour des raisons de dénotation (le côté éminemment positif intrinsèque du terme « solidarité » et le sens à coup sûr négatif de « isolement ») que de connotation (L’adjectif « nationaliste » traîne derrière lui, pour des raisons historiques, des remugles qui font fuir), l’alternative, au fond, n’en est pas une.
Inutile d’expliquer ce faux choix par la posture politique de Harari, dans son pays, Israël, et sa critique de l’Etat-nation dans ce contexte précis : Harari est trop au fait de l’histoire du monde et trop apte au décentrement pour qu’on puisse lui imputer l’aveuglement d’une posture personnelle sur cette question. Mon impression est que les deux éléments de l’alternative sont des extrêmes sur une ligne graduée, et je doute qu’Harari pense réellement qu’une véritable solidarité globale soit atteignable. Mais pas de solidarité globale n’est pas envisageable non plus, dans un contexte où le danger provient (et proviendra toujours plus) précisément d’une menace qui ignore ces catégories ethnologiques et politiques que sont les frontières.
Mais ce n’est pas la bonne réponse à apporter à votre remarque.
Je sens que le véritable coeur de la réflexion réside dans ce qu’il advient d’un pays (une patrie ou une nation) dans un monde globalisé. Les deux notions sont-elles réellement antithétiques ? On a observé le vacillement de l’Europe lorsqu’on a vu les masques sanitaires bloqués en Allemagne, constaté le durcissement des aimables échanges occidentaux lorsque la Suisse a dû envoyer ses diplomates pour convaincre les Etats-Unis de lui envoyer des tests de dépistage. Possible que l’Europe soit en train de jouer son va-tout dans cette crise, certains en tout cas le prétendent.
Je ne suis pas politologue, mais il me semble que nous devons apprendre (et mettre en place les moyens de) la solidarité sans perdre de vue notre autonomie : comment celui qui n’est pas en partie à même de surmonter une crise peut-il prêter main forte ? Les médecins cubains viennent de donner une leçon à L’Europe en dépêchant une légion de médecins à l’Italie.
Mauro Poggia, expliquant pourquoi les hôpitaux de Genève ont accueilli des patients français atteints du coronavirus, a simplement répondu : « Parce qu’on a la place. Inutile de nous remercier. Il y aura peut-être un moment où on aura besoin qu’on nous rende la pareille ». Le sens de la solidarité n’est pas nécessairement désintéressé.
Mais ce n’est toujours pas une réponse de politologue. Je passe donc votre question plus loin et suggère à Frédéric-Paul Piguet, du blog : « Qui es-tu citoyen? » de prendre la relève. Il m’a laissé entendre qu’il tentera de prendre cette question en charge dans un de ses prochains blogs.
https://blogs.letemps.ch/frederic-paul-piguet
Grand merci, Marie-Claude, pour le développement de votre réponse ! Je rejoins volontiers votre impression « que les deux éléments de l’alternative [soient] des extrêmes sur une ligne graduée », tout en restant fort dubitative. Il n’est bien sûr pas question de faire disparaître la solidarité globale d’Harari, à condition qu’elle ne sous-entende pas la disparition des libre-pays et de leurs libre-frontières – notions à mettre en regard de tous les autres libre-échangismes, qui enferment bien plus qu’on ne l’imagine, parce que tout autrement.
