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Solitudes à Orléans

Orléans n’est qu’à une heure de Paris. À l’époque d’Archilab — le rendez-vous annuel qui a fait la renommée du FRAC centre —, ce court voyage en train était de la même teneur que la manifestation : ni trop long, ni trop dépaysant. Frédéric Migayrou y a déployé année après année ses spéculations techno-scientifiques. Quant à Abdelkader Damani, qui en a fait une Biennale en 2017, il n’avait pas vraiment réussi lors de la première édition à faire résonner une proposition curatoriale claire et distincte.
La Biennale qui s’y tient actuellement et jusqu’au 19 janvier rompt tant avec l’illisibilité des débuts de Damani qu’avec le ressassement SF d’Archilab. Ce qui s’y présente, sous le titre accrocheur de « Nos années de solitude », est un authentique projet historiographique, profondément novateur tant par les éléments qui le composent que par le fil rouge qui les relie.

Le quasi boycott du FRAC de la part du Centre Pompidou aura été salutaire. Pour ne pas avoir reçu les œuvres archi connues qu’ils ont sollicitées, les Orléanais ont dû chercher ailleurs, comme au Maxxi de Rome, qui prête pour l’occasion de nombreuses pièces d’architectes radicaux italiens, inconnus en France.

La formule qui consiste à renouveler les références se poursuit à l’étage avec une salle importante consacrée à Günter Günschel, entré dans la collection récemment mais encore peu montré. Membre du Groupe d’études d’architecture mobile (GEAM), il a développé une architecture légère et géométrique, dans un langage expressionniste. La place qui lui est consacrée souffle un vent de renouveau dans un registre, celui des utopistes de la seconde moitié du 20e siècle, que l’on croyait réduit à quatre dessins et deux maquettes.

À ces deux premiers chapitres s’ajoute le travail captivant de l’historien d’art Pierre Frey sur Fernand Pouillon et sa production coloniale. Entre modernité et régionalisme, ses réalisations s’avèrent de nature à renverser l’historiographie classique qui place l’émergence de l’intérêt pour le lieu et l’histoire beaucoup plus tard, à la fin des années 1960. Pouillon serait ainsi à certains égards un postmoderne avant l’heure. Dans tous les cas, sa production démontre à quel point la guerre (ici coloniale) est un accélérateur de l’évolution technique et esthétique des sociétés.

Arquitetura Nova travaille à contre-courant du progressisme d’apparat d’architectes comme Niemeyer.

L’évènement active plusieurs lieux dans la ville dont certains anciens édifices religieux, comme la Collégiale Saint-Pierre-Le-Puellier où se tient une captivante présentation d’Arquitetura Nova, le groupe brésilien qui travaille à contre-courant du progressisme formel et illusoire d’architectes comme Niemeyer.

Globalement, la Biennale trouve enfin le ton adéquat pour formuler un propos cohérent autour des architectures à la marge du récit dominant. Ce qui rend l’entreprise crédible, c’est que la marge, qu’elle soit lointaine ou radicale, ne sert pas de prétexte. Elle est invoquée pour tisser une histoire globale de l’architecture et non pour justifier une posture.

Plus important, le récit post-colonial ne se pose pas d’emblée comme étant en contradiction avec le récit euro-centré. La Biennale est autant un projet sur la périphérie qu’une redécouverte du centre.

article paru dans Artpress 472

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