Les paradigmes du temps

Quelles seront les conséquences du Coronavirus lorsque l’épidémie sera terminée ?

Nous assistons, largement impuissants, à l’impact extraordinaire de l’épidémie de Covid-19 sur nos sociétés occidentales, grippant l’économie, les medias, le quotidien de nombreuses personnes et maintenant l’ensemble de l’Italie. Les autorités politiques surréagissent-elles à l’égard de cette maladie qui, comparée à d’autres fléaux, semble bien anodine ? Et, l’est-elle, anodine ? Il est évidement trop tôt pour mesurer toute la portée de cette épidémie dont le nom, Covid-19, rappelle involontairement les titres de quelques films de science-fiction des années septante[1].

Si une frange de la population estime excessives les mesures prises par les autorités, il n’en demeure pas moins que les événements actuels sont phénoménaux et historiques, ne fut-ce que sous l’angle des mesures prises dans les pays occidentaux puisqu’il faut remonter à 1918 pour observer une mobilisation de cette ampleur. Car pour les scientifiques, un grand nombre de médecins et l’OMS, dont les avis influent peu ou prou sur les décisions politiques, l’une des références paroxysmiques en la matière demeure la grippe de 1918 avec ses 50 millions de morts. Une catastrophe redoutée alors qu’un phénomène épidémique présente des inconnues inquiétantes, expliquant largement les mesures de protection prises actuellement. Des mesures qui mettent en lumière l’antagonisme entre le corps de l’individu que ces mesures entendent protéger, et le corps social impacté moins par le virus que par lesdites mesures. Ces moyens de protection, relativement triviaux, notamment la quarantaine, demeurent en l’occurrence les mêmes que jadis tant il est vrai que pour ralentir une expansion de cette nature, les méthodes les plus simples sont généralement les plus efficaces.

Alors, nous avions déjà les djihadistes, les crises financières, les mutations environnementales, les exodes de réfugiés ainsi que les famines et les guerres, et maintenant, pour parachever cette chevauchée des quatre cavaliers de l’Apocalypse, la maladie endémique. En vingt ans, notre monde a connu de multiples contractions remodelant progressivement nos champs de références, nos valeurs et les aspirations d’un grand nombre, générant une volatilité dans la plupart des domaines. L’historienne Anne Rasmussen, dans le Monde[2], revenait ainsi il y a peu sur l’usage des frontières à travers le temps lors de maladies contagieuses, et il est vraisemblable que nous soyons les témoins au cours de ces prochaines années de nouvelles mutations inhérentes à ces multiples facteurs auxquelles l’épidémie actuelle participera : progrès scientifiques notables, évolutions culturelles, prises de conscience, mais également, à contrario, règlements sanitaires liberticides, récupération politique visant des objectifs xénophobes, radicalisations politiques, régulations déshumanisantes. De multiples changements avaient suivi l’épidémie de grippe espagnole en 1918, indépendamment de la guerre qui se terminait alors, et il y a peu de raisons de penser, à priori, qu’il en aille autrement de nos jours.

Il suffit d’un bref survol sur le continent pour constater que tel est déjà le cas avec la prise en otage de milliers de personnes entre la Turquie et l’Union européenne dont le traitement aux confins de la Grèce est une honte pour la Vieille Europe. Celle-ci, pourtant, devrait se souvenir de son histoire mais, bien au contraire, elle semble frappée d’amnésie en faisant le choix de renforcer le dispositif sécuritaire à ses marges en octroyant de nouveaux financements à Frontex, l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, en oubliant le droit international humanitaire, la convention des droits de l’homme et la convention de 1951 portant sur les réfugiés. Ce glissement des principes humanistes dont nous nous prévalions il y a encore quelques années et qui, à présent, est soumis à une réal-politique odieuse, n’est pas absent de la Suisse dont les chambres fédérales proposent une nouvelle batterie de mesures pour lutter contre le terrorisme[3]. Une initiative louable tant les séides de l’Etat islamique, de Boko Haram et d’autres groupuscules extrémistes ont démontré leur dangerosité et leur folie meurtrière au cours de ces dernières années, mais qui s’exprime en portant atteinte aux droits fondamentaux et aux droits humains comme le dénonce la plate-forme des ONG suisses pour les droits humains. Une loi pouvant entraîner des mesures de police draconiennes sur la simple base de présomptions élargies à des mineurs de 15 ans, voire de 12 ans selon la situation, confinant à l’arbitraire ! Nous pourrions multiplier les exemples !

Si le Covid-19 pèse sur nos existences et pèsera encore quelque temps, le plus grand danger ne relève-t-il pas de nos angoisses eschatologiques qui fluctuent largement au gré des medias et qui nous poussent à nous retrancher dans des citadelles que nous aimerions interdites à toute forme d’altérité ?

[1] THX 1138 de George Lucas.

[2] https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/03/06/coronavirus-derriere-l-enjeu-de-la-quarantaine-se-profile-toute-l-histoire-de-l-usage-que-les-etats-ont-fait-de-leurs-frontieres_6032090_3232.html

[3] https://www.admin.ch/opc/fr/federal-gazette/2018/6469.pdf

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