Les paradigmes du temps

Les vétérans suisses du IIIe Reich

La polémique sur les pensions de guerre allouées à d’anciens combattants du IIIe Reich déclenchée par des députés belges scandalisés prend progressivement de l’ampleur. 2’033 personnes bénéficieraient encore de nos jours, dans une cinquantaine de pays, de ce fonds. Un sujet éminemment sensible, ce d’autant plus que les victimes du Nazisme ont dû attendre des années pour recevoir une compensation.

En Suisse, quarante-neuf personnes toucheraient une retraite complémentaire de la République fédérale allemande pour s’être battu dans les armées de Hitler[1]. La guerre s’étant terminée il y a 74 ans, ces vétérans ne peuvent être que des centenaires, âgés de 92 ans au mieux s’ils se sont engagés en Allemagne en 1945 à 18 ans. De nombreux cas de figure peuvent en l’occurrence exister, une casuistique rendue plus compliquée encore puisque à l’évidence, les preuves écrites et les archives concernant ces personnes, si elles sont existantes – l’Allemagne fédérale s’étant forcément basée sur des documents attestant l’engagement militaire de ces individus – ne sont ni aisément accessibles, ni forcément complètes.

On ne peut guère reprocher l’octroi de pensions d’invalidité à d’anciens combattants de la Wehrmacht. Dieu sait que les guerres propres n’existent pas, mais le service rendu à la nation prime. N’importe quel pays verse en effet à ses vétérans blessés de telles prestations à moins qu’il ne s’agisse de criminels de guerre. Pourquoi en irait-il autrement de l’Allemagne ? On sait toutefois que des unités de la Wehrmacht prirent une part active dans les processus d’extermination en Europe centrale et orientale prétextant une guerre de partisans, vraie en partie seulement. Déterminer toutefois les responsabilités d’individus perdus dans la masse de corps d’armée mobiles dont certains se tinrent éloigner des exactions paraît compliqué.

Restent les SS ! Le procès de Nuremberg a en l’occurrence statué sur la Schutzstaffel en déterminant qu’il s’agissait d’une organisation criminelle à l’exception des Reiter-SS[2] ! Or – et c’est certainement à ce titre que ces 49 Suisses pensionnés peuvent être évoqués – seule la SS engageait dans ses rangs des non-Allemands. Antisémites, animés par une crainte viscérale du bolchevisme, la plupart de ces volontaires étrangers entrèrent dans la SS, devenue une véritable armée internationale au cours de la guerre, pour défendre une idéologie dans laquelle ils se reconnaissaient. Paradoxe malheureux, c’est en l’occurrence le Suisse Franz Riedweg, un proche de Himmler, qui était chargé de recruter les Freiwilligen dans la Waffen SS et dans la SS germanique ainsi que dans les Sturmbanne composés de non-Allemands résidant en Allemagne[3].

Quel était donc le statut de ces 49 Suisses, peut-être binationaux au demeurant ? Tous ne devaient pas avoir le profil de Johan Eugen Corrodi, ce major suisse devenu SS-Oberführer, incorporé sur le front de l’Est, dans le Groupe d’armées centre de Fedor von Bock lors de l’opération Barbarossa, puis en Italie sous les ordres directs de l’Obergruppenführer Lothar Debes[4]. Seule une étude, cas par cas, de ces pensionnés pourrait nous en apprendre plus sur la participation de ces individus dans les armées du IIIe Reich.

Quoi qu’il en soit, cette polémique intervient alors que l’antisémitisme et le néo-nazisme enflent à travers l’Europe entière, prenant des tournures inquiétantes en Pologne, en Ukraine, voire en France, une occasion à saisir peut-être pour rappeler concrètement les horreurs de la Seconde Guerre mondiale dont les générations les plus jeunes semblent de plus en plus oublieuses.

 

Voir également l’article de TV5 Monde sur le sujet:

https://information.tv5monde.com/info/ces-collabos-nazis-qui-continuent-de-toucher-des-indemnites-de-l-allemagne-287394

 

 

[1] https://www.letemps.ch/monde/scandale-retraites-nazies-setend?fbclid=IwAR2Uo82lAghycncgGZM5b2BMqTP7OvuAthvXyGXv2z84KpboleFR_uy5UjQ

[2] https://www.cairn.info/revue-guerres-mondiales-et-conflits-contemporains-2006-3-page-93.htm?fbclid=IwAR2PaqQs557r9hWkItVjKDmV-GW8IQ09rJ63In4YovE63Mf_HxesAUXm-Xc#

[3] [3] Marco Wyss, Un Suisse au service de la SS, Franz Riedweg (1907-2005), Alphil, 2010.

[4] François Wisard, Un officier suisse dans la SS, Johann Eugen Corrodi, Alphil, 2018.

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