Je n’aimerais pas dévier vers ce seul point l’intention fondamentale de votre beau texte qui nous montre que, oui, « la philosophie peut aider dans ce genre de situation » : elle nous offre les outils de l’observation menant aux découvertes sur le fonctionnement réel de notre société, ceux de la consolation qui tente de donner sens au malheur, ceux de la réflexion pour savoir dans quel monde nous voulons vivre. J’aimerais juste rebondir sur votre sympathique réponse, sans que cela devienne un débat économico-politique sur la difficulté actuelle d’appartenir à un espace circonscrit. L’histoire, puisque plusieurs commentaires font allusion à cette branche des sciences humaines, aurait des choses à dire, autant sur l’enseignement qui en est donné que sur celui qui n’est plus donné, à propos de la construction des pays et des empires, qu’ils soient centralisés ou non. Or, il est avéré que l’on vit plus heureux dans un petit pays sans désir d’expansion que dans une grosse entité jamais contente de son état/Etat (voir l’article dans le “20 minutes” de 2017 ci-dessous), et il est patent que le mondialisme n’est qu’une avidité sans fin, donc sans limites (!). Il est temps de relire “Small is beautiful” d’Ernst-Friedrich Schumacher, publié en 1973 (pdf ci-dessous), qui fut suivi d’un film réalisé par Agnès Fouilleux en 2010, puisque l’humanité est devenue mondialisée, malgré elle (?), et que l’interdépendance globale semble incontournable, voire indispensable. Pour finir, je fais appel à “Candide” en citant le dernier paragraphe de ce conte de Voltaire, écrit et paru à Genève alors que Voltaire habitait aux “Délices”, avec la conclusion de cet aventurier de Candide, libre-circulateur avant l’heure qui ensuite dégage de ses pérégrinations une sage philosophie :
« Travaillons sans raisonner, dit Martin ; c’est le seul moyen de rendre la vie supportable. » Toute la petite société entra dans ce louable dessein ; chacun se mit à exercer ses talents. La petite terre rapporta beaucoup. Cunégonde était, à la vérité, bien laide ; mais elle devint une excellente pâtissière ; Paquette broda ; la vieille eut soin du linge. Il n’y eut pas jusqu’à frère Giroflée qui ne rendît service ; il fut un très bon menuisier, et même devint honnête homme ; et Pangloss disait quelquefois à Candide : « Tous les événements sont enchaînés dans le meilleur des mondes possibles : car enfin si vous n’aviez pas été chassé d’un beau château à grands coups de pied dans le derrière pour l’amour de mademoiselle Cunégonde, si vous n’aviez pas été mis à l’Inquisition, si vous n’aviez pas couru l’Amérique à pied, si vous n’aviez pas donné un bon coup d’épée au baron, si vous n’aviez pas perdu tous vos moutons du bon pays d’Eldorado, vous ne mangeriez pas ici des cédrats confits et des pistaches.
– Cela est bien dit, répondit Candide, mais il faut cultiver notre jardin. »
Voltaire, “Candide ou l’Optimisme”, 1759, chapitre XXX
(Gallica, document électronique, d’après l’édition de Sylvain Menant, Bordas, 1992)
“Petit pays, grand bonheur – Les habitants des plus petits pays de l’Europe de l’Ouest sont à la fois les plus riches, les plus solidaires et ceux qui déclarent être les plus heureux au monde.”
https://www.20minutes.fr/rennes/2176899-20171212-petits-pays-grand-bonheur
“Small is beautifull
– Une société à la mesure de l’homme”, 235 p.
