Politique migratoire

A quoi sert le partenariat migratoire Suisse/Nigéria ?

La conseillère fédérale Karin Keller-Sutter sera à Abuja le 23 mars pour fêter les 10 ans du partenariat migratoire qui lie la Suisse et le Nigéria. Conclu en 2011, ce partenariat a permis de renouer le dialogue entre les deux pays, très affecté par le décès en 2010 d’un jeune Nigérian lors d’un rapatriement forcé. Il a pour but d’inscrire la réadmission des demandeurs d’asile déboutés dans un cadre de coopération plus large.

La Suisse et le Nigéria collaborent ainsi dans l’amélioration de la gestion et de la gouvernance de la migration tandis que des programmes de formation permettent des échanges de stagiaires et que divers projets de développement sont mis en œuvre. La Suisse a aussi contribué au financement de la série télévisée The Missing Steps, qui attire l’attention sur les dangers de la migration irrégulière[1].

C’est donc avec de bons arguments que le communiqué de presse du DFJP décrit ce partenariat comme un « modèle de réussite ». Il montre qu’une collaboration entre pays d’origine et de destination permet d’éviter des bras de fer autour des rapatriements tout en gardant un regard sur le sort des personnes renvoyées. Plus de 1000 ressortissants nigérians ont ainsi bénéficié d’une aide à la réinsertion.

Les six partenariats migratoires de la Suisse – avec la Bosnie (2009), la Serbie (2009), le Kosovo (2010), le Nigéria (2011), la Tunisie (2012) et le Sri-Lanka (2018) – marquent les prémisses d’une gestion commune et équilibrée de la migration appelée de ses vœux par la Communauté internationale dans le cadre du Pacte mondial sur la migration (encore non ratifié par la Suisse).

Quelques bémols doivent cependant être formulés. En premier lieu, si on observe depuis 2012 une importante diminution des demandes d’asile de Nigérians en Suisse, leur nombre reste assez stable vers le reste de l’Europe. La Suisse accueillait ainsi 20% environ des demandes d’asile du Nigéria en 2011/12/13 contre 2% ces dernières années… En devenant moins attractive grâce à une meilleure exécution des renvois, la Suisse a donc détourné les candidats à l’asile vers d’autres pays. Est-ce vraiment là une réussite ? Seule une collaboration multilatérale plus large entre tous les pays d’origine et tous les pays d’accueil permettrait d’éviter de tels « effets à somme nulle ». Les pays de destination devront en outre garantir des procédures d’asile irréprochables.

Un autre bémol a trait à l’ampleur des projets développés par la Suisse au Nigéria dont le budget total est d’environ 1 million de francs. Une somme insignifiante en regard des enjeux sécuritaires et économiques auxquels fait face le pays. Enfin, l’un des principaux souhaits des pays d’origine dans le cadre des partenariats migratoires n’est pas satisfait: il s’agirait de voies d’immigration légales permettant à des étudiants ou des employés de venir – même temporairement – séjourner en Suisse. Aucune concession n’a été faite jusqu’ici dans ce domaine où s’applique la très restrictive politique des deux cercles privilégiant l’immigration de l’Union Européenne au détriment des « États tiers ». La Commission fédérale des migrations a fait une série de recommandations au sujet de ces derniers points dans un rapport d’évaluation publié il y a quelques jours à la suite d’une visite au Nigéria.

Malgré ces réserves, les partenariats migratoires restent des instruments prometteurs et la Suisse a acquis dans ce domaine une expérience qui suscite depuis plusieurs années un grand intérêt du côté de Bruxelles.

 

[1] Ce type de tentative d’information dissuasive mérite évidemment une analyse critique (cf. à ce sujet Pécoud, A., and C. Nieuwenhuys. 2008. Campagnes d’information et traite des êtres humains à l’est de l’Europe. Espace Populations Sociétés (2):319-330.

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