Kit de survie: premier outil

Nous sommes dans un monde étrange. Quand un·e auteur·e de blog donne son avis, les commentaires fusent. Quand, au contraire, il/elle sollicite l’avis de ses lecteurs ou lectrices, extrêmement peu de personnes s’expriment. Dommage. J’aurais été vraiment intéressée de savoir quels outils vous souhaiteriez voir dans le kit de survie de nos jeunes au bout de leurs 11 années d’école obligatoire.

Je me permets donc de reprendre la plume pour proposer le premier outil que je mettrais dans ce kit de survie: le respect. Un respect tourné vers toutes les formes de vie (humaine, animale et végétale), et pas seulement vers celles qui nous sont utiles, nous ressemblent ou que nos critères esthétiques estiment “chou”. Mais ce respect, comment le construire? Une piste est celle du développement de l’empathie. En comprenant l’autre, en parvenant à se mettre à sa place, à adopter son point de vue, on est certainement plus enclin à le respecter et à l’aider.
Car sauver à tout prix le mignon petit chat qui va devenir un grand prédateur d’oiseaux est plus facile que de remettre dans un champ le ver-de-terre que la pluie a conduit sur une route goudronnée. Pourtant, ce dernier, contrairement au précédent, contribuera bien plus à l’équilibre écologique, permettant à la terre de respirer, de se renouveler et d’ainsi offrir aux plantes les nutriments dont elles auront besoin pour pousser et donner des fruits. Mais évidemment, il est plus agréable de caresser un chat que de prendre un lombric délicatement entre ses doigts.
D’une manière plus triviale, nous avons pu constater, qu’il est plus facile d’avoir de l’empathie et donc d’accueillir des Ukrainiens que des Syriens. Ils sont plus proches de notre culture, ont une physionomie d’Européens et leur pays nous fournit des denrées indispensables.

Nous sommes actuellement plus de 8 milliards d’êtres humains sur cette planète, qui va se rétrécir au fur et à mesure que des zones entières ne pourront plus accueillir la vie humaine ou permettre une agriculture vivrière. Des mouvements de masse de populations sont donc à prévoir. Pour y faire face sans violence, nous devons apprendre à vivre ensemble, à s’entre-aider, à s’accepter, à collaborer, à coopérer, à communiquer pour atteindre des objectifs discutés et décidés en commun.

L’empathie peut donc conduire au respect. Et c’est bien cette valeur fondamentale qui fait le plus défaut dans nos sociétés occidentales. On revendique sans cesse le respect de nos libertés individuelles, de nos choix de vie et de penser, mais sans jamais se questionner sur les conséquences que ces dernières peuvent avoir. Ces libertés sont-elles respectueuses de l’autre? Et dans cet autre, je ne mets pas que mon voisin de palier. J’inclus l’ensemble de cet équilibre qui nous permet, depuis des milliers d’années de nous développer en tant qu’espèce humaine.

Et il serait grand temps de penser à préserver cet équilibre. Cette année, “le jour du dépassement” pour la Suisse, c’est-à-dire, la date à laquelle l’humanité, si tout le monde vivait comme nous, aura utilisé l’ensemble des ressources que la Terre est capable de régénérer en un an, sera le 13 mai. 
Et cette date tend à s’approcher de plus en plus du début de l’année. Quand prendrons-nous conscience que notre manque de respect et d’empathie est à la source de nos problèmes ? Quand aurons-nous assez d’empathie et de respect pour notre Terre pour ne plus la mettre à mal ? Serons-nous assez intelligents pour comprendre que nous coupons la branche sur laquelle nous sommes assis?

Kit de survie

On trouve de plus en plus de textes d’anticipation (voir quelques propositions ci-dessous) s’appuyant plus ou moins sur certaines prédictions du GIEC ainsi que sur des faits historiques transposés à notre époque, qui décrivent notre avenir en tant qu’être humain occidental.
Habitués comme nous le sommes à bénéficier d’une liberté individuelle qui ne s’arête plus depuis longtemps là où commence celle de l’autre, ainsi qu’à une accessibilité sans limite -si ce n’est financière- à tous les biens de consommations et aux loisirs, ces prédictions ne sont guère radieuses. Elles évoquent des restrictions, une relocalisation forcée, des déplacements restreints et des changements d’habitudes radicaux et non choisis. Mais, surtout, elles rappellent que la principale conséquence des dégradations environnementales qui ont déjà commencé sera la violence physique qu’accompagnera tout une série de crises sociales.

Parmi les ouvrages consultés, Dans la forêt, un livre de littérature jeunesse écrit par Jean Hegland en 1996 (version anglaise, traduite en français en 2017), m’a particulièrement interpellé. Peut-être parce que, les deux héroïnes vivant dans un grand isolement, la violence, bien que sous-jacente et responsable de leurs plus grandes décisions, n’est pas omniprésente. Mais certainement parce que les deux protagonistes, livrées à elles-mêmes dans un monde où les biens de consommation usuels ne sont plus accessibles, doivent apprendre à se débrouiller par elles-mêmes. Et cet apprentissage est ardu car, ni l’une (sensée intégrer Harward à la rentrée universitaire) ni l’autre (destinée à rejoindre le Grand Opéra) n’ont jamais été sensibilisées aux bases d’une survie en autarcie. Pire, bien que vivant à côté d’une immense forêt, celle-ci n’est présentée par leurs parents que comme un lieu rempli de dangers qu’il faut absolument éviter.

Confrontées à leurs ignorances, elles doivent alors réapprendre tous les savoirs qui étaient, pourtant, ceux de nos grands-parents (je parle pour ma génération…). Savoirs, connaissances, compétences qui ont été très vite oubliés dès que l’industrialisation a vu le jour et que les échanges commerciaux ont transformé, voire évincé nos échanges sociaux.

Impliquée dans l’enseignement, ces réflexions ont suscité en moi un grand questionnement. Bien sûr, apprendre à utiliser, voire programmer un ordinateur est essentiel dans un monde comme le nôtre. Mais si l’énergie venait à manquer, autrement que par quelques coupures intempestives, que deviendraient nos ordinateurs et notre incessant recours à tous les “tutos” que propose Internet ? Et si nos biens de consommation et notre nourriture ne parvenaient plus jusque dans nos super-marchés? Serions-nous capables de les produire par nous-mêmes? Quels devraient être nos savoirs, nos connaissances et nos compétences pour continuer à vivre  en créant une société  basée sur une autre reconnaissance que celle, économique, que nous connaissons aujourd’hui?

