Ecologie, politique et spiritualité

La honte de Benjamin Constant. Réponse à Monsieur Nantermod

La honte de Benjamin Constant. Réponse à Monsieur Nantermod

 

 

Le rôle de donneur de leçon est ingrat. Rares, au moins, sont ceux qui pourraient toutefois revendiquer ne s’y être jamais complu. Je ne sais si cet ensemble est vide, mais si tel est le cas, ce n’est pas de mon fait. Mais prétendre l’exercer sans maitriser son sujet est très imprudent. Je crains Monsieur Nantermod (conseiller national PLR) que votre apostrophe à mon encontre, publiée dans Le Temps datée du 4 mai dernier, ne relève de cette imprudence.

Il n’est pas nécessaire pour parler d’« avertissement de la nature » de doter Dame Nature d’une intentionnalité. Si par un soir d’hiver (lorsque l’hiver était autre chose qu’une saison tiède, changement qui semble échapper à votre sagacité de libéral impénitent), un conducteur ressent une légère embardée de son véhicule, très probablement provoquée par la présence de verglas (phénomène spontané, et en ce sens naturel), mais sans conséquences accidentelles, il interprétera cet événement comme un avertissement. Il ne lui est pas alors nécessaire de devenir animiste pour ce faire !

Désolé cher Monsieur, mais votre remarque est doublement déplacée. Premièrement, votre lecture est sémantiquement inepte. Je viens de vous le monter par un exemple à votre mesure, du moins l’imaginé-je. Deuxièmement, par ce qu’en l’occurrence, la pandémie du Covid-19 constitue bel et bien un avertissement du type plaque de verglas. Il n’y a aucun doute sur l’origine animale du Covid-19 et de ses quelques gènes. Par quelle alchimie microbiotique il a fini par devenir une chimère biologique, apte à s’en prendre à des vies humaines ? Nous ne le savons pas, mais l’alchimie en question ne se serait pas produite sans la proximité, de notre fait, de cette espèce de chauve-souris aux habitats humains. Or, la destruction des écosystèmes sauvages et celle de l’habitat de nombreuses espèces, la déforestation notamment, la réduction de la biodiversité, les contiguïtés homme-animal, y compris domestique, sont des facteurs qui expliquent l’augmentation marquée des zoonoses que nous connaissons depuis quelques décennies. Nous pouvons donc redouter d’autres épidémies, susceptibles de se transformer en pandémies avec la mondialisation. Et nous avons eu la chance d’être confrontés à un virus faiblement létal, statistiquement, et n’affectant mortellement que certains segments de la population.

Vos propos sur Gaïa sont non moins déplacés. Gaïa n’est pas pour Lovelock, ou pour Margulis, autre chose qu’un système au sens de la théorie des systèmes. Elle n’est pas plus dotée d’intentionnalité qu’un missile programmé pour atteindre sa cible, pour reprendre son propre exemple. Le recours à une figure de la mythologie, qui n’est pas de son chef, originellement, est là pour susciter quelque empathie vis-à-vis de la nature, mais non pour se substituer à la description du système désigné. Nous ne saurions raisonner sans le moteur de nos affects. Mais, comme je dois le constater, il arrive, quand il s’agit de passions tristes, que les affects étouffent ce qui tient lieu d’intelligence.

Enfin, vous qui vous targuez d’être libéral, vous êtes probablement persuadé – par obligation professionnelle –, que le marché est efficient et qu’il garantit la meilleure allocation des ressources. Ce qui relève du gag absolu pour tout environnementaliste, fût-il le plus paresseux des débutants. Les marchés d’aujourd’hui n’ont plus rien à voir avec ceux de grand-papa Hayek, censés avec le signal-prix fournir aux producteurs individuels les informations dont ils avaient besoin (par exemple les conditions de travail dans des mines lointaines…). Quel est le signal d’un baril de pétrole à prix négatif ? Qu’il y a quelque problème quant à la pérennité de la ressource ? Que sa combustion n’infléchit pas l’effet de serre naturel ? Etc. ? Une des caractéristiques des marchés d’aujourd’hui est une volatilité extraordinaire, et un décrochage d’une réalité vivante et climatique qui part en charpie. Alors que la récession menace, certaines bourses s’envolent ! Mais évidemment, vous imaginez qu’une Providence veille sur nous, consommateurs invétérés, et fera qu’on pille les réserves fossiles, déverse dans l’atmosphère des milliards de tonnes de CO2, qu’on détruise les sols, empoisonne l’air et les rivières, les mers, que l’on répande moult biocides, etc., sans qu’il n’en découle quelque conséquence négative pour nous autres pauvres consommateurs.

Quel est celui qui croit au Père Noël ? L’écologiste contestataire en Birkenstock, ou le libéral consentant en cravate ? Le problème étant que les conséquences de la croyance aveugle du second seront à terme criminelles (elles le sont déjà en termes de pollution de l’air, de conséquences multiples du dérèglement climatique, d’effondrement de populations de vivants sauvages, etc.). Et je pèse résolument mes mots.

J’ai honte pour Benjamin Constant, ce grand penseur qui honore la ville de Lausanne. Je crains qu’il n’ait dû se réfugier dans l’enfer de Dante, las d’essuyer de son firmament les âneries coupables de ceux qui se réclament de lui. S’en réclamer authentiquement, ce serait chercher, comme il y était parvenu il y a deux siècles (vous m’avez bien entendu, deux siècles !), à comprendre certaines caractéristiques de son temps. Et non pas un psittacisme partisan.

 

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