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Médias et démocratie suscitent la méfiance : comment remonter leur cote ?

la confiance se défait

Le constat est cruel. Malgré une démocratie suisse citée en exemple et une densité de journaux parmi les plus hautes au monde, la confiance de la population envers la presse et les institutions politiques de notre pays s’érode. Les médias « traditionnels » souffrent de la baisse de leurs recettes publicitaires, beaucoup de journaux mettent la clef sous la porte. Comment surmonter cette crise ? Le scrutin du 13 février 2022 permettra, si l’on accepte la nouvelle loi sur les mesures en faveur des médias, de faire un premier pas, à faire suivre par d’autres avec des effets sur le plus long terme.

Le résultat de la votation du 28 novembre dernier sur la loi COVID est pour moi symptomatique : près de 40% de la population dit non aux propositions des autorités politiques pour faire face à la pandémie, et une majorité de jeunes votant.es les refuse, alors même que les mesures proposées sont parmi les moins sévères d’Europe.

En ce qui concerne la presse, si la population s’informe de plus en plus en ligne, les utilisateur.trices sont moins disposé.es à payer pour l’information numérique, peinant à en comprendre la valeur par rapport à des offres « papier ». Concernant ces dernières, depuis 2003, environ 70 journaux suisses ont mis la clé sous la porte, souffrant particulièrement de la baisse des recettes publicitaires. Les scrutins consécutifs sur le « No Billag » et sur l’aide à la presse sont aussi des signes de sa fragilisation.

Les raisons de la crise de confiance sont multiples, mais l’arrivée des géants du web, les GAFAMs (pour Google, Apple, Facebook, Amazon, et Microsoft), a bouleversé les usages des citoyennes et citoyens, surtout des plus jeunes. Alors quels nouveaux modèles développer pour faire face à cette crise de confiance majeure ?

Presse et démocratie
On sait le rôle primordial de l’information pour la démocratie, dont elle est l’un des piliers constitutifs, avec la transparence et la séparation des pouvoirs. Les sociétés sans presse digne de ce nom sont plus corrompues et les droits humains y sont plus aisément bafoués. La presse est surtout un contre-pouvoir : elle exerce son rôle critique à l’égard du politique. La manière dont elle exerce la liberté d’expression est la garantie de la démocratie. Elle doit être un poil à gratter pour lutter contre l’entre-soi et les petits arrangements entre amis. La crainte d’un scandale public est un garde-fou de plus pour inciter les élu.es à la vertu. De plus, en donnant la parole à tous les camps politiques, elle permet aux citoyen.nes de se faire une idée objective avant chaque scrutin. Elle est ainsi un booster de démocratie.

Maria Ressa, journaliste philippine qui a gagné le Prix Nobel 2021 de la Paix, met ainsi en lien démocratie et journalisme, égratignant préalablement Facebook qu’elle accuse d’être partial contre les faits et contre le journalisme : « Si vous n’avez pas de faits [dans le journalisme], vous ne pouvez pas avoir de vérités, vous ne pouvez pas avoir confiance. Si vous n’avez rien de tout cela, vous n’avez pas de démocratie. Au-delà de cela, si vous n’avez pas de faits, vous n’avez pas de réalité partagée, vous ne pouvez donc pas résoudre les problèmes existentiels du climat, du coronavirus » (The Guardian, 9 octobre 2021). (1)

Presse = bien collectif
Ce bien collectif que sont les informations journalistiques est nécessaire à toute la société, au même titre qu’un réseau de routes ou d’écoles. C’est un bien précieux. Ne connaît-on pas la désinformation comme arme de guerre ou de déstabilisation ? (2)

Si l’information est un bien collectif, il faut qu’elle soit produite par un marché dynamique, avec une certaine concurrence entre titres et l’existence de sensibilités diverses. De plus, la Suisse multiculturelle implique une variété d’acteur.trices médiatiques sans doute plus élevée qu’ailleurs. Notre pays est vraisemblablement celui qui appelle le plus ses citoyen.nes aux urnes : des médias variés, indépendants les uns des autres et en nombre, sont nécessaires pour accompagner et nourrir cette vie démocratique.

L’information a un prix
Les journaux régionaux favorisent également le lien social. Ils informent et permettent la participation et la connaissance réciproque des habitant.es d’une communauté, curieux.ses de ce qui se passe près de chez eux. Au niveau national, la SRG-SSR joue un rôle de liant essentiel entre les quatre parties linguistiques et culturelles du pays.

Contrairement à ce que l’apparition des journaux gratuits il y a une vingtaine d’années a pu laisser croire, l’information a un prix. La presse, à ces différents niveaux, produite par des professionnel.les, a bien sûr un coût, de par le travail de trouver et diffuser des informations fiables et vérifiables, et par les nécessités de créativité et de développement de ses publics. Ces coûts, jusqu’à récemment, étaient portés en grande partie par la publicité et les consommateur.trices.

