Ecologie, politique et spiritualité

Climat : état des lieux empirique, scientifique et institutionnel

Il en va manifestement de la destructivité climatique comme d’autres enchaînements historiques. Lorsqu’il convient de livrer un combat, l’ennemi est d’abord du côté des victimes potentielles, et non exclusivement du côté de l’adversaire désigné, humain ou non-humain. Les premiers ennemis des nazis furent en effet l’incompétence et l’obstination stratégiques du caporal Hitler. Côté français, les premiers ennemis furent l’incompétence de l’état-major et le défaitisme chronique de Pétain, y compris lorsque le gros des troupes d’Hitler était en Pologne. Etc. Nous ne sommes pas stricto sensu en guerre contre le climat, mais ne devons pas moins livrer un combat à multiples facettes contre le changement climatique : nous devons en effet changer les habitudes de consommation qui nous ont conduits à une situation qui tourne au cauchemar, lutter contre les intérêts économiques et les systèmes techniques solidaires de ces habitudes, nous adapter autant que possible à un monde qui change très vite, etc. Or, des forces gigantesques, économiques et politiques au premier chef, se mobilisent pour nous persuader de ne rien faire : au nom de l’économie, comme si un climat violent était compatible avec nos économies ; au nom de l’écologie punitive, expression imbécile s’il en est ; au nom du refus de la dictature ou du socialisme Verts ; au nom de la magie des techniques ; etc. Nous assistons plus précisément à une collusion entre de puissants intérêts économiques d’un côté et, de l’autre, un désir de déni diffus, des forces populistes montantes, aptes à contrer toute percée politique écologique et efficace.

Il va sans dire que je ne répondrai pas sur ce blog aux sempiternels climato-sceptiques qui se déchaînent avec des arguments plus stupides les uns que les autres, plus ou moins assortis de mauvaise foi. Et souvent d’une arrogance grotesque.

Où en sommes-nous ?

Autant dire qu’en quelques-années la donne climatique a profondément changé. Les choses tournent même au cauchemar. De lointain – la fameuse fin de siècle et sa température moyenne auscultée par le GIEC –, le dérèglement climatique est devenu contemporain, douloureusement tangible à nos sens. Des grandes tendances telles qu’elles ressortent des modèles, nous sommes passés en quelques années, sans toujours le comprendre, à l’actualité récurrente et tendancielle d’événements extrêmes, de plus en plus extrêmes. Lorsqu’une équipe de climatologues de Météo France avait en 2017 fait paraître une étude prévoyant pour l’Est de France à la fin du siècle des maxima à 50, voire 55°[1], personne ne la prit véritablement au sérieux. Pourtant rapidement, des pointes de température, avec une hausse mondiale d’un peu plus de 1°, commencent à s’en rapprocher. Un petit village de l’Hérault a connu un maximum de 46° en fin juin, 2019, 43° en région parisienne fin juillet de la même année. Et évidemment les 49,6° de Lytton, à la latitude Nord de Vancouver auraient paru absurdes il y a quelques années à la plupart des scientifiques du climat. Des températures urbaines à 50° et plus ne sont plus exceptionnelles en Inde ou autour du Golfe Persique. Et on s’est approché récemment de ces valeurs aux USA ou en Espagne. A quoi s’ajoutent bien sûr les autres types d’événements extrêmes comme les méga-feux en Australie ou en Californie, les inondations de grande étendue comme celles consécutives au cyclone Harvey aux USA en 2017, avec des glissements de terrain et autres coulées de boue jamais expérimentés comme au Japon ou en ce moment en Allemagne, les vagues de sécheresse et autres cyclones. Ou bien encore les passages du chaud au froid comme ce printemps en France, non moins dévastateurs pour les cultures. Et il conviendra d’y ajouter dans quelques décennies les contrées touchées par des phénomènes d’accumulation chaleur-humidité saturant les capacités corporelles de régulation thermique, et condamnant en moins de 10 minutes à mort sans possibilité de refuge plus sec ou moins chaud.

Or, ce sont ces phénomènes qui à la fois nous avertissent du dérèglement climatique en cours et dont la récurrence va rendre la vie sur Terre, et au premier chef l’agriculture, de plus en plus aléatoire. Ils sont donc l’interface par excellence entre le changement climatique et nous. Or, il n’est pas facile de les appréhender à partir des grandes tendances dégagées par les modèles. Il n’en reste pas moins vrai que leur violence et leur récurrence dépendent de la température moyenne à la surface de la Terre, de l’énergie qu’elle enferme. Encore une fois, ce sont eux qui nous affectent, nous touchent et qui ont des conséquences hautement destructrices. On comprend donc l’inquiétude des scientifiques du climat rendue manifeste par les fuites récentes au sujet du prochain rapport du GIEC.

Les choses vont si vite qu’il devient par ailleurs inopportun, comme le faisait remarquer le climatologue Christophe Cassou, en dépit de la réalité statistique du climat, d’évaluer le changement sur des moyennes de 10 à 30 ans. Rappelons que la température sur Terre au sol a augmenté d’1° ces 40 dernières années, et que le phénomène s’accélère, au prorata de nos émissions passées et actuelles. Pour appréhender cette évolution, mieux vaut tabler sur les moyennes annuelles s’enchainant pour finir par ne plus retomber en-deçà d’un certain seuil. La tendance est alors hautement visible. Si comme le prévoit le Met Office, nous avons 40 % de chances de connaître une année plus chaude de 1,5° vis-à-vis de la période préindustrielle dès avant 2025, on peut alors s’attendre à vivre prochainement une année particulièrement dramatique., suivie de bien d’autres. Quant au modèle français de l’IPSL, il table sur l’avènement d’années à au moins 2° de plus, dès le début de la décennie 2040. Rappelons que la concentration atmosphérique de dioxyde de carbone s’élève désormais à 420 ppm, ce qui équivaut à la valeur qui prévalait il y a 4 à 4,5 millions d’années, au Pliocène, avec une température moyenne plus élevée de 2 à 3 degrés par rapport à nos valeurs préindustrielles. Les prochaines décennies nous réservent d’ores et déjà moult événements extrêmes.