Bien qu’ayant déjà certaines idées à ce sujet que je partagerai dans un prochain article, je serais intéressée à connaître les vôtres. N’hésitez pas les formuler dans les commentaires. Je me ferai un plaisir de les publier, pour autant qu’elles soient formulées dans un esprit constructif et respectueux.

Quelques ouvrages qui m’ont inspirée:

Interview de Michel Lussault par Guillaume Lamy, 05.03.2019: https://www.lyoncapitale.fr/actualite/lyon-a-quelles-crises-faut-il-sattendre-en-2050

 

Votation bidon

Le 13 février 2022, les habitants du canton de Berne devront se prononcer sur une modification de la loi sur l’imposition des véhicules routiers.
Comme souvent, nous allons voter pour la qualité de l’emplâtre que nous allons poser sur notre jambe de bois. Modifier la taxe des véhicules est certainement une bonne chose pour faire évoluer nos (mauvaises) habitudes et participer à l’effort collectif pour contrer le réchauffement climatique. Mais, telle qu’elle est pensée, cette modification de la loi ne fait que diviser les avis, donnant un argument de plus à celles et ceux qui estiment que notre gouvernement veut nous priver de nos sacro-saintes libertés individuelles, sans apporter de réponses claires aux multiples défis que doit affronter la mobilité en Suisse et partout dans le monde.

En d’autres termes, penser que la planète ira mieux lorsque l’ensemble du parc automobile suisse aura passé du moteur thermique à l’électrique est un leurre. Parce que les seules voitures écologiques sont celles que, non seulement nous n’achetons pas, mais surtout que nous ne fabriquons pas. Il faut donc penser en amont pour limiter la mobilité individuelle. Ceci passe par des réflexions profondes sur l’aménagement du territoire, l’urbanisme, la gratuité et l’offre des transports publics et, bien sûr, l’organisation du travail.
 
Si, malgré tout, on veut s’occuper des voitures individuelles, alors il est juste de favoriser les voitures légères, y compris les voitures électriques. Car il faut se rappeler qu’une voiture électrique lourde indique des batteries surdimensionnées dont la fabrication nécessite de grandes quantités de ressources fossiles dont l’extraction n’est pas sans conséquences sociales et environnementales, y compris en termes de production de CO2.

Mais tout ceci semble passer complètement à côté des têtes pensantes de nos dirigeants. D’où l’urgence d’enseigner, dès la plus tendre enfance, la créativité et la complexité. Ceci pour, d’une part, être capable de sortir des cadres restreints de nos habitus pour pouvoir penser « autrement » le monde et son évolution. Et, d’autre part, pour être capable d’adopter une vision systémique, globale, qui permet de voir plus loin qu’un seul aspect du problème, à savoir, en ce qui concerne cette modification de la loi, ce qui sort du tuyau d’échappement.

Enfin, pour une taxe réellement incitative visant une réduction de l’utilisation de la voiture individuelle, celle-ci devrait prendre en compte non seulement l’émission moyenne de CO2, mais surtout le nombre de kilomètres réalisés au cours de l’année…

Où atterrir… en cas de catastrophe climatique?

Je ne vais pas m’étendre sur les décisions en demi-teinte qui caractérisent la COP26 qui vient de se terminer.

Je préfère rebondir sur l’image qui illustre l’article de Simon Petite dans le numéro du Temps du 14 novembre 2021. On y voit, selon le commentaire qui l’accompagne, un manifestant brandir une banderole avec le slogan “Le climat change, pourquoi ne changeons-nous pas?”

Excellente question. Militante pour un “catastrophisme éclairé” (Jean-Pierre Dupuy, 2004), je pense que, comme dans le mythe de Jonas (celui qui a fait un séjour dans le ventre d’une baleine), l’annonce d’une destruction programmée (ce que fait le GIEC si nous ne changeons rien à notre “business as usual” ) devrait nous conduire à modifier radicalement nos comportements pour éviter à tout prix cette prophétie de malheur.

Or, mis à part les pays qui subissent déjà maintenant les affres du réchauffement, les autres, et les plus pollueurs, ne changent rien. Trop d’argent en jeu, trop d’intérêts financiers, trop d’investissements à rentabiliser, trop de lobbies dans les coulisses du pouvoir.

Alors, comme le disait Gro Harlem Brundtland dans l’Agenda 21 pour le grand public en 1992 déjà : “Les promesses faites à Rio (nous pourrions dire Glasgow…) ne pourront être tenues à temps pour assurer notre avenir que si les citoyens, les gens prêts à soutenir des décisions difficiles et à demander le changement, savent inspirer leurs gouvernements et exercer des pressions sur eux“. A nous donc, citoyens responsables et désireux de voir nos enfants et nos petits-enfants évoluer sur une planète accueillante et une société en paix de crier encore plus fort que nous voulons des changements radicaux pour freiner ce train du désastre lancé à grande vitesse sur les rails d’une “modernité” dont le nom même apparaît aujourd’hui désuet.

Il va donc falloir inventer autre chose qu’éteindre les lumières en sortant d’une chambre ou d’arrêter le robinet quand on se lave les dents pour changer la donne. Mais quoi? … Vers quel avenir voulons-nous tendre? Où désirons-nous atterrir, pour reprendre les termes de Bruno Latour (2017)? Nous n’avons aucune vision d’avenir. Ou, si nous l’avons, elle ne peut qu’être défaitiste, comme s’il n’y avait pas d’autre voie que celle de retourner vers l’âge des cavernes. Car, il faut bien l’avouer, dans notre Suisse luxuriante, si bien organisée, dans laquelle nul ne meurt ni de faim, ni de soins inappropriés, imaginer un avenir meilleur est difficile. Notre confort est si sécurisant qu’il nous fait oublier que tout le monde ne le possède pas et que son prix est celui que vont payer bien avant nous quantités d’habitants touchés tant par la désertification que par la montée des eaux. 