Ce modèle d’affaires ne fonctionne plus depuis l’ère du tout écran, tout “gratuit”, les géants des réseaux sociaux aspirant le gros de la publicité en ligne. Il convient donc de s’interroger sur la valeur des médias et leur rôle pour le fonctionnement général de nos sociétés démocratiques.
Conscientes de ces enjeux et de l’indépendance rédactionnelle essentielle aux média qui limite les types de soutien envisageables, les autorités politiques locales aident souvent, régulièrement et depuis des années des organes de presse ou de petites télévisions régionales (par exemple Le Quotidien de La Côte ainsi que Nyon Région Télévision par la ville de Nyon et les communes alentours). Les autorités fédérales, à l’instar de ce qui se fait dans d’autres pays voisins, offrent quant à elles déjà divers soutiens à la presse ou à la diffusion, comme un rabais sur la distribution des journaux en abonnement.

Les GAFAMs
Tous les médias (presse, radio, télévision, médias locaux en ligne) sont concernés par les nouvelles forces en présence sur le marché international et suisse. Les GAFAMs ont dicté le rythme jusqu’à maintenant, imposant leurs contenus, sans tri de l’information diffusée et sans autre souci que de maximiser le nombre de clicks sur leurs sites respectifs et valoriser leurs offres pour les annonceurs.

Convaincu de la nécessité de protéger la population contre les discours haineux et la désinformation se trouvant sur internet, autant que pour contrer des politiques commerciales douteuses, le Conseil fédéral vient de demander un rapport à l’OFCOM (3) pour créer le débat en Suisse. Suivant la France et l’Australie (4), il se prononcera aussi prochainement sur la question des « droits voisins », soit un dispositif qui doit permettre de faire passer à la caisse les géants du web lorsqu’ils reprennent des contenus qui ne sont pas les leurs.

Les pays plus grands, et économiquement plus puissants que le nôtre, vont paver le chemin de nouvelles régulations (une législation sur les services numériques et une autre sur les marchés numériques viennent d’être votées par le Parlement européen) avant que nous suivions, en partie ou en totalité, dans plusieurs années. En attendant, les GAFAMs mettent en danger les finances des médias locaux en diffusant leurs contenus sans les rétribuer, fragilisant ces derniers, alors qu’ils doivent développer de nouveaux modèles de financement et investir dans leur transformation. Ils mettent aussi à risque la démocratie, par leur diffusion de « fake news », d’informations non vérifiées, quand elles ne sont pas délibérément déformées.

Oui le 13 février… d’abord
Alors que nous vivons de profonds changements économiques et sociétaux liés à la numérisation, doublés d’une crise écologique et maintenant sanitaire, le réflexe humain est de se protéger soi et ses proches, de s’entourer de personnes dont on est sûr.e et d’un environnement connu et maîtrisé. Les réseaux sociaux, à la fois cause de ce rapetissement des espaces sociaux et exploitant ce besoin de proximité rassurante, ont conçu leurs algorithmes en fonction.

A très court terme, le scrutin suisse du 13 février 2022 permettra, si l’on accepte la nouvelle loi sur les mesures en faveur des médias, de leur donner un soutien supplémentaire, temporaire mais plus que bienvenu. Le soutien de la Confédération sera étendu aux titres à grand tirage et à la distribution des journaux tôt le matin. Les médias en ligne seront eux aussi soutenus, et l’aide aux radios locales et télévisions régionales pourra augmenter. La condition pour bénéficier de ces soutiens est de s’adresser à un public majoritairement suisse, et de traiter une variété de thèmes politiques, économiques et sociaux.
La presse sous forme numérique est pour l’heure encore moins rentable que celle imprimée sur papier ! L’affinage des modèles d’affaires n’est pas si simple, donc pas immédiat, à réaliser. Un oui permettra de gagner un temps bienvenu pour que ces acteurs indispensables à la démocratie se fortifient.

Restaurer la confiance en parallèle
Plus globalement, notre projet de société devrait consister à retisser les liens de confiance : le sens de la communauté locale est le premier à devoir être revivifié ; la mise en lien dans le voisinage, à l’échelle d’un quartier, d’une commune, d’une région est à repenser. Des démarches participatives, mais aussi des débats politiques au sein d’une population dont les participant.es sont tiré.es au sort, à l’instar de ce qui a été testé à Sion (5), sont des options très intéressantes) : elles permettent de se confronter à la différence, donc à la compréhension et à la co-construction. Le politique en tant que tel doit se réinventer, viser la qualité plutôt que le spectacle, l’information plutôt que la communication et les croyances ; recentrer le débat sur les faits; être proche des gens, responsable, exemplaire.

Bien sûr, l’école et les diverses institutions de formation sont par excellence des lieux où l’éducation civique est primordiale, tout comme l’éducation aux médias : en particulier, la semaine des médias (6) est une démarche à saluer. Elle permet aux élèves de Suisse romande d’aiguiser leur esprit critique vis-à-vis des informations qu’ils reçoivent, d’analyser des productions médiatiques et de réaliser des contenus dans les règles : textes, photos, chroniques radio, vidéos. Il s’agirait de la généraliser, avec les formations du personnel enseignant préalables.

