Un monde plus durable

Végétaliser les villes pour mieux affronter les crises sanitaires et climatiques

Mes tulipes, ma fenêtre, ma rue

Refaire l’expérience de centres-villes où l’on entend le chant des oiseaux…

La crise sanitaire aura été l’occasion de vivre de nombreuses expériences exceptionnelles, déboussolantes et instructives qui resteront pour longtemps gravées dans nos mémoires. Surtout pour les gens des villes.

Dans nos régions largement dominées par les métiers du tertiaire (86% dans le canton de Genève en 2017), le confinement a été l’occasion pour beaucoup d’expérimenter le télétravail, parfois dans la douleur, souvent avec satisfaction. D’autres, mis au chômage technique, ont savouré le fait d’avoir enfin du temps. Et ceux qu’on appelle désormais les “héros de la crise” – celles et ceux qui exercent les métiers essentiels – se sont rendus au travail sur des axes de transports débarrassés de leur habituelle congestion.

Nous sommes des millions à avoir redécouvert notre chez-soi, nos voisins, notre quartier, notre kilomètre carré. Cette pause forcée nous a offert l’expérience agréable des ballades dans un centre-ville enfin apaisé, où l’on entend le chant des oiseaux, où l’on s’émerveille devant un marronnier en fleurs. La marche et le vélo sont devenus rois dans un espace public moins menaçant et moins bruyant.

Dans une ville à l’arrêt, toutes ces surfaces de bitume, habituellement destinées à accueillir un flot continu de véhicules, nous semblent soudain démesurées et un tantinet absurdes… On en vient à se demander quel serait leur usage si ce type de situation perdurait…?

Inversement, lorsqu’on est confiné en ville, la proximité de la nature devient un besoin vital : chaque parc, chaque placette, chaque bosquet et chaque massif de fleurs acquièrent une nouvelle valeur. C’est encore plus évident lorsque durant des semaines, l’idée d’une échappée à la montagne, à la mer ou sur les îles est synonyme de grande incertitude.

“Dans les villes, les gens découvrent ce que c’est que d’être débarrassés des nuisances du trafic. Ils auront peut-être envie d’avoir durablement un environnement urbain de meilleure qualité.”
Vincent Kaufmann, Le Temps, 20.4.2020

Les plus profondes transformations urbaines ont été déclenchées par les crises sanitaires. Donc avant que tout ne redevienne comme avant, ne faudrait-il pas réinterroger en profondeur notre façon d’utiliser l’espace public ? Est-ce que les routes ne devraient pas être réservées aux usages essentiels et d’intérêt public (transport public, ambulances, construction, service incendie, livraison, aide à domicile, etc.) ? Alors que la pollution de l’air tue au moins autant que le COVID-19, n’est-il pas temps de restituer l’espace public aux habitants, aux piétons, aux personnes en chaise-roulante, aux cyclistes ?

Rendre la ville dense résiliente face au changement climatique

Densité d’habitants par sous-secteurs statistiques (source : OCSTAT 2019 / B. Guiboud)

Le centre urbain de notre canton fait partie des plus denses d’Europe : 12’800 habitants au kilomètre carré en Ville de Genève, 8’400 à Carouge, 6’800 à Chêne-Bourg et Onex, 6’700 à Lancy. Dans le sous-secteur Cluse-Philosophes, on trouve jusqu’à 36’000 habitants au kilomètre carré !

Ces dernières années, les efforts d’aménagements ont à juste titre porté sur la production de logements et de nouveaux quartiers (Vergers, Cherpines, PAV…). Mais il est temps de porter l’attention urbanistique sur le tissu bâti existant, sur ces quartiers très denses où les attentes des habitants sont fortes. Si Genève a reçu autant de “non” dans les urnes en matière d’aménagement ces derniers mois, si une fronde vigoureuse se lève contre le bétonnage, n’est-ce pas simplement parce que certains quartiers suffoquent, qu’ils manquent cruellement de nature et de végétation ?

Rappelons-le : en 2050, Genève aura le climat de Madrid. Juillet prochain nous rappellera dans notre chair à quel point nos rues noires de bitume se transforment en enfer à chaque canicule. Comme lors de la présente crise et chaque année davantage, nous précipiterons sous un arbre ou dans un parc à la recherche de nature, de calme, d’espace ou de fraîcheur.

Il faut rendre à l’évidence : nos centres-villes manquent cruellement d’arbres, de végétation, d’ombrage et de sols perméables (voir à ce propos l’étude “Nos Arbres”).

Pratiquons la végétalisation de la ville sous toutes ses formes !

Zones et liaisons de verdure, 1948

Partout en Europe, les villes font de la place pour la végétation et la mobilité douce. En 1948 à Genève, on prévoyait déjà “un système de liaisons de verdure, constitué d’allées d’arbres et de promenades, permettant de se rendre du centre-ville à la périphérie en passant d’un parc à l’autre.” Or nous attendons toujours… A Genève, la transformation la plus ambitieuse – et qui prouve que tout est  possible ! – est certainement celle de la rue Chandieu qui relie les parcs Beaulieu et Trembley. Une moitié de la largeur de rue a été libérée de son asphalte et transformée en aire de jeu plantée de nombreux arbres.

Végétalisation à la rue Chandieu, Ville de Genève
Rue du Trésor à Paris

Une diversité de solutions existent et sont adaptables à chaque contexte, allant du fleurissement de trottoirs à la transformation de rues en parc.

Pourquoi nos trottoirs sont-ils des institutions de béton monotone où la balayeuse est reine mais où les brins d’herbes n’ont plus d’espoir ? Les permis de végétaliser qui ont un grand succès en France permettent aux habitants de s’approprier l’espace public et de le fleurir.

Projet de végétalisation de rue à Nice
Projet de végétalisation de rue à Paris (source: www.liberation.fr)

De nombreux espaces pourraient être libérés de leur revêtement bitumineux ou de béton pour reconstituer des sols perméables capables d’accueillir de la végétation. Ces surfaces peuvent être utilisées à la fois pour des plantations d’ornement et d’ombrage ou même pour de l’agriculture urbaine.

Depuis des décennies, c’est environ 1 mètre carré de sol par seconde qui disparaît sous des constructions en Suisse. Pour contrer cette évolution, l’intérieur des villes offre un grand potentiel qu’il est temps d’explorer. Il s’agit d’accorder à la végétation une priorité au moins équivalente aux autres usages. Les arbres, les sols de pleine terre, les surfaces d’infiltration des eaux de pluies sont des éléments fonctionnels de la ville au moins aussi importants que les places de stationnement et les réseaux souterrains. Les surfaces étanches, car oui il en faudra toujours, peuvent être combinées avec des puits d’infiltration des eaux de pluie.

De la place et du soin pour la nature dans la ville, de l’ingéniosité, de l’expérimentation et un brin de révolution : puissent ces quelques ingrédients nous permettre d’habiter les centres-urbains encore longtemps, en bonne santé et avec bonheur.

Système de Stockholm : chaussée, arbres et gestion des eaux de pluie (Lien horticole, août 2017)
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