Si nous ne changeons pas, c’est tout simplement parce que nous avons trop à perdre. Du moins, dans l’immédiat. Et que nous n’imaginons pas ce que nous pourrions gagner qui puisse supplanter ce confort qui nous endort. Engoncé dans une société dont les membres ont oublié qu’ils n’avaient pas seulement des droits, mais également des devoirs, notre vision d’une liberté individuelle axée sur la propriété matérielle privée nous empêche de développer un imaginaire collectif porteur de sens et d’espoir. 

Et pourtant…. en assistant à la Session fédérale des jeunes qui s’est tenue dimanche passé sous la coupole, j’avais le coeur rempli d’espoir. Toutes et tous ont proposé des projets concrets pour sortir des ornières dans lesquelles nous nous enfonçons. Loin des lobbies et de leurs intérêts toxiques, ces jeunes adultes réussissaient à penser un monde où la justice sociale et environnementale prenaient le pas sur le besoin de croissance économique. Cela ne signifie pas que l’économie était oubliée. Non. Mais, pour une fois, elle n’était pas tournée de manière nombriliste vers ses seuls profits.

Vive les Suisses!

Des milliers de gens dans les rues pour fêter une victoire à laquelle personne ne croyait!
Quel magnifique moment d’euphorie nationale! Quelle magnifique image d’unité que nous a offert notre équipe de football durant cette huitième de finale contre les champions du monde en titre!

Les critiques sont unanimes: les Helvètes sont moins bons au niveau de leur jeu individuel que les Français, mais leur esprit d’équipe, leur unité et leur volonté les ont menés à la victoire.

Je ne peux m’empêcher de voir dans cet exploit la métaphore de celui que devrait réaliser l’humanité entière face aux enjeux climatiques et aux prévisions catastrophiques que révèle le rapport en cours d’écriture du GIEC

Le GIEC ne nous prédit pas l’avenir. Il ne nous prédit que ce qui arrivera SI nous ne réagissons pas immédiatement pour sortir de notre immobilisme face au consumérisme et le transformer en une lutte acharnée pour réduire notre surconsommation de combustibles et de ressources fossiles.

A l’image de notre équipe de football nationale, nous devrions montrer au monde que nous sommes prêt·es à défendre notre planète, notre atmosphère afin que nos enfants et nos petits-enfants puissent, à leur tour, bénéficier d’un monde dans lequel il fera encore bon vivre… et jouer au foot!

Pourquoi changer? On est si bien!

Dans le Temps de ce matin, deux articles m’interpellent. Le premier, présentant l’étude de Sabine Emad, professeur de marketing à Genève, tend à montrer que la génération des jeunes (les millennials et la génération Z selon l’étude) n’a pas la fibre écologique et sociale que promettaient les grèves pour le climat de l’avant-Covid. Plus encore, alors qu’il semblait que la période Covid avait permis de repenser notre lien à la nature -souvenez-vous du plaisir à contempler des ciels sans trainées d’avion, du besoin de nature des citadins confinés, du bonheur retrouvés par certains à cultiver leurs légumes, etc.- son étude montre que les anciennes habitudes consuméristes refont surface en même temps que s’allègent les contraintes liées à la distanciation sociale et, surtout, aux déplacements. 

A leur décharge, la pandémie a encouragé l’e-commerce, qui n’avait d’ailleurs pas besoin d’elle pour faire son beurre. Et notre cerveau limbique participant à nous faire choisir la solution la plus agréable, voire facile, ne cherche que sous la contrainte du néocortex à nous faire réfléchir aux enjeux de nos actions. Autant dire qu’il faut des valeurs bien ancrées pour faire l’effort de se poser les “bonnes” questions quant à nos choix de consommation.

Ainsi, Zalando fait fortune au mépris de ses employés, autant que de l’écologie. Il n’est bien sûr pas le seul, Amazon, par exemple, n’est pas mieux.

Le second article qui a retenu mon attention ce matin montre comment Mac Donald fait du greenwashing pour verdir un peu plus son image en Suisse. Car nous savons tous que la Suisse a une grande propension à faire en sorte que les pollutions se fassent en dehors de ses frontières, préservant ainsi notre image d’un pays “propre”. Nos banques sont les premières à montrer l’exemple en investissant discrètement dans des exploitations extrêmement polluantes et non éthiques, ou en faisant mine -c’est le cas de le dire- de ne pas être impliquées auprès d’entreprises qui le font.

Pour en revenir à Mac Donald, il est bien évident que la première source de pollution, sa production de viande, que ce soit pour ses nuggets ou pour ses hamburger (même s’ils affirment que la viande est locale), n’est absolument pas remise en question. Mais qu’importe, surtout si celle-ci ne fait que détruire la forêt amazonienne. L’important, c’est bien que les véhicules qui la livrent sur les routes helvétiques roulent écologique! Pour autant que la voiture à hydrogène dont ils font leur emblème pour atteindre un steak neutre en carbone le soit vraiment…

Quels liens entre tout ceci et l’éducation? Un lien qui me semble évident en tant que formatrice de futur·es enseignant·es primaires: engoncés dans une vision du développement durable qui nous a rendu “climato-quiétistes“, nous n’avons pas préparé et nous ne préparons toujours pas les jeunes génération à penser des changements significatifs, ni à comprendre l’urgence dans laquelle ils doivent être réalisés. Il manque, dans notre vision de l’enseignement, des éléments-clés tels que le questionnement philosophique de ce qui fait notre bien-être. Notre estime de soi, notre respect des autres, notre empathie envers le vivant sont autant de compétences émotionnelles qui nous permettent de nous sentir assez bien dans notre peau pour pouvoir nous contenter de ce que nous avons, sans toujours chercher à “avoir” plus. Il faudrait un jour avoir le courage de poser à chaque élève la question de ce qui nous caractérise: le verbe “être” ou le verbe “avoir”?  

Tant que nous penserons d’abord facilité et confort matériel avant de mettre en avant le lien social et le lien environnemental, aucun changement ne sera possible. Et “nos jeunes” continueront à prendre un vol low-cost pour aller faire du shopping à Londres ou Barcelone tout en mangeant vegan des produits sur-emballés dans du plastique.

Et si on parlait d’autre chose que des changements climatiques?

