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Your Honor : Bryan Cranston rechute

Pour son retour très attendu en tête d’affiche d’une série, le héros de Breaking Bad endosse le rôle d’un père de famille respectable sombrant dans la criminalité. Cela rappelle vaguement quelque chose, mais quoi ?

Genre : thriller

Si vous avez aimé :  Breaking Bad, Ozark, The Wire

Bande-annonce :  anglais sous-titré

L’histoire : Venu déposer des fleurs dans le quartier sensible où sa mère fut tuée par balle un an plus tôt, le fils d’un juge respecté est pris en chasse par un gang. Dans sa fuite, il renverse un motard et le laisse agoniser. Problème : la victime est le fils du parrain de la pègre locale.

Diffusion : dès le 28 janvier sur Canal+

“I dedicated my whole life to my son. That level of love can crack you open. Make you someone you never thought you’d be.”

Michael, un type bien
Michael Desiato est un type bien. Juge respecté à la Nouvelle-Orléans, le veuf élève son fils dans le respect de son prochain (au son des Noces de Figaro) et applique la même règle au sein du tribunal où ses ordonnances sont justes et proportionnées. Si un méchant policier blanc accuse une pauvre mère de famille noire d’un délit mineur, Michael ne rend pas de verdict aveugle. Non. Il se rend chez la prévenue pour mesurer les conséquences que son jugement pourrait avoir sur la pauvre famille (comment ça, ce n’est pas légal ?), avant de prononcer une sentence éclairée. Parce que Michael est un type bien.

Attention, méchant policier. Heureusement, le juge Desiato veille. © Showtime

Adam, un gentil garçon
Adam est un gentil garçon. Asthmatique (le pauvre), le lycéen peine à se remettre du décès de sa mère, injustement abattue un an plus tôt lors d’un braquage. S’il renverse un motard et commet un délit de fuite, ce n’est pas parce qu’Adam est un vilain délinquant. Non. Pris d’une crise d’asthme alors que de méchants noirs le pourchassaient en voiture, il a juste essayé d’attraper son Ventolin bêtement tombé sous le siège passager et perdu le contrôle du véhicule, puis de ses nerfs. En somme, un fâcheux concours de circonstances pour le jeune homme, prêt à assumer les conséquences de ses actes. Car Adam est un gentil garçon.

Le scénario : un désert aride
Interminable et si mal jouée que c’en est bidonnant, la scène de l’accident de voiture qui plonge nos deux héros dans la tragédie n’a rien à envier à la mort de Marion Cotillard dans The Dark Knight Rises. Pour qui aura réussi à surmonter cet écueil, le désert reste aride. Car la suite du récit est à l’image du profil des personnages, alignant les clichés au mieux risibles, le plus souvent embarrassants (que de chiens fixant leur maître lorsque les personnages sortent du droit chemin, sans doute une parabole).

“You know what they say. Crime in this city.” © Showtime

Censé constituer un émouvant plaidoyer contre l’injustice raciale, la minisérie s’enfonce dans ce que l’on nommera pudiquement des maladresses. De « l’ami noir » qui aide à effacer l’arme du crime grâce à ses connexions troubles à la représentation caricaturale des conflits sociaux ou de la corruption qui gangrène la vie, le scénario aligne les mauvaises pioches et peine à dissimuler de très grosses ficelles.

“This is New Orleans. Everybody connects.”

Tragédie grecque de comptoir
Que dire du parallèle peu subtil entre les deux pères ? L’un représentant de l’ordre judiciaire qui n’hésite pas à enfreindre la loi pour protéger son fils, l’autre mafieux qui fait appel à la justice pour retrouver l’assassin de son enfant. La rivalité entre les deux hommes que tout oppose les fait se refléter en miroir. Visiblement satisfait de sa référence à la tragédie grecque et s’enhardissant jusqu’à citer Voltaire (preuve qu’on ne fait pas d’Hamlet sans casser des œufs), le showrunner Peter Moffat a la parabole épaisse et semble vouloir souffler à l’oreille du spectateur « Vous l’avez ? Vous êtes sûr que vous l’avez ? ». Oui, Peter, on l’a.

Au cœur du récit, la rivalité entre deux pères que tout oppose. © Showtime

Réalisation et acteurs impeccables
Adaptée d’une mini-série israélienne (Kvodo), essentiellement gage d’excellence, Your Honor ne possède pas moins des qualités indéniables. La minisérie est le plus souvent impeccablement réalisée, malgré le désormais inévitable filtre vert signe de tragédie (les amateurs d’Ozark apprécieront), et la distribution livre quelques jolies scènes, Margo Martindale et Isiah Whitlock Jr. en tête.

Égal à lui-même, Bryan Cranston est impérial. Mais le juge en chute libre de Your Honor n’a pas le coffre de Walter White ou du psychopathe Vince Lonigan, que l’acteur incarne avec génie dans la première saison de Sneaky Pete.

Depuis la fin de Breaking Bad, la tentation est grande de confier à la star des rôles comparables à celui qui fit sa gloire. Hélas, Peter Moffat n’a pas le génie de Vince Gilligan. Aussi exceptionnel qu’il soit, Bryan Cranston n’arrive pas à sauver la série d’un lent et inexorable naufrage. Espérons que l’accueil jusqu’ici mitigé de Your Honor le convaincra de changer définitivement de registre. Auréolé de quatre Emmy Awards et un Golden Globe, le comédien a suffisamment démontré qu’il sait tout jouer.

 

Version française en 2021
Une version française de la minisérie est en cours de production. Mettant en scène Kad Merad dans le rôle du juge, Gérard Depardieu et Zabou Breitman, « Un homme d’honneur » sera diffusée cette année sur TF1.

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