Sale bête

(3) À la niche, le propre de l’homme!

Résumé des épisodes précédents: le spécisme est la discrimination fondée sur l’appartenance d’espèce; et cette discrimination est injuste. De fait, parce qu’il est purement biologique, le critère sur lequel elle s’appuie est dénué de pertinence morale. À ce stade, vous doutez peut-être du caractère strictement biologique de l’appartenance d’espèce. Si c’est le cas, félicitations pour votre esprit critique! Et spéciale dédicace: le présent billet est pour vous.

Comme chacun sait, le propre de l’homme est: le langage, la raison, le rire, la conscience (de soi, en tout cas), l’imagination, la curiosité, la capacité d’utiliser des outils, la capacité de fabriquer des outils, l’altruisme et l’empathie, le sexe récréatif… La liste n’est pas longue; elle est sans fin. Comment peut-on faire de l’humanité une catégorie biologique quand cette notion relève si clairement de la psychologie?

La question est intéressante puisque les propriétés mentales ont, sur leurs cousines biologiques, l’avantage d’être parfois pertinentes du point de vue moral. Les antispécistes ne vous diront pas le contraire, eux qui considèrent généralement que nous n’avons de devoirs qu’envers les êtres “sentients” – c’est-à-dire susceptibles d’expériences plaisantes et déplaisantes. Il se pourrait donc que les humains jouissent d’un statut moral supérieur parce qu’ils sont doués de raison, capables d’empathie et un peu obsédés. Le spécisme se verrait par là justifié.

Mais cette hypothèse se heurte à deux difficultés. Premièrement, quelle que soit la propriété mentale jugée pertinente, l’ensemble des individus qui l’instancient sera distinct de l’ensemble des êtres humains. Elle sera soit absente chez certains humains soit présente chez certains animaux, ou pire encore: les deux à la fois. La conscience de soi peut servir d’illustration. Si les nouveau-nés et certains handicapés mentaux ne sont pas conscients d’eux-mêmes, ils n’en sont pas moins humains pour autant. Inversement, les cochons et les dauphins ne font vraisemblablement pas partie de l’espèce humaine bien qu’ils soient souvent conscients d’eux-mêmes. On aurait donc tort d’identifier humanité et conscience de soi.

Inutile de réitérer ce raisonnement pour chacun des prétendus propres de l’homme afin d’en tirer la conclusion qui s’impose: en dépit des apparences, l’appartenance d’espèce n’est pas une propriété mentale.

Deuxièmement, bien qu’elles relèvent de la psychologie plutôt que de la biologie, ces propriétés demeurent moralement arbitraires. En effet, les nourrissons et les vieillards séniles ne comprennent ni le théorème d’incomplétude de Gödel ni les blagues de François Rollin. Qui conclurait de cette observation banale que leurs intérêts importent moins que les vôtres ou les miens? Le statut moral d’une entité ne dépend pas du fait qu’elle possède l’un ou l’autre des propres de l’homme.

Moralité: l’appartenance d’espèce est une propriété biologique, et elle n’est que cela. Moralité bis: le spécisme est bien l’analogue au niveau de l’espèce de ce que sont le racisme et le sexisme à l’échelle de la race et du sexe, une discrimination injuste parce que fondée sur un critère arbitraire.

 

(Illustration: Fanny Vaucher)

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