En dehors de l’apprentissage des éco-gestes, la majeur partie de ce qui se passe en éducation en vue d’un développement durable fait référence aux changements climatiques. Certes, c’est l’épée de Damoclès qui pèse de plus en plus lourdement sur nos têtes, et les médias en sont la caisse de résonance. Mais que pouvons-nous y faire, nous, simples citoyens ? Et plus encore les enfants? Car si, en tant qu’adultes, nous pouvons au moins choisir d’isoler notre maison et de préférer un gros pull au chauffage, de supprimer nos voitures polluantes au profit des transports publiques, de passer des vacances en partant en train plutôt qu’en avion, de choisir des produits locaux ne nécessitant pas de longs transports…. que peuvent faire les enfants comme actions concrètes? Il faut être réaliste. Sans décisions politiques fortes et une économie se détournant complètement des hydrocarbures, nos actions individuelles ne vont pas sauver la planète. Par contre, elles ont le pouvoir de montrer aux dirigeants que nous sommes prêts à changer et à modifier nos habitudes. Ce qui n’est pas rien.

Mais côté école ? Est-ce bien le thème à aborder ? Certes, il est essentiel d’être conscient de la situation et de la comprendre, ne serait-ce que pour pouvoir accepter les changements que celle-ci devrait imposer. Par contre, l’impuissance que l’on ressent face à tout cela est peut-être encore plus déprimant pour les enfants que pour les adultes.

En abordant des thématiques tout aussi importantes mais peut-être moins médiatisées, l’école peut offrir aux élèves de véritables possibilités d’action. S’attaquer au problème de la diminution de la biodiversité en créant un jardin potager, des espaces fleuris, un étang permet d’observer de véritables changements, déjà sur le temps d’une année scolaire. Se préoccuper des ressources fossiles en identifiant les composants d’un smartphone ou d’un ordinateur peut faire prendre conscience qu’en changer toute les années est une ineptie écologique qui favorise cette économie débridée qui ruine notre environnement.
Travailler sur les habitudes alimentaires pour consommer moins de viande et provenant d’élevages non intensifs, des poissons issus d’une pêche artisanale sont également des thèmes dont les impacts peuvent être très directs.

Mais les écoles peuvent aussi, et surtout, s’attacher au développement de compétences socio-émotionnelles. Apprendre à respecter la vie sous toutes ses formes, l’autre quel qu’il soit et quelles que soient ses opinions, au travers d’attitudes bienveillantes, compréhensives, à travers la capacité à s’exprimer sans vouloir écraser l’autre sont autant de capacités primordiales pour un bien-être social autant que pour la nature.
Apprendre à collaborer, à s’entre-aider, à grandir ensemble en visant une « intelligence collective » plutôt qu’une compétition effrénée va dans le même sens. Mais pour ce faire, il faut peut-être remettre en question notre manière d’évaluer. Tant que la collaboration sera appelée « tricherie » lors d’un test et que la “qualité” de l’élève sera évaluée à l’aune de la moyenne de la classe, tant par l’élève lui-même que pas ses parents, il y a peu de chance qu’on parvienne à atteindre ces idéaux.

Accepter pour affronter

  • Depuis des années les chercheurs tentent de faire en sorte que l’école participe au développement de la pensée complexe, de l’esprit critique, de l’autonomie de pensée afin que les élèves deviennent des citoyens responsables, capables de faire des choix en toute connaissance de cause, que ce soit dans leur vie professionnelle ou privée.
  • De plus en plus de travaux sont entrepris afin que le système scolaire quitte l’évaluation sommative de connaissances notionnelles basées sur une bonne mémorisation pour aller vers une évaluation des compétences. Ceci afin que les élèves possèdent un “savoir-agir” mêlant compétences cognitives, sociales, émotionnelles et savoir-faire.
  • Dans les pratiques de classe, on voit apparaître des approches censées reconnecter les enfants à la nature par des pratiques de pleine conscience, des visites de “fermes pédagogiques”, la construction de “canapés forestiers” ou des sorties plus ou moins régulières en forêt ou en campagne.

Nous pouvons imaginer que les chercheurs (ou du moins certains…) et les enseignants qui mobilisent de telles pratiques désirent amener les élèves à développer une capacité à comprendre le monde qui les entoure, ainsi qu’une relation émotionnelle avec lui, afin qu’ils puissent agir pour le préserver et faire en sorte qu’il soit “durable”. Car l’objectif final n’est-il pas, comme le disait Gro Harlem Brundtland en 1986 déjà, de promouvoir un développement (durable) qui satisferait “les besoins des générations présentes sans compromettre la possibilité pour les générations à venir de satisfaire leurs propres besoins”?

La question est de savoir si ce que nous entreprenons avec les élèves a un lien avec cette définition. En d’autres termes, les objectifs que nous fixons pour nos élèves sont-ils cohérents avec cette solidarité que nous devrions avoir vis-à-vis des générations futures?

Tout comme Nicolas Casaux, dont sa réflexion du 28 mars 2018 inspire certaines des lignes de ce blog, ou Christian Salmon, invité des “Matins de France culture” du 15 octobre 2020, dont les propos m’ont permis de mettre en mot certains ressentis, j’ai l’impression que nous avons perdu de vue l’essence des propos de Mme Brundtland. 

En effet, comment pouvons-nous imaginer que le monde dans lequel nous vivons puisse perdurer, alors que nous puisons des ressources non renouvelables en détruisant la biodiversité qui fait l’harmonie et les équilibres subtiles de la vie sur notre petite planète ? Notre vision est-elle à si court terme que “les générations futures” se limitent à nos propres enfants, voire, si tout va bien, à nos petits-enfants? Car il ne faut pas se leurrer: à la vitesse à laquelle nous pillons les richesses souterraines, la plupart du temps sans se donner les moyens de les recycler, les générations futures n’auront plus grand chose à aller chercher. “Nous sommes riches parce que nous vivons sur notre capital. Le charbon, le pétrole, les phosphates que nous utilisons de façon si intensive ne seront jamais remplacés. Lorsque les réserves seront épuisées, les hommes devront faire sans… Cela sera ressenti comme une catastrophe sans pareille. » disait l’écrivain de fiction Aldous Huxley en 1928 (Vanity Fair, octobre 1928). Depuis, l’intensification de ce pillage est devenue exponentielle et n’a plus aucune mesure avec ce qu’Huxley dénonçait à l’époque.