Ernst-Friedrich Schumacher, édition de 1978
https://www.enpleinegueule.com/francais/lire/Small_Is_Beautifull-fr.pdf
Ernst-Friedrich Schumacher
http://wp.unil.ch/bases/2013/08/fritz-schumacher/
Voilà qui prouve, si besoin était, l’existence d’une solidarité diachronique qui s’ajoute heureusement à l’entraide et à l’empathie synchroniques qui se manifestent en ces temps particuliers. Cependant, pour avoir longtemps fréquenté la muse Clio, je ne peux raisonnablement m’empêcher d’avoir quelques doutes sur l’ “historia magistra vitae” si chère à Cicéron, justement. L’isolement nationaliste que déplore si pertinemment Claire a déjà figuré dans les annales de nos histoires particulières et collectives, et on en connaît les résultats que l’on ne cesse d’ailleurs de commémorer. Les spécialistes en décortiquent causes et conséquences sans crainte de mettre à mal quelques clichés ou légendes glorieuses, montrant ainsi qu’au final, il n’y a pas de nation qui soit meilleure qu’une autre… mais après ? Peut-être que nos générations, qui, dans nos pays occidentaux, ont vécu la plus longue période sans guerre, resteront marquées par la fin de cette ère de mondialisation heureuse commencée à la chute du Mur. Comme nos anciens aujourd’hui, qui nous rappellent des souvenirs anecdotiques des années 1940 en contemplant nos folles poussées consuméristes (ah, le coupon de papier WC doublé alors d’un morceau de journal pour faire durer le rouleau plus longtemps…), nous pourrons, dans nos vieux jours, dire “j’y étais !” et “j’ai applaudi tous les soirs à 21 heures”. Mais notre société saura-t-elle en tirer les enseignements qui s’imposent, transformer un enjeu intellectuel en engagement existentiel et inventer une juste moyenne entre les deux termes opposés par Harari ? Ceci est une autre histoire…
Remarquable rappel que ce concept de “l’histoire comme maîtresse de la vie”, chère Chantal, je vous en remercie. Je crains bien de devoir en partie partager votre réalisme. L’étude du passé sert rarement d’avertissement parce que le présent se pose toujours comme neuf, différent de n’importe quelle situation passée par le fait même qu’il est le seul à exister. On observe ce même phénomène au niveau individuel : l’expérience des anciens est souvent peu utile, ou du moins mal écoutée, pas toujours à tort d’ailleurs parce qu’on ne sait pas très bien quelles dimensions du présent peuvent être “stricto sensu”, comparées à celles du passé. D’où la capacité parfois à inventer quelque chose de radicalement neuf, que l’expérience des anciens n’aurait pu concevoir. D’où aussi le risque du fiasco répété. Les mêmes maux sous d’autres oripeaux.
Il n’empêche que l’étude de l’histoire est cruciale en ce qu’elle permet de comprendre qu’une civilisation ou une période historique peuvent aussi se regarder à une autre distance que celle du vécu : sous le microscope lorsqu’il s’agit d’analyser des événements dans leurs moindres détails, au télescope pour en mettre en évidence les grands mouvements dynamiques qui traversent les siècles, et que les contemporains de ces époques n’ont, par définition, pas pu comprendre.
Dans le contexte que nous traversons, je trouve intéressant de voir réapparaître des études sur la peste noire, sur le choléra, la grippe espagnole. On trouve naturel de partager sur le fait que “Le Roi Lear” a été rédigé alors que Shakespeare était en quarantaine à cause de la peste, que Hegel est probablement décédé, à 61 ans, de la deuxième pandémie de choléra qui a ravagé le globe, entre 1826 et 1841, on n’est pas étonné que des amis se replongent dans “La Peste” de Camus : c’est l’histoire que le vécu présent convoque pour nous aider à comprendre.
Je me plairais à imaginer toutefois que ce temps d’arrêt dans nos vies, dans nos productions, dans nos rapports, dans nos échanges, ce reversement spectaculaire du monde d’il y a un mois (pas de l’histoire encore !) nous permette de comprendre que des changements, qu’on croyait impossibles, sont de l’ordre du faisable.
J’ai beaucoup apprécié ces considérations sur la philosophie de l’histoire mais je crains qu’elles ne limitent leur pertinence à cette petite mousse d’embruns océaniques que constituent ceux qui ont le goût, le loisir et la formation qui permettent de penser à autre chose qu’à l’immédiat du concret. Or, l’histoire n’est pas faite par eux. L’histoire me semble plutôt faite de massifs mouvements collectifs sur lesquels raisonnent des intellectuels qui, plus tard, se voient crédités de l’avoir faite; ainsi croit-on que la Révolution française est le résultat des Lumières ou que celle de Russie émane de la pensée de Marx.
Au 20 mars de cette année, au vu des transformations qui s’annoncent dans la société de l’après mondialisation heureuse, je notais dans mon journal cette remarque, inspirée des méditations du Tolstoï de Guerre et paix :
“Les individus n’ont pas de prise sur l’histoire ; elle n’est qu’un effet de masse, elle sécrète ce que l’on croit des chefs, on la subit puis l’on meurt.
