D'ici et d'ailleurs

“Louis Aragon est mort”

Il y a bientôt 40 ans, une brève en page 3 du Journal de Genève annonçait la mort de Louis Aragon, le 24 décembre 1982. S’il lui fut beaucoup reproché de mettre sa plume étincelante au service du communisme, il demeure un géant de la poésie française.

J’ai du mal à m’y faire mais les poètes meurent pourtant. Il est mort celui qui concluait ainsi les strophes de  “J’entends, j’entends”, dans Les Poètes :

“Quelle heure est-il quel temps fait-il
J’aurais tant aimé cependant
Gagner pour vous pour moi perdant
Avoir été peut-être utile

C’est un rêve modeste et fou
Il aurait mieux valu le taire
Vous me mettrez avec en terre
Comme une étoile au fond d’un trou”

Au purgatoire

Les archives du Temps nous renseignent sur la place accordée au décès de Louis Aragon (1897-1982) par le Journal de Genève: une brève tirée d’une dépêche de l’agence Reuters, certes en page trois, avec la promesse de reparler du poète dans le Samedi littéraire. Ironie, tant de l’actualité que de la mise en page, l’article principal est consacré aux tensions entre l’URSS et l’Europe de l’Ouest sur les missiles nucléaires, comme un ultime reproche à ce fervent communiste.

L’engagement politique d’Aragon lui a valu un purgatoire dont il n’est pas encore vraiment sorti, 40 ans après. En témoignent les hommages en demi-teinte, sur le mode “c’était un grand poète, mais”. D’autres lui contestent même le qualificatif de “grand”, sous prétexte que ses vers étaient parfois pompeux à force de virtuosité classique.

En chansons

D’autres encore pointent du doigt la mise en musique de certains de ses poèmes par Léo Ferré, Georges Brasssens, Jean Ferrat et, plus tard, Bernard Lavilliers. Ces puristes estiment que si des poèmes peuvent être chantés, c’est bien la preuve que ce n’est pas de la “vraie poésie” mais de simples chansons. Ayant découvert Baudelaire à onze ou douze ans grâce à la version de “L’Horloge” interprétée par Mylène Farmer, je m’interroge, dès lors, sur le statut de Charles Baudelaire. Simple auteur de chansons, lui aussi?

Dans l’œuvre d’Aragon, je n’aime pas tout, et je n’ai pas tout lu. Mais quel souffle! Et à quelle altitude volent ses vers! Au-delà de son compagnonnage avec le Surréalisme, Aragon est un des derniers grands poètes classiques de langue française. Je me souviens de mon éblouissement en découvrant le gros volume du Fou d’Elsa. Dans mon coin de Suisse romande, c’était encore l’époque où il ne fallait pas lire Aragon parce qu’il était communiste, ni Cocteau parce qu’il était homosexuel. Voilà qui réduisait considérablement les choix.

“Le plus grand” selon d’Ormesson

De l’autre côté de la frontière et du spectre politique, pourtant, en ce mois de décembre 1982, un écrivain à la plume mordante, Jean d’Ormesson, rendait hommage à Aragon et écrivait: “Le plus grand poète français est mort.”

Alors, reprenant les mots d’Aragon adressé à un autre poète: pour avoir “redonné couleur à la blême espérance” et “Pour être demeuré pareil à toi merci”.

Le poème L’Affiche rouge, mis en musique par Léo Ferré, est régulièrement repris par le groupe Feu! Chatterton
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