Alors, que faire de toutes nos bonnes intentions de chercheurs ou d’enseignants? Devons-nous continuer à apprendre à nos élèves à trier leurs déchets, à couper l’eau pendant qu’ils se brossent les dents ou à éteindre les lumières lorsqu’ils sortent d’une pièce? Ne sommes-nous pas simplement en train de leur dire que, si nous faisons tous un petit effort, nous pourrons sans problème continuer à vivre dans le monde tel que nous le connaissons et tel que nous l’apprécions? C’est ce que nous avons déjà dénoncé, en accusant le concept de développement durable de nous avoir rendu “climato-quiétiste”. Or, s’il est vrai que les petits ruisseaux font les grandes rivières, les changements que nous devons induire ne se contentent pas de quelques éco-gestes. Ils nécessitent une refonte totale de notre société. Et, s’il n’est pas inutile d’induire, chez nos élèves les plus jeunes, des gestes en faveur de l’environnement, il est essentiel qu’ils ne s’illusionnent pas en pensant que c’est ainsi qu’ils vont “sauver le monde”. Leur faire comprendre que nous faisons partie d’un immense puzzle dont chaque pièce a son importance est une chose, mais les conduire à penser le changement et à y participer non par quelques éco-gestes individuels mais par une organisation sociale solidaire visant une économie radicalement différente de celle basée sur l’exploitation des ressources fossiles en est une autre.

Cela peut commencer par penser à ne plus faire de déchets au lieu de simplement les trier, par apprendre à se nourrir avec des produits sains, tant pour la planète que pour notre corps en plus de couper l’eau pendant que l’on se lave les dents et envisager des échanges commerciaux moins mondialisés, qui ne désertifient pas les pays producteurs en plus d’éteindre les lumières lorsque l’on sort d’une pièce. Ce n’est qu’en visant de tels objectifs que le développement de la pensée complexe et le développement d’un “savoir-agir” responsable prendront tout leur sens. Et si les enseignants gardent à l’esprit ces objectifs en utilisant les outils et les ressources mis à leur disposition, chaque approche pédagogique décrite précédemment prendra un sens bien différent de celui qui leur est, habituellement, attribué. 

Ces objectifs ne sont pas la porte ouverte à une vision colapsologique de l’existence. Mais, comme le dit Jean-Pierre Dupuy dans son excellent livre “Pour un catastrophisme éclairé”, (éd. Seuil, 2004) : « C’est parce que la catastrophe constitue un destin détestable dont nous devons dire que nous n’en voulons pas qu’il faut garder les yeux fixés sur elle, sans jamais la perdre de vue. » Et la catastrophe n’est pas qu’écologique. L’effondrement de nos valeurs sont tout autant à craindre que celui de la biodiversité. Et ce n’est pas le récent crime de cet enseignant qui a osé faire son travail ou les dernières exactions de ce qui se cache sous la “cancel culture” qui me donneront tort…

 

Et si la pandémie perdurait?

Un échange de mails avec mon collègue Laurent Dubois, de l’université de Genève, m’a fortement interpellée. Je lui ai demandé l’autorisation de partager ces réflexions avec vous.

LD: “La crise sanitaire actuelle est évidemment une épreuve pour tout le monde. Les médias parlent maintenant déjà de l’après-crise… …comme si la fin de l’épidémie était déjà programmée ou comme si tout allait rentrer dans l’ordre dans quelques semaines ou dans quelques mois.

Et si ce n’était pas le cas ? Et si tout était plus complexe ?

Bien entendu, il faut espérer que le virus disparaisse rapidement et de manière durable. Ce n’est malheureusement pas le scénario le plus probable. Les études scientifiques prédisent plutôt une cohabitation longue avec des vagues successives, et donc avec des implications importantes sur la fin de l’année 2020 et sur l’année 2021. Notons par exemple des moments de confinement plus ou moins restrictifs durant l’année scolaire prochaine ou en tout cas une distanciation sociale et des gestes d’hygiène qui pourraient devenir la règle.

Notre société n’aime pas l’incertitude, les changements, l’instabilité. Les options discutées actuellement montrent qu’un “retour à la normale” à l’automne est considéré comme la seule alternative possible, alors que la prudence et le principe de précaution voudraient que nos autorités planchent d’ores et déjà sur des scénarios différents, remettant en question bon nombre de nos habitudes et de nos organisations.

Est-ce que les directions d’établissement (mais je sais qu’elle doivent actuellement gérer l’urgence et l’organisation de la rentrée), anticipent en envisageant différents scénarios pour l’année scolaire 2020-2021 ?

Je pense par exemple à la poursuite du développement de l’enseignement du et par le numérique. Une partie des activités numériques imaginées dans l’urgence pourraient certainement perdurer, se développer, permettant ainsi un passage en douceur à un enseignement à distance en cas de nécessité. Le développement du numérique, pour développer la relation avec les parents, effectuer un suivi des devoirs, faire vivre des activités au sein de la classe, profiter des atouts des technologies pour améliorer certains apprentissages et pour permettre une plus grande visibilité des activités faites en classe, permettrait sans doute d’être mieux préparés à une éventuelle nouvelle crise sanitaire. Le portage et l’adaptation des moyens d’enseignement sur support numérique pourrait aussi être un autre élément pertinent. Je l’avais d’ailleurs suggéré lors du renouvellement des manuels et des moyens d’enseignement à l’occasion de l’introduction du PER.

La question des distances sociales et de l’hygiène pourrait remettre en question d’autres habitudes et poser d’autres problèmes. Pour anticiper, il faudrait envisager d’autres organisations possibles afin de maintenir les écoles ouvertes. Par exemple, une école en demi-classes alternées sur le matin et l’après-midi. Ou un enseignement partiellement à distance pour certains élèves et en grande partie en présentiel pour les élèves en difficulté ou à besoin particulier. Il faudrait être inventif et correspondre à chaque contexte particulier!

Là, je ne parle que des mesures structurelles. Si notre société est aujourd’hui mal préparée à ce type de crise, c’est aussi une question de contenu d’enseignement. Mais là, c’est un autre enjeu, qui consisterait à revoir les priorités, notamment en revalorisant les sciences sociales et les sciences de la nature et en privilégiant le développement des compétences, des valeurs et une compréhension de notre statut d’être humain et de la « condition terrestre », dans ce monde complexe en évolution.