Dieu nous préserve des époques intéressantes !”
Vous avez raison, chère Carole, “mousses d’embruns” comme sont nos blogs, nos journaux intimes, et, sans doute, les méditations de Tolstoï lui-même. Au regard de l’infini des espaces et de ses silences effrayants, les massifs mouvements collectifs eux-mêmes ne sont probablement qu’embruns…
Nul doute, par ailleurs, que l’histoire soit le lieu où se fait la politique, le carrefour où se disputent les idéologies etc. (Mais cette remarque elle-même, est bullette d’écume…)
Que serait l’autre élément d’alternative ? Pas d’histoire ? pas de tentative de compréhension ?
C’est une jolie leçon de modestie que nous donne Carole mais je ne crois pas qu’il faille pour autant, chère Marie-Claude, nous résoudre à ne plus penser, à ne plus philosopher, à ne plus consoler, à ne plus tenter d’écrire quelques lignes d’un chapitre de l’histoire. Il faut seulement ne pas se faire trop d’illusions sur l’influence, le pouvoir ou les répercussions que peuvent avoir nos réflexions qui se fondent avant tout sur ce qui a été et ce qui est, mais plus difficilement sur ce qui sera. Une bonne partie de mon activité d’historienne est dédiée à la médiation et à la vulgarisation et dans ce cadre-là, j’ai souvent fait l’expérience de voir mes démonstrations et autres argumentations (par exemple sur les causes, tenants et autres arrière-pensées d’une méthode d’enseignement) réduites au seul syndrome de la madeleine de Proust (« Regarde, c’est le livre que j’avais à l’école quand j’étais petite ! »). Et je suis persuadée que tout l’intérêt que peut susciter tel ou tel fait historique qui nous rappelle une situation actuelle tient avant tout du même phénomène, auquel s’ajoute indubitablement celui de la consolation : à Oran, on a aussi vécu le confinement… et à la fin de « La peste », les portes de la ville se sont à nouveau ouvertes sur la vie !
Je n’ai cependant pas renoncé à poursuivre mes investigations et à proposer mes analyses, tout autant persuadée que parfois, de petites bulles de l’écume des temps ou des pensées peuvent attirer le regard et laisser une trace dans l’esprit ou le cœur de nos contemporains. Il vaut donc la peine de remettre sans cesse l’ouvrage sur le métier : Camus ne disait-il pas qu’il faut imaginer Sisyphe heureux ?
“l’expérience des anciens est souvent peu utile, ou du moins mal écoutée, pas toujours à tort d’ailleurs parce qu’on ne sait pas très bien quelles dimensions du présent peuvent être “stricto sensu”, comparées à celles du passé”, écrivez-vous. N’enterrez-vous pas les “vieux” un peu vite?
Mes parents appartenaient à cette génération systématiquement effacée de l’Histoire qui fut celle de l’émigration russe des années 1920, à l’origine du mot “apatride”, tel que l’a défini l’explorateur norvégien et Haut Commissaire aux réfugiés de l’ancienne Société des Nations, Fridtjof Nansen. Après avoir tout perdu – propriété, titres et jusqu’à leur propre identité -, devenus parias, sans-grade, “misfits”, métèques, a-patrides et luttant pour refaire leur existence en terre étrangère, pari tout sauf gagné d’avance pour la plupart d’entre eux, ils n’ont pas moins laissé à leurs enfants et à leur entourage l’héritage de leurs souvenirs vécus, qu’aucun livre d’histoire ne saurait restituer. Les écouter, c’était vivre l’Histoire qu’ils avaient connue, même s’il était bien difficile d’y voir clair dans son chaos.
