Politique migratoire

Déchoir les criminels de la nationalité suisse ?

Le Secrétariat d’État aux migrations (SEM) vient de retirer la nationalité suisse à un citoyen. Ce dernier avait été condamné à la prison pour avoir fait de la propagande et recruté des combattants pour une organisation terroriste islamiste.

La possibilité de retirer la nationalité suisse figure à l’art. 42 de la loi sur la nationalité (1). Elle s’applique à une personne qui porte gravement atteinte aux intérêts ou à la réputation de la Suisse et, de ce fait, compromet la sécurité du pays. Seuls les double-nationaux sont concernés, car le droit international interdit aux Etats de produire des apatrides (Déclaration universelle et Convention européenne des droits de l’homme). Déchu de sa nationalité le condamné peut être expulsé de Suisse.

Au vu de l’atrocité des crimes terroristes, on est tenté au premier abord de considérer la mesure comme parfaitement acceptable, voire comme un bon moyen de dissuasion. Récemment, de nombreux Etats ont ainsi renforcé leur dispositif légal de retrait de la nationalité alors que cette dernière avait été peu pratiquée depuis la seconde guerre mondiale. Au Royaume-Uni, environ 30 personnes se sont  vues retirer leur nationalité entre 2010 et 2016. Plusieurs penseurs politiques des XVIIIe et XIXe siècles – Emmanuel Kant, Cesare Beccaria, Benjamin Constant – ont d’ailleurs soutenu le droit légitime d’un Etat à exclure des éléments qui ne respectent pas ses valeurs fondamentales. D’autres cependant ont par la suite mis en garde contre de telles pratiques. Pour Hannah Arendt la propension à dénaturaliser – massive dans l’Allemagne nazie et en URSS – était un indicateur de barbarie… Récemment, Donald Trump a menacé de priver de nationalité ceux qui brûleraient le drapeau américain…

Ceci doit inciter à la plus grande circonspection et à évoquer les dangers du retrait inconsidéré de la nationalité pour les valeurs fondamentales et l’état de droit :

Le premier danger est de créer deux classes de citoyens : les plus purs n’auraient qu’une nationalité et n’encourraient – quoi qu’ils fassent – pas de risques de la perdre. Les autres seraient toujours sous la menace d’une expulsion. Selon la Constitution pourtant, tous les ressortissants suisses doivent avoir les mêmes droits et devoirs. On pourra objecter que rien n’oblige les doubles nationaux à conserver une deuxième nationalité, mais la renier n’est pas toujours possible, ni sans risque.

Le second danger est que la perte de nationalité, instaure une double peine qui ne frapperait que certains. Ainsi à crime égal, aussi grave soit-il, le double national serait, une fois purgée sa peine, à nouveau puni par la privation de ses droits civiques et sa très probable expulsion.

Le troisième danger est que, si elle venait à s’étendre, la dénaturalisation ne devienne une arme de répression politique. Une telle dérive est actuellement inconcevable en Suisse, mais de nombreux régimes pratiquent sans vergogne l’exclusion civique des opposants désignés comme « traîtres à la nation ». Ainsi l’opposant politique georgien Bidzina Ivanichvili s’est vu retirer sa nationalité en 2011 (avant de la retrouver et de devenir premier ministre).

Le quatrième danger est que le retrait de la nationalité ne s’applique – de manière discriminatoire –  qu’à certaines formes de compromission des « intérêts ou de la réputation de la Suisse » attribuables à certains groupes de population. Matthew Gibney, l’un des plus fins analystes de la tendance actuelle à la dénaturalisation, relevait récemment que celle-ci ne touche, depuis quelques années, que des musulmans… On peut, de fait, s’étonner que la déchéance de nationalité ne soit pas proposée par ses promoteurs lorsqu’un très haut cadre d’une institution internationale de premier plan, de nationalité suisse, se trouve condamné pour corruption et qu’il entache ainsi gravement la réputation de probité dont la Suisse se prévaut (2).

Les différents dangers que nous venons d’évoquer sont sérieux. Ils ne justifient peut-être pas que, dans certains cas spécifiques, la nationalité puisse être retirée, mais ils montrent que l’on touche dans ce domaine aux fondements même d’un Etat libéral.

Il serait donc bon que la décision de dénaturaliser n’incombe pas à une administration et que de hautes instances judiciaires se prononcent. De fait, la décision du SEM n’est pas encore  exécutoire et peut faire l’objet d’un recours au Tribunal Administratif Fédéral. Souhaitons que les juges, s’ils sont saisis, lisent les articles ci-dessous et étayent avec soin leur décision.

 

Notes

(1) Jusqu’en 1953, les femmes suisses qui épousaient un étranger perdaient leur nationalité.

(2) Certains souhaitent étendre la possibilité de dénaturalisation à tous les citoyens, qu’ils soient ou non binationaux, mais la proposition ne cible que les djihadistes et produirait  des apatrides.

 

 

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