En dehors de cette pandémie, cette anticipation pourrait être utile en cas d’autres crises, en cours ou à venir, comme la crise climatique, d’autres pandémies prédites depuis plus de 10 ans par l’OMS, ou de crises sociales ou politiques.”

Ajoutons la crise économique qui pointe à l’horizon et nous ne pouvons que prêter une oreille extrêmement attentive aux propositions faites ci-dessus. Il n’y aura pas de retour en arrière. La “normalité” doit être redéfinie à l’aune de cette crise afin de prévenir les suivantes et nous préparer à faire face à un avenir dont nous ne connaissons pas encore les contours. Nous nous devons d’être novateurs, inventifs et entreprenants. Nous devons oser lâcher nos habitudes de pensée, nos réflexes hérités d’une époque où le monde et ses ressources apparaissaient comme infinis, et durant laquelle une confiance aveugle était dévolue à l’évolution scientifique et technologique.

En tant qu’enseignant·es, nous devons proposer à nos élèves de développer des compétences nouvelles, leur permettant de faire face à ces multiples inconnues qui planent sur leurs têtes, comme autant d’épées de Damoclès, mais également comme autant d’opportunités à saisir pour transformer un monde qui, il faut bien l’avouer, subit les assauts démesurés de notre domination industrielle. L’occasion peut-être de leur permettre de mieux comprendre le monde pour vivre en harmonie avec la nature et les autres êtres humains. De développer leur empathie et le respect de la vie pour éviter les injustices qui caractérisent l’histoire de l’humanité. Leur “apprendre à apprendre” pour ne jamais se faire submerger par les nouvelles connaissances qui émergent chaque jour et par la complexité des événements et de leurs enjeux. 

Tirer des enseignements. Etre plus intelligents et plus forts qu’avant, que cette crise perdure ou non. Anticiper et développer notre esprit prospectif pour faire de toutes ces situations des opportunités d’apprentissage et d’amélioration. Oser repenser l’école et ce qui la constitue, son organisation, ses finalités pour qu’elle soit un lieu d’éveil au monde et d’épanouissement et non une charge dont le poids, en temps de crise, repose sur le dos des parents. Car, comme l’écrivait encore Laurent Dubois dans un autre message, un enseignement à distance proposé dans l’urgence et donc non pensé et anticipé peut être un véritable générateur de stress:

En contact avec pleins d’acteurs du système éducatif, je reçois ces jours des messages angoissés, voire alarmants. En bref, des enfants submergés par le travail demandé pour chaque discipline (avec différents outils et logiciels à apprivoiser), des parents déboussolés par les activités scolaires de leur enfant, des familles nombreuses (qui n’ont qu’un ordinateur et donc maximum 1h30 d’utilisation par personne et par jour) qui n’arrivent pas à suivre, et des enseignants (moins à l’aise avec les technologies), effrayés par la surenchère affichée sur les réseaux sociaux pédagogiques, car n’arrivant pas à élaborer des outils d’enseignement à distance autres que l’envoi de documents par poste ou par messagerie. J’ai peur que, en plus de l’angoisse provoquée par la situation sanitaire, vienne se greffer un stress important lié à la mise en place d’un enseignement à distance, qui a été imaginé dans l’urgence par les Directions.

Pour d’autres, ne plus se déplacer jusqu’à l’école -certains élèves ont presque une heure de déplacement depuis certains villages-, ne pas devoir subir les cours frontaux de certains professeurs, ne pas être harcelé·es dans la cour de récré, avoir le temps d’organiser leur travail avec une plus grande latitude, pouvoir faire autre chose qu’attendre que tout le monde ait fini le même exercice avant de pouvoir continuer à apprendre, tout cela est vécu comme une libération.

Je ne vais donc pas me lancer dans des comparaisons exhaustives -je n’en aurais ni les moyens, ni la légitimité, n’ayant pas réalisé de recherche sur le terrain. Mon intention est plutôt de mettre en perspective les compétences qu’il faudrait développer pour permettre un fonctionnement optimal d’un enseignement à distance.

Confiance et autonomie vont de pair

Tout d’abord, dès le plus jeune âge, l’élève doit acquérir une confiance en ses capacités à apprendre. Cette confiance passe par l’attitude qu’aura l’enseignant·e envers lui. Laisser l’élève s’exprimer, chercher, expérimenter, faire des erreurs et l’accompagner pour qu’il puisse, par lui-même, comprendre l’erreur commise. Lui donner les moyens de prendre du recul en le questionnant, en le poussant à réfléchir, à remettre en question sa manière de faire, de penser, de raisonner. Ne pas lui asséner des réponses “toutes faites”, qui vont contribuer à tuer sa curiosité et l’habituer à attendre la réponse de l’adulte plutôt que de la chercher par lui-même. Car le cerveau est paresseux de nature!

La confiance nécessite le non-jugement. Elle passe aussi par l’autoévaluation de son propre travail et l’honnêteté qui va, peu à peu, s’élaborer dans la reconnaissance de l’effort effectué. Ai-je fait du mieux que je pouvais? N’ai-je pas bâclé le travail demandé? Pour arriver à ce stade de maturité, l’élève doit devenir autonome, non seulement dans sa capacité à gérer son temps, son travail, ses affaires, ses obligations, mais également dans sa manière de penser. L’autonomie de pensée est le début du développement d’un esprit critique constructif, c’est-à-dire qui ne critique pas de manière légère ou facile, mais qui propose des changements ou des améliorations fécondes à travers une attitude où l’émotionnel est pris en compte mais ne domine pas une réflexion argumentée.

Cette confiance conduit aussi à une plus grande persévérance. Si l’on a la conviction que l’on peut réussir, alors on développe la patience et la capacité à remettre plusieurs fois l’ouvrage sur le métier. Mais cette persévérance s’acquerra d’autant plus facilement que le travail demandé aura du sens. Un sens intrinsèque et pas seulement celui que donne l’enseignant au regard d’un sacro-saint programme. Si l’élève trouve du sens à ses apprentissages -soit parce qu’il est intéressé par l’objet d’étude, que celui-ci titille sa curiosité, soit parce qu’il en perçoit l’utilité pour atteindre ses propres objectifs- il éprouvera du plaisir à se dépasser et à apprendre. Dès lors, tout deviendra plus simple, car l’élève sera motivé.