Les recettes sont les mêmes pour les médias que pour les politiques : resserrer les liens avec leurs bases, retrouver leur essence, faire comprendre comment est construit un titre ou une émission, ce qu’est le travail de journalisme. Il n’y a rien de tel qu’être sur le terrain en dialogue constant avec le public, consommateur ou non de presse, pour comprendre les demandes et besoins de ce dernier.

Lors du Forum des médias romands tenu en septembre dernier, Juan Señor, consultant international spécialisé en médias, indiquait que les nouveaux chiffres d’abonnements à la presse étaient en forte hausse au niveau international ; le journalisme “Facebook” aurait vécu selon lui, et le public voudrait de la qualité. Pour cet expert, le journalisme sauvera le journalisme ; et il y aurait une chance unique à saisir avec le COVID : (la pandémie) aurait permis au public de retrouver le chemin des sites média traditionnels. Selon Juan Señor, les jeunes publics vont naturellement être attirés par la qualité ; il conclut qu’«il faut réinvestir dans les rédactions, avec un public au rendez-vous avec les bons contenus… Il faut donc y mettre les moyens».

En bref, un pays tel que la Suisse ne peut fonctionner que si sa presse et plus globalement sa démocratie ont la confiance de la population. Les deux doivent être soutenus durant cette phase de numérisation. La variété et la diversité, les avis divergents, font la richesse d’une communauté, avec toutes les imperfections, aléas et remises en question que cela peut causer. Quel monde triste serait celui de l’uniformité et de dépendance à quelques oligopoles, notamment étrangers et loin de la riche et variée réalité helvétique !


(1) Le journaliste et essayiste Olivier Villepreux définit le journalisme dans son dernier ouvrage «Journalisme» ainsi : « cette activité qu’exercent régulièrement des femmes et des hommes rémunérés pour chercher, trouver, travailler et diffuser des informations fiables et vérifiables en direction de lecteurs, auditeurs, téléspectateurs, par des canaux appartenant à un ensemble de sociétés dites de « presse ».

(2) On peut citer entre autres la désinformation américaine au Rwanda liée aux massacres du début des années 1990 ou celle en provenance de Russie pour influencer ou déranger les divers récents processus d’élections européennes ou nord-américaines.

(3) Office fédéral de la communication (OFCOM)

https://www.bakom.admin.ch/bakom/fr/home/das-bakom/medieninformationen/medienmitteilungen.msg-id-85905.html

(4) L’Australie a légiféré dans le sens d’un « code de conduite contraignant » obligeant nommément Facebook et Google, de sorte qu’elles concluent des accords avec les éditeurs pour les rémunérer. Après un bras de fer ouvert par Facebook, bloquant tout partage d’articles de presse sur son réseau, et la résistance du gouvernement australien, des négociations ont été conclues entre les mastodontes, permettant de soutenir des groupes de presse nationaux ou locaux.

(5) L’innovation démocratique comme remède au populisme – – UNIGE
La recette est simple: un panel de citoyens tirés au sort est invité à rédiger un rapport neutre, après quelques jours de délibération, sur un objet soumis au vote du peuple. L’information est ensuite envoyée à la population, en même temps que le matériel de vote et la brochure d’information de la Chancellerie fédérale.
Plus concrètement, 2000 personnes, tirées au sort parmi les quelque 20 000 Sédunois possédant le droit de vote, ont reçu une invitation à participer au projet. 205 personnes ont répondu positivement. Une sélection aléatoire de deux panels distincts de 20 participants chacun a été ensuite réalisée grâce à un algorithme permettant de conserver la représentativité de la population (âge, genre, niveau d’éducation). En Oregon, les expériences menées [sur le même modèle] ont montré que 43% des votants avaient pris en considération le rapport citoyen pour leur vote. « Le point de vue des citoyens paraît plus fiable que celui des élites politiques qui ont bien souvent des intérêts particuliers, estime Victor Sanchez-Mazas. La démocratie se doit d’évoluer en fonction des changements sociétaux. L’approche délibérative est une réponse au populisme, au désintérêt croissant des citoyens pour la chose politique et à la méfiance envers les élites ».

(6) La Semaine des médias à l’école est un partenariat entre la Conférence intercantonale de l’instruction publique de la Suisse romande et du Tessin (CIIP) avec les médias de service public (Radiotélévision Suisse), la presse écrite, l’agence de presse Keystone-ATS, des médias audiovisuels (TV et radios régionales) et des médias en ligne. En 2021, elle a été organisée du 22 au 26 novembre. Elle s’adresse aux enseignant-e-s romand.es avec des contenus adaptés pour les jeunes de 4 à 15 ans et plus. Avec un rythme annuel, la Semaine des médias à l’école en Suisse romande a l’ambition de toucher l’ensemble des élèves de la scolarité obligatoire, mais aussi ceux et celles du post-obligatoire. Comme en France, la participation des enseignant-e-s à la Semaine de la presse et des médias est volontaire. e-media

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