Les paradigmes du temps

Planète Virus

L’attente, l’attente pour ceux qui se sont retranchés chez eux, l’attente de voir la vague arriver, de savoir si nous serons submergés par ce tsunami invisible ; l’attente de savoir si, nous aussi, nous serons malades. L’attente pour ceux qui, infectés, parviennent dans l’univers immaculé d’un hôpital et qui espèrent en sortir un jour, l’attente pour leur famille angoissée ; l’attente pour tous ces héros anonymes qui affrontent ce mal et dont les blouses blanches ne sont le garant de rien ; l’attente pour ceux qui, contraints de faire fonctionner notre société, se retrouvent confrontés à une insécurité presque palpable que seule une épidémie est en mesure d’initier. L‘attente également pour ces détenus incarcérés en nombre et dont la promiscuité ne leur promet aucune échappatoire si le virus franchit les murs de leur prison ; l’attente pour ceux qui, coincés dans un pays étranger, songent à Robinson ; l’attente encore pour les politiques devant prendre des décisions lourdes de conséquences en espérant le moment le plus opportun. L’attente d’une fatalité que l’on espère oublieuse d’un rendez-vous auquel chacun d’entre nous est convoqué.

Voilà notre apocalypse, révélant peu ou prou la nature de bon nombre d’individus : volontaires mus par une bienveillance spontanée, inconscients imaginant que la pluie ne mouille que le voisin, renfrognés ne vivant que par la critique, capitaines d’entreprise ou de bataillon se démenant au cœur d’une guerre sans ligne de front, philosophes ne sachant de quoi sera fait le lendemain. Chacun conjure l’angoisse qui, soir après soir, vient peu à peu.

Le caléidoscope des réactions humaines se mesure à l’aune de notre civilisation, reflétant générosité et égoïsme, talents et bêtises, noblesse et perfidie, efficacité et chaos. D’aucun en observe les portées en ces jours inscrits hors de notre temps séculaire. Et, au gré des heures à venir, des semaines, peut-être des mois, cette attente fera tomber les masques de bien des personnes, de notre société surtout, mettant en lumière nos forces et nos travers de la manière la plus triviale.

Et puis, lorsque tout sera terminé, car ce jour viendra, nous nous souviendrons. Et comme pour le 11 septembre, il y aura le temps d’avant et le temps d’après le virus. Bien sûr, les juges auto-proclamés et les censeurs auront alors beau jeu d’accuser, de compter et de pérorer – ne le font-ils pas déjà à présent ? – mais le plus important résidera dans l’apprentissage qu’il nous faudra entamer et dont chacun d’entre nous voudra bien fixer les enjeux : reconnaître notre force de réorganisation qui, bon an mal an, apparaît incroyablement dans la soudaineté d’une catastrophe planétaire, mais aussi notre fragilité, nous qui pensions que notre civilisation était à l’abri de phénomènes oubliés dans les livres d’histoire ; accepter que l’argent ne doit être qu’un outil au service de l’homme et non une fin en soi ; s’autoriser à admettre que nous ne maîtrisons pas tout et que dès lors nous aussi pouvons être les jouets du destin ; se rappeler comme l’a fait le Conseil fédéral que la devise de notre pays est « Un pour tous, tous pour un » ; et puis, par-dessus tout, faire taire notre arrogance devant l’immensité d’incertitudes où nous plonge notre attente.

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