Difficile, mais pas impossible

Je ne prétends pas qu’arriver à un tel stade est simple. Mais il sera plus facilement atteint si l’élève est confronté très tôt à ces responsabilités. Et certains enseignant·e·s l’ont bien compris. Plutôt que de demander aux élèves de signaler leur présence en début et en fin de leçon, et ceci tout au long de la journée, afin d’être sûrs qu’ils assistent à des cours ex-cathedra sur leur petit écran, certain·e·s enseignant·e·s, parmi les plus innovant·e·s, proposent à leur élèves de réaliser des travaux personnels -mais qui peuvent aussi être réalisés en groupe-, nécessitant de mettre en oeuvre leur créativité, leurs intérêts intrinsèques, leur capacité à chercher des informations, à s’intéresser à un sujet pour permettre son partage. L’occasion d’approfondir ce qui nous tient à coeur, de partager nos passions et d’apprendre à en parler, tant d’un point de vue technique qu’émotionnel. Présenter son animal de compagnie, son sport favori, un jeu vidéo, sa passion pour l’astronomie ou son combat pour la crise climatique sont autant de sujets qui conduisent à développer (et apprendre à partager) aussi bien des connaissances que des compétences. Un travail dans lequel l’enseignant·e fait confiance à ses élèves en développant leur autonomie.
Un tel travail peut-il être évalué? Bien sûr, les critères sont plus difficiles à établir que lors d’un QCM ou d’une évaluation de connaissances “classique”, mais lorsque l’on connaît bien ses élèves et que l’on pratique avec eux l’autoévaluation, on sait qui est capable de quoi et qui s’est donné les moyens de progresser. C’est là une manière très différente de penser l’évaluation et d’envisager le partage d’informations non plus comme une “tricherie”, mais comme une collaboration bénéfique dans la construction d’une intelligence collective dans laquelle chacun·e devient plus efficace.

Un moyen aussi de sortir la tête de son écran, d’organiser son temps de travail en fonction des possibles informatiques et familiaux, de ne pas surcharger les élèves par des devoirs qui risquent de finir sur le bureau des parents et d’apprendre à atteindre des objectifs bien définis dans un temps imparti.

C’est ce que j’ai tenté de faire, à travers la mise en place de cours à distance sous forme de petites vidéos à regarder quand bon leur semble avec mes propres étudiant·e·s, futur·e·s enseignant·e·s primaire en deuxième année de formation. Ils ont dû définir quelles étaient, pour eux, les qualités qu’un élève du XXIe siècle devrait posséder en sortant de l’école. Puis, dans ces qualités, en choisir une au moins qui leur semblait peu ou pas assez développée par l’école actuelle. Enfin, chacun d’eux choisissait un·e “grand·e pédagogue” et regardait ce que ce dernier proposait en lien avec le développement de cette qualité. La présentation était libre, mais devait tenir sur une vidéo de 15 minutes. S’inspirant d’une scène de “Love Actually”, six d’entre eux ont su allier humour, apports théoriques et idées pratiques autour de deux “qualités” qu’ils ont estimées fondamentales: l’autonomie et la persévérance. Merci à Margaux, Jonathan, Kevin, Jonas, Tiphaine et Laurie de m’autoriser à dévoiler ainsi leur travail! Soyez indulgent·e·s, l’enregistrement a été fait avec les moyens du bord!

https://tube.switch.ch/videos/a976096b

Covid-19: SOS enseignants en détresse! Quatrième partie.

Les trois premiers posts sur ce sujet portaient sur le français, les sciences humaines et sociales et les sciences de la nature et les mathématiques. Aujourd’hui, je vous propose quelques idées pour aborder les langues seconde et troisième, ainsi que les arts. Pour terminer, je vous proposerai un petit bilan sur toutes les compétences hors disciplines qui auront pu être développées au travers des propositions que je vous aurai faites, pour autant que vous les ayez appliquées au travers d’une pédagogie qui s’éloigne du cours traditionnel fait devant sa classe.

Développer son ouverture au monde, son empathie, sa créativité.

En Suisse, la langue seconde (pour les francophones) est l’allemand, et la troisième, très souvent, l’anglais, bien que le choix d’une autre langue puisse être fait. Peu importe. Les propositions qui suivent peuvent être réalisées avec n’importe quelle langue.

Tout d’abord, il est intéressant de voir comment les médias des autres pays parlent du Covid-19 et de ses répercussions. Qu’il s’agisse de vidéo, d’articles, en ligne ou dans un journal papier, de récoltes d’informations lors des bulletins officiels, tant à la radio qu’à la télévision, les élèves ont en charge de s’informer sur un sujet précis pour en rendre compte aux autres. L’identification des sources d’information sera un “contrôle” suffisant pour justifier du travail.
Une différenciation peut être faite dans le choix des thématiques, certaines étant nettement plus faciles à aborder et comprendre que d’autres. Penser donc à adapter au niveau réel des élèves. Par exemple, un premier groupe va s’occuper des mesures officielles édictées par les différents états où l’on parle la langue étudiée. En l’occurrence, pour nos exemples, l’Allemagne ou l’Angleterre. Ce travail est certainement le plus simple à réaliser. Un deuxième groupe peut s’intéresser à la manière dont ces mesures sont évaluées et vécues par les citoyens de ces pays. Un tour sur les forums de discussion, sur les vidéos réalisées pour promouvoir ou critiquer ces mesures, sur les commentaires des journaux nationaux sont des pistes possibles. Un troisième groupe peut compléter les réflexions menées en mathématiques sur “l’immunité de masse” en allant chercher directement dans les discours officiels les arguments utilisés par les politiciens pour justifier leur vision et les polémiques que cela suscite dans la réaction des autres états ou au sein même de leurs concitoyens.

Si ces recherches sont trop conséquentes ou ne sont pas à la portée de vos élèves, ou si vous désirez compléter ce travail par des échanges plus conviviaux et moins axés sur les politiques, n’oubliez pas la vieille tradition des échanges entre élèves de deux classes. Trouver une classe en Allemagne ou en Grande-Bretagne, voire aux USA, et proposer des échanges entre élèves pour que les uns comme les autres découvrent comment ces mesures sont vécues d’un côté de la frontière et de l’autre. Echanges par visio si possible, en laissant une grande liberté dans ces échanges pour que les élèves se découvrent, en dehors des contraintes et des préoccupations scolaires. Aiment-ils les mêmes jeux on-line? Ce peut être une occasion de se découvrir un·e partenaire pour parler dans une autre langue tout en jouant. Partagent-ils la même passion sportive? Vivent-ils les mêmes soucis avec leur frère ou soeur, leurs parents, les voisins qui ne supportent pas le bruit, etc.? Une bonne occasion de découvrir le bonheur de l’échange sans l’incessante épée de Damoclès de l’évaluation pendue au-dessus de leurs têtes.