Quel contexte institutionnel ?

Face à cette situation devenue périlleuse, au moins pour ceux qui savent encore s’appuyer sur des faits, force est de constater que le contexte institutionnel change. L’Agence européenne de l’environnement appelle en effet, ni plus ni moins, à une forme de décroissance[2]. L’Agence Internationale de l’Énergie invite quant à elle à ne plus exploiter de nouveaux gisements fossiles[3]. La Cour suprême hollandaise s’était illustrée dans l’affaire Urgenda, en exigent du gouvernement qu’il augmente son objectif de réduction des gaz à effet de serre. Récemment un tribunal hollandais a condamné Shell à réduire de 45 % ses émissions d’ici à 10 ans[4]. En mai la Cour constitutionnelle de Karlsruhe a imposé au gouvernement fédéral de passer de moins 55 à moins 65 % son objectif de réduction des émissions de carbone d’ici à 2030, imposant ainsi au nom du droit des générations futures un objectif plus élevé que celui voté par le parlement européen. En France le Conseil d’État a donné 9 mois, à compter de fin juin, au gouvernement français pour qu’il atteigne l’objectif qu’il s’était fixé de réduction des émissions de40 % d’ici à 2030. Certaines institutions ont donc indubitablement pris la mesure de la donne qui nous échoit.

En revanche, si l’on se tourne vers la donne politique des démocraties représentatives, la situation est beaucoup moins encourageante. On peut distinguer trois cas de figure au moins. Le premier est celui caractéristique du bipartisme nord-américain avec une ligne de démarcation qui est l’acceptation ou le déni des enjeux climatiques ; le climat, associé au populisme et à son refus, est ce qui oppose pour l’essentiel les Démocrates aux Républicains. Autre cas de figure, celui de l’Allemagne et de l’Angleterre, pour lesquelles il y a une forme de consensus droite-gauche sur l’enjeu majeur de climat. Avec la loi CO2 soutenue à droite et à gauche, la Suisse semblait s’orienter vers ce cas de figure ; après le refus de cette loi par le peuple d’une courte majorité, la situation est plus incertaine. Il reste le cas de figure français avec des Républicains qui s’opposent à toutes les décisions en faveur de l’environnement, et un Président de la République et son semblant de parti politique peu enclins à agir, comme le montre à souhait la loi climat, mais sans pour autant nier, paradoxalement, le problème. Le chemin à parcourir pour construire un consensus en creux commun à toutes ces démocraties est encore loin.[5]

Il n’en reste pas moins vrai que certains milieux d’affaires ont choisi de promouvoir, en soutenant des médias résolument populistes, le climato-scepticisme le plus grossier. Tel est le cas de CNews et désormais d’Europe n° 1 en France. Durant la canicule canadienne se succédaient sur les plateaux des pitres climato-sceptiques plus pathétiques les uns que les autres, comme dans un geste apotropaïque, afin d’exorciser l’effet potentiel de ces drames sur bon peuple. Certains journalistes cherchaient des précédents, comme si la tendance et la précipitation des phénomènes étaient inexistantes. Plus généralement, une décarbonation rapide des économies mettrait en grandes difficultés nombre d’acteurs majeurs des places financières, dont la part des investissements carbonés reste déterminante.

Enfin, le sort que réserveront les différents États européens au projet de la Commission en matière de neutralité carbone à l’horizon 2050 avec une taxe aux frontières, mais en taxant aussi les consommations fossiles domestiques, si ambitieux soit-il, n’est pas encore scellé et loin d’être acquis. Il convient également d’être attentif au fait que ce plan est aussi porteur d’une extension de la logique de marché à l’ensemble du « capital naturel », avec des marchés de compensation rendant la protection de la nature dépendante de la volatilité des prix sur les marchés.

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Décidément la route conduisant à un réel changement de modèle, seul propre à réduire la catastrophe en cours, est encore longue, et plus encore incertaine, à la différence du cours destructeur de l’habitabilité de cette planète.

[1] Margot Bador & alii, « Future summer mega-heatwave and record-breaking temperatures in a warmer France climate », Environ. Res. Lett. 12 (2017) 074025, https://doi.org/10.1088/1748-9326/aa751c

[2] https://www.eea.europa.eu/publications/growth-without-economic-growth

[3] https://www.lemonde.fr/energies/article/2021/05/18/l-agence-internationale-de-l-energie-appelle-a-ne-plus-investir-dans-de-nouvelles-installations-petrolieres-ou-gazieres_6080549_1653054.html

[4] https://www.novethic.fr/actualite/environnement/climat/isr-rse/pays-bas-shell-est-condamne-a-reduire-de-45-ses-emissions-de-co2-d-ici-dix-ans-149844.html

[5] Voir D. Bourg, « Écologie et civilisations. Fin d’un monde et nouvelles perspectives », Futuribles, n° 442, mai-juin 2021, pp. 33 – 44.

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