Manuel pour habitants des villes

L’art de Christo est mort, bien avant son concepteur, décédé à 84 ans

La mort d’un artiste est rarement le moment propice pour formuler une critique sur son travail. Dans le cas de Christo, artiste américain spécialiste de l’emballage superlatif, il est tout de même légitime de se demander ce qu’il nous laisse en héritage, et si nous voulons de ce qu’il nous adresse.
Pour Christo, la question de l’héritage se pose d’autant plus que la pandémie vient de décaler deux projets majeurs qui lui étaient consacrés: une exposition sur la période 58-64 au Centre Pompidou et l’emballage de l’Arc de Triomphe. L’exposition au Centre Pompidou se tiendra finalement en juillet en revêtant l’habit solennel de l’hommage rétrospectif. Quant au projet d’emballage de l’Arc de Triomphe, son report en 2021 ne l’empêche pas résonner avec les évènements qui s’y sont déroulés en 2019 : une révolte populaire, celle des gilets jaunes, violemment réprimée. Si l’œuvre annoncée n’est pas ouvertement décrite comme étant liée aux événements de l’année passée, elle fonctionne néanmoins comme un véritable retournement symbolique. C’est un peu comme si la victoire du souverain sur son peuple révolté devait donner lieu à un nouveau monument. Ce fut longtemps l’usage en France, et de toute évidence ça le reste.

Et Christo dans tout ça ? Les tonnes de plastique qu’il utilise pour emballer ont-elles une place dans un monde que l’on souhaite moins bêtement gaspilleur ? La façon dont le communiqué des organisateurs souligne la nature recyclée de l’emballage synthétique fait apparaître le caractère déplacé de cette intervention. La question a du se poser aux communicants du Centre Pompidou : comment « resservir » le maître emballeur sans brusquer la sensibilité écologique des citadins du 21e siècle ? Recycler les tonnes de plastiques d’une action symbolique douteuse sera-t-il suffisant pour la rendre acceptable ?

Le recyclage est à ce point synonyme d’écologie que l’œuvre pourrait même passer pour vertueuse. Et si le recyclage ne suffisait pas ? Et si ce n’était qu’un leurre pour se donner bonne conscience ? Pour chaque bouteille de PET recyclée en Suisse, combien de bouteilles du même plastique et de la même chaîne de production sont jetées sur les plage de Méditerranée ou d’Indonésie? Le recyclage ne fait que perpétuer un ethos consumériste qui à son tour poursuit la destruction de nos environnements.
Le maitre emballeur Christo n’est rien d’autre qu’un symptôme de ce monde du jetable où, du moment qu’on recycle, tout va bien.

Christo est mort et il est probable que son art superlatif ne lui survivra pas. S’il reste quelque chose de lui ce sera le souvenir d’une époque ou des artistes entrepreneurs dépensaient des millions pour des gestes éphémères à la signification douteuse.

Son art est dans tous les cas en porte-à-faux avec le basculement écologique attendu aujourd’hui. Son tout dernier monument annoncé, sorte d’ode à l’emballage universel se substituant à la démocratie, aurait pu tout simplement être abandonné au nom de la crise. Les excuses ne manquaient pas. Ses organisateurs, idéologues du consumérisme artistique, en ont décidé autrement.

Non seulement vous aurez droit aux mêmes gesticulations superlatives dont se sont gavées les années 1980, mais nous vous les servirons en lieu et place du plus virulent appel à la justice sociale que vous ayez connu au 21e siècle.

Dans un journal télévisé de 1985 archivé par l’INA, la voix off dit: « Voici le projet de Christo. Il ne changera rien dans la vie des parisiens. Ce clochard pourra dormir comme d’habitude, dans la même position, sous cette arche ».

En effet. Rien ne changera, surtout pas le sort du clochard qui pourra crever de sa cirrhose sous l’œuvre splendide du grand artiste.

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