Un retour sur ces échanges permettra à tout le monde de mieux connaître ce qui se passe ailleurs, bien sûr dans la langue travaillée. L’occasion aussi de se rappeler que, parler une langue, c’est d’abord parvenir à échanger des idées, avant de ne faire aucune erreur grammaticale ou de syntaxe…

Du côté des arts, la place de l’artiste peut être questionnée. Dans l’absolu d’abord, et dans la situation particulière liée au Covid-19 ensuite. Qui connaît des artistes travaillant sur ce sujet? Qui sont-ils? Pourquoi le font-ils? Quel est leur message?
Enormément d’artistes se sont mobilisés pour mieux faire respecter les mesures d’hygiène. Une recherche permet de mettre en évidence les styles utilisés, les langues parlées, la manière de s’adresser aux publics. Comme exemple, voici les artistes Sénégalais: https://www.jeuneafrique.com/914537/societe/au-senegal-les-artistes-se-mobilisent-pour-lutter-contre-le-coronavirus/.
D’autres focalisent sur le respect et la reconnaissance que l’on doit au corps médical, mais aussi à tous ceux qui assurent le fonctionnement au quotidien, à commencer par les caissier·e·s de supermarché. https://www.lexpress.fr/culture/musique/coronavirus-comment-les-artistes-assurent-le-spectacle-pendant-le-confinement_2121847.html ou http://www.leparisien.fr/video/video-coronavirus-l-hommage-des-artistes-francais-aux-soignants-27-03-2020-8289252.php.
Enfin, ceux qui parlent de leur manière de vivre le confinement: https://www.youtube.com/watch?v=QXp8RcObYSs.

Cette dernière catégorie, plus représentée par des youtoubeurs que par de “vrais” chanteurs, nous permet de faire le lien avec la place de l’humour pour dépasser les situations dramatiques. Comment est perçu l’humour? Est-il une forme d’art? A quoi sert-il? Peut-on rire de tout, comme le fait un Charlie Hebdo, par exemple?
Tout comme je le proposais dans le deuxième post avec la réalisation d’un “best of” de la meilleure manière dont les réseaux sociaux, les youtubeurs ou autres artistes prônent le confinement et les règles d’hygiène, on peut imaginer créer une gallerie des meilleurs dessins ou images humoristiques portant sur la pandémie et ses conséquences. Par exemple, cette image que j’ai reçue par wattsapp au moment où les Français recevaient l’autorisation de sortir avec leur animal de compagnie :

On peut tout à fait imaginer prolonger cette réflexion en proposant un concours de photos ou de dessins ou tout autre montage, réalisés par les élèves eux-mêmes.

Du côté activités créatrices, on peut également imaginer demander aux élèves de créer une “oeuvre” qui illustrerait leur perception ou leur ressenti durant ce confinement. Les pousser à utiliser les matériaux qu’ils peuvent trouver sans sortir de chez eux, bien sûr, pour réaliser un objet en 3D dont ils feront une photographie à partager.

Quelles compétences hors discipline les élèves auront-ils eu l’occasion de développer durant cette période d’enseignement à distance?

Il y a d’abord l’agilité à utiliser les technologies de l’information. J’avoue que j’admire la capacité de mes enfants et de leurs ami·e·s à manier plusieurs outils en parallèle afin d’augmenter leur rapidité et leur capacité à travailler ensemble. Il n’est pas rare que, pendant un cours, ils suivent ce qui est proposé par leur enseignant sur leur ordinateur, tout en discutant les questions posées sur leur téléphone avec leurs camarades de classe. De là à ce qu’ils cherchent en même temps des informations sur leur tablette, il n’y a qu’un pas…

Si les contacts sont, certes, virtuels, il faut avouer que ceux-ci se sont multipliés. Avec leurs camarades d’abord, ce qui est important et tout à fait normal, mais également avec les membres de la famille, les grands-parents que l’on ne peut plus voir, les tantes qu’on devait inviter à Pâques, les oncles âgés pour qui on a peur d’une contagion, etc. Des compétences émotionnelles exacerbées grâce aux liens tissés avec des personnes peut-être hors de son entourage proche lors des exercices journalistiques ou à travers les échanges avec un·e élève d’un autre pays. Des émotions liées au sentiment d’empathie, à la solidarité, à la possibilité d’exprimer ses propres ressentis et les comparer à ce que peuvent ressentir les autres.

Liée à la demande de recherches individuelles ou en groupe, d’objectifs à atteindre en un temps donné, de projets personnels à mener à bien, l’autonomie dans la gestion et l’organisation de son travail a normalement pu être développée. Celle-ci est un gain très important dans le développement de la confiance en soi, en sa capacité à réaliser un travail, à découvrir par soi-même, à apprendre. L’occasion aussi, pour certains du moins, de découvrir la manière la plus efficace de travailler, cet “apprendre à apprendre” si important pour gagner en efficacité et en plaisir.

Si toutes les étapes proposées, ou du moins une bonne partie de celles-ci ont été réalisées, la compréhension de la complexité du monde et de ses interactions aura certainement grandement progressé. De cette compréhension peut naître une plus grande capacité à prendre des décisions et à se responsabiliser dans ses choix.

A travers les débats, les jeux de rôles, les exercices d’anticipation, leur partage et leur construction à plusieurs, c’est non seulement la coopération et la capacité à se projeter dans un avenir incertain, à construire, à accepter les changements, voire à y participer qui se développe, mais également la perception du besoin de développer l’intelligence collective, telle que la préconise François Taddei, afin de dépasser nos propres limites cognitives et sortir des paradigmes qui nous enferment. Ceci pour devenir réellement créatif et innovant, tout en adoptant une éthique nécessaire à l’apparition d’un mieux vivre ensemble dans un monde où le respect de la vie, de toute vie, serait la valeur première.