Les paradigmes du temps

Les déportés juifs allemands en France

En octobre 1940, sept trains spéciaux, des Sonderzüge, emportaient quelques 6’500 Juifs du Baden Würtenberg vers la France, à Gurs, dans les Pyrénées-Atlantiques. Des femmes pour la plupart, ainsi que des enfants et des personnes âgées qui allaient connaître dans ce camp, placé sous l’administration française, des conditions de vie difficiles entraînant la mort de plus d’un millier d’entre eux, victimes de maladies, notamment du typhus et de dysenterie. Certains s’évadèrent en direction de l’Espagne, d’autres obtinrent avec de grandes difficultés des visas pour partir dans des pays où régnaient la paix. Les derniers, enfin, les plus valides des hommes présents, allaient être incorporés dans des bataillons de travail français.

Cette déportation de Juifs allemands, une opération appelée « opération Burckel », conçue et organisée par le Gauleiter nazi de la région de Bade, est un cas quasiment unique d’Allemands déportés en France !

D’autres ressortissants du Reich étaient par ailleurs déjà enfermés à Gurs en compagnie de Républicains espagnols, des Allemands qui se trouvaient en France lorsque la guerre avait éclaté et qui y avaient été internés jusqu’à l’armistice du 22 juin 1940 puisqu’appartenant à une nation ennemie. Et parmi eux, des Juifs allemands qui avaient précédemment quitté leur pays livré au régime nazi, des malheureux dont Hannah Arendt, la philosophe qui allait définir le principe de la banalité du mal lors du procès d’Adolf Eichmann en 1961. Réfugiée en France en 1933 et enfermée dans le camp des Pyrénées-Atlantiques en mai 1940, elle allait parvenir à fuir un mois après son internement, à la faveur de la confusion qui suivit l’armistice.

Des sept Sonderzüge, l’un provenait de la ville d’Heidelberg. Au matin du 22 octobre 1940, entre 4h et 7h, un grand nombre de Juifs de la ville avaient été rassemblés sur la Marktplatz par la Gestapo avant d’être embarqués dans des camions et conduits à la gare. À 18h15, le train emportait 282 personnes dans des wagons plombés pour Gurs.

Heidelberg a érigé en 2014 une plaque en mémoire de ces déportés, un témoignage de plus qui vient s’ajouter aux inscriptions commémoratives de la synagogue, voisine de l’université, et incendiée lors de la nuit de Cristal, du 9 au 10 novembre 1938. Inscription également à la mémoire de ces 150 Juifs de la petite cité du Neckar, déportés à Dachau, placés à quelques centaines de mètres des stèles commémoratives installées à l’entrée du gymnase classique de la ville – le Kurfürst-Friedrich-Gymnasium – énumérant les anciens élèves tombés sous les drapeaux, au cours des deux guerres mondiales. Aucune précision des affectations militaires n’est donnée pour ces derniers et l’observateur ignore s’il lit le nom de simples soldats de l’armée régulière allemande, ou de SS Totenkopf.

Les mémoires d’un passé éclaté cohabitent afin de se souvenir que l’indicible a été possible créant au sein de la même population bourreaux et victimes. Des rôles déterminés par un concept de races et d’origines forgé sur l’enclume d’une propagande hurlée par des extrémistes, lesquels distillaient leur poison au sein de la société allemande il y a septante ans, et qui aujourd’hui réapparaissent à la faveur de campagnes présidentielles qu’il n’est nul besoin de préciser, ou en réaction aux réfugiés de territoires où règnent déjà la haine et l’intolérance.

 

 

 

 

À lire : Hanna Schramm et Barbara Vormeier, Vivre à Gurs – Un camp de concentration français 1940-1941, Maspero, 1979.

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