D'ici et d'ailleurs

La Commune de Paris, cette célèbre inconnue

Moratoire des loyers et des dettes, réquisition des logements vacants, séparation de l’Église et de l’État, développement de la presse, laïcisation des écoles, égalité de salariale des instituteurs et des institutrices, reconnaissance de l’union libre… La Commune de Paris a marqué les esprits par les profonds changements sociaux qu’elle a expérimentés et revendiqués entre le soulèvement du peuple parisien, le 18 mars 1871, et la reddition du 29 mai, à la suite des massacres de la “semaine sanglante”. Pourtant, la Commune aura duré à peine plus que le temps des cerises: 72 jours. Paru à l’occasion de son 150e anniversaire, un livre, La Commune de Paris, 1871 ; les acteurs, l’événement, les lieux, véritable encyclopédie, tente de réunir tous les savoirs à ce sujet, ou presque.

Coordonné par Michel Cordillot, ce pavé est le fruit du travail collectif d’une trentaine de chercheuses et de chercheuses. “Que fut réellement la Commune? Quels étaient ses enjeux? Quelles controverses a-t-elle suscité depuis? Mais aussi, et surtout, qui furent ses acteurs? Quelle furent leur vie et leurs engagement?”, écrit le coordinateur de l’ouvrage dans sa présentation. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que cette encyclopédie en un volume, parue aux Éditions de l’Atelier, tient ses promesses en réunissant près de 500 notices biographiques, ainsi que de nombreux aperçus historiques et thématiques sur l’état de la recherche. Un passionnant chapitre est, par exemple, consacré à “l’après-Commune”, à l’exil et à la déportation des vaincus en Guyane et en Nouvelle-Calédonie. Une notice aborde, sans concession, les rapports ambigus que noueront les déportés communards avec la révolte kanake.

Des vies comme autant de romans

Par quel bout prendre ce bouquin de plus de 1400 pages? Après un rapide survol de très pratique chronologie judicieusement placée en tête de l’ouvrage, je me suis ruée sur les parties thématiques, avant d’aller me perdre dans les notices biographiques (et je vous livre un aveu, je suis loin d’avoir terminé ma lecture). S’il fallait faire un seul reproche à cet ouvrage, ce serait de n’avoir pas mieux mis en évidence le soin apporté à la place des femmes, actrices de premier plan dans ce mouvement révolutionnaire et social mais dont les noms furent, pour la plupart, occultés par celui de Louise Michel, devenue icône du mouvement. Symboliquement, intituler les chapitres biographiques “Les actrices et les acteurs” plutôt que “les acteurs” aurait permis de mieux valoriser l’immense travail effectué dans le cadre de cette somme.

Vu de Suisse, j’aurais aussi aimé une notice sur chacun des principaux pays d’exil des Communards, dont le nôtre. On estime à environ un millier le nombre de Communardes et de Communards qui se seraient réfugiés en Helvétie, notamment au bord du Léman et dans l’arc jurassien. Entre la Riviera vaudoise, Lausanne et Genève, on a ainsi pu croiser les frères Reclus, l’homme de lettres Jules Vallès ou l’actrice Florence Agar, forcée de quitter la Comédie-Français puis exilée un temps à Lausanne. J’aurais été curieuse d’en apprendre davantage sur leurs réseaux locaux. Je pense aussi à cette Victorine Brocher, infirmière et combattante sur les barricades, qui s’installa à Lausanne en 1892, ouvrit une librairie et tint une pension de jeunes gens jusqu’en 1912.

Superbement illustré

Ces (petits) bémols posés, il reste l’essentiel: un ouvrage passionnant, écrit dans un style très accessible. Un autre tour de force à saluer est le remarquable travail d’illustration: un portrait accompagne ainsi la plupart des notices biographiques. Émaillées de citations, ces notices sont vivantes et bourrées d’informations, à mille lieue de l’idée un peu austère qu’on peut se faire d’une entrée de dictionnaire. On en sort avec l’impression de mieux connaître les figures, célèbres ou inconnues, qui ont rendu possible ce très bref printemps du peuple. Un très bel objet qui ravira toutes les personnes curieuses de débats sociaux et d’Histoire.

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