A la révolution d’octobre 1917, ma future mère, alors âgée de sept ans, avait été envoyée par ses parents pétersbourgeois chez une tante, à Iaroslavl, où ils croyaient qu’elle serait à l’abri des événements qui secouaient la capitale. Ils ignoraient que cette ancienne ville princière avait entre-temps été encerclée par les troupes bolcheviques et que leur fille et sa tante étaient restées enfermées dans leur cave pendant deux semaines, avec un obus non-éclaté fiché dans le plafond au-dessus de leurs têtes (en période de confinement généralisé, le récit qu’elle faisait de cet incident me réconforte à l’idée que je ne suis encore pas trop à plaindre).
Bien sûr, à son âge et dans de telles circonstances, il aurait été absurde d’expliquer à ma mère que le monde qui basculait autour d’elle et des siens était la conséquence logique, déterministe, de la dialectique hegelienne, du “Capital” ou des thèses de Marx sur Feuerbach. N’est-ce pourtant pas ce que font historiens et philosophes?
Souvent, en évoquant ses souvenirs, ma mère mélangeait dates, noms de lieux et de personnes, et déroutait ses auditeurs – à commencer par ses propres enfants -, qui ne se rendaient pas compte que ce désordre n’était au fond que le reflet du chaos de l’époque qu’elle avait vécue. Parmi les nombreux événements, souvent dramatiques, dont elle a été le témoin, elle évoquait un incident – qui est tout de même d’une autre nature que le journal servant de papier de toilette et que j’ai aussi aussi connu dans mon enfance -, qui m’avait marqué en particulier: une de ses parentes, éprise d’un officier de l’armée blanche condamné à mort par les bolcheviques, était allée se placer à son côté devant le peloton d’exécution et s’était laissée fusiller avec lui. “C’était comme ça, à cette époque”, disait ma mère, “les gens étaient un peu toqués”.
C’est en bonne partie pour tenter d’y voir plus clair, pour tenter de reconstituer le puzzle de cette époque chamboulée (à cet égard la nôtre n’a rien à lui envier) que j’ai choisi plus tard de faire des études d’histoire. Ne devient-on pas plus intelligent après coup? Je ne le regrette pas un seul instant, même si tout ce que j’ai tiré de mes études, c’est surtout que je comprends aujourd’hui que je ne comprenais pas…
Quel magnifique témoignage : j’en bois chaque ligne. Merci.
J’ai le vif souvenir des récits de mes grands-parents, nés à l’aube du siècle dernier, que je ne me lassais pas de ré-interroger pour avoir des détails sur “ce que ça faisait de vivre ça” (les travaux physiques, la discipline de fer, le contrôle par la religion, la guerre, les privations…) et je n’ai que le regret de toutes les questions qui me sont venues après leur disparition, questions auxquelles je n’aurai pas de réponses. C’est un des meilleurs exercices de partage et de décentrement que j’aie pu vivre. Une façon de “se situer” dans un contexte plus vaste, et d’habiter la filiation, d’agrandir sa vie par la diachronie.
J’espère ne pas “enterrer les vieux trop vite”, non, catégorie qui n’est désormais plus un futur en ce qui me concerne. Mais précisément, il m’arrive régulièrement de renoncer à un conseil ou un témoignage, pour avertir, mettre en garde, plus jeunes que moi, parce que je reconnais, dans les paroles que j’ai envie de tenir, celles qui me paraissaient si datées, si déphasées, si peu en relation avec ce que je vivais lorsque j’avais leur âge.
Merci Marie-Claude Sawerschel pour ces belles réflexions. Un élément n’apparaît pas à mon sens concernant le rôle consolateur que peut jouer la philosophie. Proposer une réflexion rationnelle sur la situation vécue, et permettre ainsi une compréhension adéquate susceptible d’apaiser les tourments, m’apparaît difficile sans qu’un amour actif puisse apporter à la raison toute sa puissance. La question reste donc posée de ce que peut être l’objet de cet amour.
Vous avez mille fois raison, Raphaël, et je reconnais la patte de Spinoza derrière cette belle observation. Il y aurait une réflexion à conduire sur ce qui motive l’exercice de la consolation lui-même. Sans doute un amour actif qui, par pudeur, ne dit pas son nom…