Et si nous parlions d'école?

Cas d’école

Ça y est. La cloche a sonné sur une nouvelle année scolaire. Mes enfants préparent leur cartable, chargé de tous les classeurs qui vont peu à peu se remplir. Plus encore qu’eux, j’ai la boule au ventre.  Que devront-ils encore ingurgiter cette année ? Les sempiternelles frontières d’un monde pourtant fluctuant, sans se poser la question de savoir pourquoi elles existent et pourquoi elles changent ? Les noms des différentes familles de batraciens, sans se demander pourquoi la biodiversité disparaît et en quoi les zones humides sont indispensables à la vie ? La nomenclature de la république romaine, sans en profiter pour mettre en perspective les différentes démocraties à l’œuvre dans notre monde contemporain et les menaces qui pèsent sur elles ? A chaque devoir à apprendre par cœur pour une évaluation sommative dont ils ne retiendront que la note qu’ils auront obtenue, je désespère…

 

Que devraient apprendre ces enfants du XXIe siècle pour faire face à la complexité du monde dans lequel ils évoluent déjà ? Cette question, je l’ai posée à mes étudiants, futurs enseignants primaires, mais également à des enseignants confirmés, engagés dans un master visant l’enseignement spécialisé. Les réponses obtenues sont à peu près les mêmes : être réflexif, curieux, autonome, avoir un esprit critique, savoir coopérer, avoir confiance en soi, être ouvert aux changements et créatif. Nous ne sommes pas très loin de ce que proposent les grands penseurs de l’éducation, tels que Ken Robinson, André Giordan, Philippe Meirieu ou Edgar Morin pour ne citer que les plus connus. Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes. Si les théoriciens et les praticiens se retrouvent dans les objectifs que les enfants devraient atteindre, nous voilà assurés de pouvoir compter sur une école de qualité.

 

Mais voilà que la deuxième question que je pose à mes étudiants met tout de suite un bémol à ce tableau. Car, lorsque je leur demande d’évaluer, sur une échelle allant de ++ à – – ce que fait concrètement l’école pour atteindre ces objectifs, force est de constater que, si elle tente de rendre les élèves autonomes, cette autonomie s’arrête bien souvent à celle qu’il faut pour gérer ses devoirs de la semaine. Quant à la réflexivité, si elle apparaît dans la manière dont les élèves s’y prennent pour résoudre un problème mathématique, elle n’est jamais mise en pratique pour répondre à des questions touchant le quotidien ou les grandes questions socio-techniques qui jalonnent pourtant les grands titres des médias. Certains items, tels que la curiosité, le développement de l’esprit critique, la confiance en soi ou la créativité se voient même attribuer  de – ou même de – -, preuve de leur (quasi) absence des objectifs scolaires.

 

Pourtant, le monde a urgemment besoin de citoyens responsables, sachant prendre des décisions réfléchies, issues d’une réflexion où l’éthique et les valeurs prennent le pas sur l’économie. La démission de Nicolas Hulot du gouvernement français après 15 mois en tant que ministre de la transition écologique et solidaire est révélatrice d’un état de fait qui laisse pantois. Tous les signaux sont au rouge –mort des océans, pénurie d’eau potable, terres arables qui disparaissent sous les flots, glissements de terrain, fonte des pôles, désertification et, bien sûr réchauffement climatique à l’origine de tous ces maux- et nous restons figés dans une vision du monde axée sur l’économie de marché. Pourtant, quand les denrées alimentaires ne suffiront plus à nourrir l’humanité, je doute que les billets verts, même accommodés à la sauce tartare ou tomate, ne soient très digestes. Au nom d’une certaine vision du développement durable, nous mettons un équilibre artificiel entre l’économie, le développement social et l’écologie. C’est oublier que, sans nature, il n’y a plus de société, et sans société, plus d’économie. Le raisonnement est simple, mais il semble totalement échapper à nos dirigeants, nos économistes, nos entrepreneurs. Comme le rappelait Nicolas Hulot dans son interview, les lobbies sont partout et oeuvrent à faire capoter toutes les décisions qui pourraient mettre en péril les monstrueux bénéfices des multinationales et des organisations professionnelles… jusqu’au lobby de la chasse ! Après nous le déluge… sauf que le déluge, nous risquons tous, à moyen, voire à très court terme, de nous le prendre sur la tête.

 

L’école accueille en son sein tous les enfants, quelles que soient leurs origines socio-culturelles. Aucun enseignant ne peut affirmer qu’il n’aura pas, un jour ou l’autre, dans sa classe, le ou la futur.e directeur/trice de la banque mondiale, le ou la prochain Bill Gates –version helvétique, bien sûr- le ou la pdg de Nestlé ou de Bayer ou encore un.e politicien.e de notre gouvernement. L’école a donc le devoir de leur donner les outils pour penser le monde afin de le rendre viable, vivable et équitable. Si les connaissances sont indispensables pour comprendre les problèmes actuels, c’est avant tout la manière dont nous sommes capables de les comprendre, de les mettre en perspective et de les utiliser qui est importante. Et cette compréhension ne peut se faire qu’en croisant les disciplines. Si nous parlons de problèmes globaux, c’est bien parce que nous avons fonctionnés dans des paradigmes disciplinaires, qui n’ont pas permis de comprendre les enchaînements et les boucles de rétroactions à l’œuvre. Les changements climatiques sont un exemple parfait de ces multiples interactions.

Les conséquences de l’augmentation de l’effet de serre, Pellaud, 2015, UVED (MOOC EDD) CC BY-SA 3.0

Il n’y a plus un instant à perdre. Nous devons offrir à nos élèves l’opportunité d’être plus intelligents que nous ne l’avons été jusqu’à présent. Nous devons leur offrir la capacité à transformer en profondeur nos manières de vivre et de penser et à sortir de cette torpeur qui fait de nous des grenouilles qui ne sentent pas que l’eau de la casserole où elles baignent est en train d’augmenter et qu’elle finira par les cuire. Pour ce faire, ils doivent acquérir la confiance en eux, en leur capacité d’action pour, qu’à travers leur créativité et leur esprit d’initiative, ils soient capables d’envisager des solutions différentes, mieux adaptées à une coexistence pacifique entre la nature et nous. Le plan d’études romand (PER) offre cette opportunité de transformer l’école que nous connaissons en une école tournée vers la construction d’un avenir. Certains enseignants expérimentent déjà cette mise en place de nouveaux paradigmes. Et c’est du devoir des HEP, mais aussi des directeurs ou des responsables d’établissements scolaires, de les soutenir dans ces initiatives. Nous n’en sommes qu’aux prémisses, mais je reste optimiste. Ayant la chance de travailler avec quelques enseignantes et enseignants motivé.e.s, je me dis que tout n’est pas perdu…

 

Et pour tous ceux qui, sensibilisés ou non aux conséquences du changement climatique, ont de la peine à voir ce que cela donnera, je conseille le livre d’Erik M. Conway et Naomi Oreskes, « L’effondrement de la civilisation occidentale », éd. Les Liens qui libèrent, 2015

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