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Le bénévolat est un pilier de la démocratie, réinventons-le !

En cette période de crise du coronavirus, on redécouvre plus que jamais la valeur du bénévolat. C’est la source et l’expression d’une société à la fois engagée, responsable, saine et solidaire. Or, le nombre de bénévoles au sein des comités d’associations et de fondations est en baisse. Mais de nouveaux modes d’engagement plus informels ont le vent en poupe, et internet et les réseaux sociaux se profilent comme les nouveaux médias du volontariat(1). Pour que la Suisse reste le pays du bénévolat, ce terreau de la démocratie, il faut le concevoir comme un engagement par projet, limité dans le temps, avec un retour sur les résultats et l’expression d’une reconnaissance, en interaction entre société civile, économie et autorités.

Il y a quelques semaines, je m’apprêtais à faire un discours de reconnaissance lors du quarantenaire d’une association culturelle de ma ville. La crise sanitaire en a décidé autrement ; la fête d’anniversaire voulant réunir les bénévoles de l’association et attirer de nouvelles forces a dû être annulée. Mon discours voulait sensibiliser l’auditoire à l’importance du bénévolat en Suisse et à cet apport incommensurable à une société vivante et solidaire. Alors que la crise sanitaire perdure et que l’entraide qui a eu cours lors de la première vague de la pandémie s’est en bonne partie éteinte, je partage ces réflexions avec vous.

La Suisse = pays du bénévolat

L’Observatoire du bénévolat en Suisse 2020 de la Société suisse d’utilité publique est très parlant. La population suisse fait preuve d’un très fort engagement : près de la moitié de la population accomplit un travail bénévole informel en prodiguant des soins, un accompagnement ou une aide à des personnes hors du cadre de la famille, ou en donnant des coups de main dans le cadre de manifestations ou d’événements. L’entraide au voisinage est encore plus répandue, par le biais de petits services (arrosage de plantes ou suivi de la boîte aux lettres). Enfin, près de quatre personnes sur dix ont une activité formelle au sein d’associations ou d’organisations. Le bénévolat, sous toutes ses formes, est stable depuis la dernière enquête statistique sur le même sujet, faite en 2010. (Volontairement, je n’aborde pas la question des proches aidants dans ce texte : ces derniers dépassent la notion de bénévoles par leur engagement sans limite.)

Engagé-e-s pour et par le contact

Les nouveaux et nouvelles venu-e-s dans le bénévolat sont particulièrement attiré-e-s par un engagement dans des organisations socio-caritatives, de protection de l’environnement et des animaux et des collectifs culturels, compensant la baisse de bénévolat formel dans les clubs de sport et groupes d’intérêt. Au global, les personnes qui s’engagent en volontariat disent le faire pour le contact, le sentiment d’être utile, agir et faire bouger les choses en coopération avec d’autres ; elles souhaitent aider les autres tout en s’épanouissant et en développant leurs propres connaissances et compétences et sortir de leur quotidien. Le plaisir est une part essentielle de leur engagement.

Pour être motivé-e-s, les bénévoles potentiel-le-s doivent d’abord être sollicité-e-s avec une proposition concrète. C’est confirmé par les enquêtes statistiques :

Les limites du système

De mon constat de municipale à Nyon, les citoyen-ne-s apprécient d’être associés à des projets urbains, culturels ou sociaux : cantons et communes engagent des démarches dites participatives pour permettre ce dialogue et la prise en compte de besoins exprimés. Mais le système a ses limites. Parfois, une mauvaise connaissance du travail des institutions et certaines lenteurs provoquent le découragement.

En Suisse, beaucoup de comités bénévoles exécutent des politiques publiques (ex. foyers de protection de l’enfance). Ces bénévoles deviennent de facto responsables de budgets, de personnel ou d’un nombre de résidents ou patients conséquent. Au vu des enjeux sociétaux, je suis persuadée que l’Etat fait fausse route en déléguant des tâches si sensibles à des acteurs autonomes. J’ose le parallèle : à qui viendrait-il à l’esprit de remettre les prisons à la charge de plusieurs fondations ? Pour garder un bénévolat attractif et adéquat, il faut en délimiter plus précisément les contours. L’Etat doit reprendre certaines prérogatives à sa charge, ou mieux cadrer les bénévoles qui interviennent dans ces domaines.

