Les paradigmes du temps

Écrivain de propagande

Au printemps 1917, le Journal de Genève envoie l’un de ses correspondants, l’écrivain franco-suisse Robert de Traz, en reportage sur le front français. Cette expérience, de Traz la rapportera dans un texte, scindé en six chapitres, et republié cette année aux éditions Slatkine grâce à l’historien Landry Charrier.

Que faut-il en retenir ? Au-delà de la vision idéologique de la grandeur française, de l’héroïsme des poilus, de la valeur des officiers, et de la traitrise des Allemands que de Traz se plait à dépeindre dans une vision dénuée de toute objectivité, c’est l’atmosphère des tranchées de premières lignes qui marque et que le reporter de guerre décrit avec une horreur grandissante. Après la laideur de la guerre et de ses cicatrices sur le terrain, il évoque, tout en suivant l’officier encadrant le visiteur dans le dédale des tranchées de l’Argonne, l’ingéniosité humaine déployée pour tuer, admirant la conception mathématique, balistiquement calculée, des tranchées de seconde et de troisième ligne autant que la dimension industrielle de ce conflit. L’écrivain en mal de sensations en aura pour son argent, rampant sous les balles sifflantes et se prenant pour un vétéran en utilisant dans son texte un lexique de combattant emprunté pour l’occasion.

Un texte qui tranche avec celui de Romain Rolland qui publiait en septembre 1914 dans le même journal son manifeste pacifiste « Au-dessus de la mêlée », dénonçant l’absurdité de la guerre et le sacrifice de la jeunesse, française, allemande, belge ou anglaise. C’est qu’entre l’automne 1914 et le printemps 1917, les sillons sanglants de Verdun avaient choqué, des tranchées s’étaient creusées dans les esprits soumis à l’étau de la polémique scindant la Suisse entre germanophiles et francophiles.

Un livre qui incite donc le lecteur à se poser la question de la propagande en temps de guerre autant que de la subjectivité dont les journalistes peuvent faire preuve ou dont ils peuvent être victimes. Démonstration spectaculaire de cette rhétorique partiale autant que martiale, la remarque que de Traz écrit à la fin de son reportage « Je me rappelle avoir lu dans la citadelle de Verdun, signé du général Nivelle, un ordre admirable de psychologie dans les motifs, comme de clarté dans les termes, et qui traitait de la discipline ». Les fusillés de l’armée française n’auront certainement pas saisi toutes les finesses de cette psychologie, et de Traz, quant à lui, guidé par des officiers disciplinés et zélés dans l’application de la censure, n’aura vraisemblablement pas aperçu les pelotons d’exécution.

Un ouvrage, dont l’écriture résonne parfois d’échos poétiques délicieusement désuets, qui vient donc nous rappeler d’essayer d’éviter d’être des lecteurs ou des spectateurs trop crédules et qui devrait nous encourager à aiguiser notre sens critique.

 

 

 

Robert de Traz, Sur le front français. Verdun et l’Argonne, préface de Landry Charrier, Slatkine, Genève, 2016.

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