Les paradigmes du temps

« Document exceptionnel », Les 300 espions de George Clémenceau. La Suisse sous haute surveillance

Au matin du 3 novembre 1918, six jours avant l’abdication du Kaiser Guillaume II, un sous-secrétaire anonyme, rattaché au 2e Bureau de l’État-major de l’Armée française, poussait la porte de son bureau du ministère parisien de la guerre, ne sachant pas qu’il allait rédiger un document extraordinaire retrouvé il y a peu de temps dans un lot conservé par une institution de la Ve République.

Il allait recevoir l’ordre de sa hiérarchie de rédiger un courrier, que le général Henri Alby (1858-1935), le successeur du maréchal Foch, allait signer pour Georges Clémenceau, adressé à l’attaché militaire en poste à Berne, un certain Gaston Pageot. Il allait surtout dresser la liste des agents de renseignement relevant de l’armée française secrètement détachés en mission dans les cantons confédérés.

Ce furent ainsi quelques trois cents personnes que le fonctionnaire allait devoir répertorier grâce aux informations que l’État-major lui avait confiées, énumérant les noms, prénoms, grades et fonctions en Suisse de ces espions, des informations particulièrement confidentielles que les services ennemis auraient sans doute payer à prix d’or[i].

Un type de document, donc, tout à fait exceptionnel et suffisamment rare pour être évoqué (et dont le découvreur est le chercheurJean-Michel Gilot) !

L’État-major général souhaitait au terme du conflit faire de l’ordre et avoir une vision claire des agents se trouvant discrètement placés dans des positions stratégiques et sensés renseigner le 2e Bureau, raison pour laquelle il demandait à l’officier supérieur en charge en Suisse de se renseigner sur le compte de ces hommes. Le fossé entre la réalité du terrain et les salons des ministères parisiens était tel que l’autorité militaire centrale, à la fin des hostilités, ne connaissait plus exactement le périmètre d’action de ces agents.

L’attaché militaire, à Berne, le colonel Pageot, allait donner suite aux ordres de Paris en demandant aux consuls de faire le nécessaire à propos de ces hommes.

Piacon

René

Capitaine

Ingénieur

Combe

André

Capitaine

Ingénieur

Dunand

Auguste

?

Hôtelier à Genève

Geyler

Jean, Charles

Sergent

Professeur Collège Champittet-Lausanne

Reybaud

Tony

Soldat

Directeur Casino Genève

Maiton

Albert

?

Dir. Usine Lausanne

Dreyfus

Joseph

?

Prés. Conseil d’administration de la banque populaire de Lausanne

Lugrin

Joseph

Soldat

Professeur, Institution à Porrentruy

….

….

 

Combien d’autres documents similaires attendent encore d’être découverts au gré des recherches menées par des historiens ? Difficile de répondre à cette question. Les aléas de l’histoire réservent parfois bien des surprises.

En 1940, lorsque les Allemands occupèrent Paris, ils allaient ainsi mettre la main sur un grand nombre de documents, notamment les archives secrètes des services de renseignement français de la première partie du siècle. Ces documents allaient être amenés à Berlin et placés sous bonne garde.

En 1945, lorsque Berlin tomba sous les coups des Alliés, les Soviétiques allaient à leur tour récupérer un grand nombre de dossiers, dont ces archives françaises, des archives que Moscou ne devait rétrocéder à la France qu’il y a une quinzaine d’années !


[i] Ces documents font l’objet d’un article scientifique qui doit être publié dans une revue spécialisée en 2015. 

 

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