Les études montrent que l’arrêt d’un engagement bénévole est d’abord dû à la difficulté de concilier le travail, la vie privée et l’activité bénévole. Le manque d’esprit d’équipe, une bureaucratie envahissante ou le manque de reconnaissance sont aussi une cause de cessation de leur activité, avec un déménagement ou des raisons de santé ou de stress. Ces facteurs sont à prendre en compte pour réinventer le bénévolat.

De nouveaux instruments

L’individualisme semble aujourd’hui prendre le pas sur les valeurs collectives. Mais Internet et les réseaux sociaux ont amplifié les liens entre personnes, sans limites. Les possibilités de collaborer, de participer à des plateformes variées, recevoir et donner des informations, ou entraider, se sont démultipliées. La rapidité de mobilisation est potentiellement fulgurante. Ces facteurs ajoutés de mobilité personnelle et de numérisation changent certes le rapport à la citoyenneté : l’ancrage des gens devient moins fort par rapport à leur lieu d’habitation et de travail. Mais nous disposons aujourd’hui de formidables nouveaux outils pour construire un nouveau bénévolat.

Nous l’avons vu ci-dessus : la mise en lien de personnes avec des projets demandant des forces bénévoles est essentielle. Il faut développer des coopérations volontaires limitées dans le temps, sur la base de projets, avec des collaborations en groupes, dont les membres assument différents rôles en fonction de leurs compétences et intérêts. Je suis convaincue que, sans participation active des bénévoles dans la définition et l’organisation des projets, de l’association, etc., ils ou elles vont perdre en motivation, dévouement et dynamisme… Il faut que les hiérarchies et organisations associatives deviennent plus souples, interactives et inclusives.

Une école de démocratie

L’engagement bénévole contribue non seulement à l’intégration et à la cohésion sociales, mais peut aussi créer la confiance, comme il a été bien établi scientifiquement (2). Dans leur livre sur le capital social en Suisse, Freitag et Bauer décrivent les organisations bénévoles non seulement comme des « écoles de démocratie », mais aussi comme des « écoles de confiance ». Les personnes qui font du bénévolat ont beaucoup plus confiance en leurs semblables que celles qui n’en font pas. Cette activité est donc essentielle.

Conclusion

Les bénévoles sont très nombreux à souhaiter recevoir davantage de soutien. On peut penser à toute une variété de mesures. Par exemple : soutien par des professionnels, possibilités de formation continue, davantage de moyens financiers pour des projets, aménagement flexible des horaires par les employeurs, certificats ou attestation diverses, meilleures indemnisations financières, mise à disposition de locaux…

En parallèle, il faut redéfinir le volontariat, les espaces libres laissés par le marché et l’État, avec des objectifs à définir en commun, à tous les niveaux du fédéralisme. Avec les outils numériques, l’espace public et l’espace démocratique changent. Ainsi, le dialogue, le « faire et construire ensemble » doivent être promus sur ces nouveaux média.

Au final, des solutions innovantes et une remise en question des fonctionnements actuels d’acteurs établis institutionnels et bénévoles vont pouvoir contribuer à relever les nouveaux défis sociétaux. La confiance envers autrui, envers notre société, envers notre démocratie, est à ce prix.

 

(1) Dans ce texte, j’utilise les mots bénévolat et volontariat (volunteering en anglais) comme synonymes. On parle de travail bénévole, mais aussi d’activité bénévole ou d’engagement bénévole : non seulement ce dernier n’est pas rémunéré, mais il n’est pas non plus dirigé vers la production de biens et de services marchands ; l’aspect volontaire, sans lien avec une notion de travail, en est la clé.

(2) Freitag, Markus et Paul C. Bauer (2016) : Was uns zusammenhält : Zwischenmenschliches Vertrauen als soziales Kapital in der Schweiz. Markus Freitag (dir.) : Das soziale Kapital der Schweiz. Zürich : Verlag Neue Zürcher Zeitung, pp. 149-179.

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