Mon oeil

Un humour très “dépressuisse”

Et si on partait ? est une de ces pépites que nous réservent les grilles radiophoniques de l’été. Animé par l’excellent et enthousiaste Philippe Gougler, ce rendez-vous matinal quotidien d’Europe 1 a emmené, l’été durant, ses auditeurs aux quatre-coins du monde dans le but de les faire voyager avec pour motto : « n’oubliez pas de rêver ». Le principe est simple : chaque jour un nouveau pays – de l’Argentine à la Papouasie-Nouvelle-Guinée, du Cambodge à l’Afrique du Sud – est présenté sous un angle touristique assumé, comme une destination de voyage conseillée par ceux qui la connaissent. En plus de sa joyeuse bande de chroniqueurs, l’émission fait appel à un local, souvent un Français résidant du pays présenté, parfois journaliste ou encore lié à l’industrie du tourisme. But du jeu : susciter l’envie de découvrir le pays à travers ses beautés naturelles, ses traditions, ses particularités, sa gastronomie et en évitant ses éventuels écueils sanitaires.

Tout se passe bien jusqu’à il y a peu, le jour où la destination est… la Suisse. Légère appréhension du côté de l’auditeur indigène : on connaît le goût des Français pour les clichés attachés à l’Helvétie, on craint l’accent mal imité, la diction ralentie et les grosses vannes sur le chocolat, les banques et les montres. Heureuse surprise, il n’en est rien. Gougler redouble même d’enthousiasme à propos de ce petit pays où « tout n’est que beauté ». Il faut dire que l’animateur est un grand amateur de trains* et qu’il a évidemment trouvé de quoi alimenter sa passion en arpentant les lignes ferroviaires d’altitude. La mauvaise surprise vient du local de l’étape.

Mal inspirée, l’émission a choisi ce jour-là un humoriste lausannois pour éclairer la vision du pays visité, en l’occurrence Thomas Wiesel, un garçon proche de l’audiovisuel de service public et donc de l’humour subventionné. Manifestement, il n’était pas la personne la plus adéquate pour supporter le principe de l’émission : susciter l’envie de découvrir le pays. Un rapide florilège des « meilleurs moments » :

Une salade de clichés, de lieux communs, d’approximations et de simplifications largement assaisonnée d’une forme de mépris qui parvient même à écœurer Philippe Gougler, obligé de conclure ces amères interventions en pointant une « vision noire absolument opiniâtre ».

Au-delà de ce moment difficile pour la Suisse (et pour l’humour), cette anecdote illustre la difficulté que l’on observe souvent dans les milieux de la culture bien-pensante à appréhender la réalité dans sa globalité. La vision de la Suisse développée ici est un bon exemple de cette sorte de myopie sélective (les neuropsychologues parleraient d’hémianopsie) qui consiste à ignorer une large partie de votre champ visuel. Le but étant, en l’occurrence, de cadrer la réalité à travers les principes cardinaux et dépressifs de la respectabilité en vogue : être une victime, être minoritaire, être offensé d’une manière ou d’une autre.
Ignorées, en revanche, la réussite de l’économie suisse (parmi les PIB par habitant les plus élevés au monde), la richesse du mélange des cultures, la réussite incontestable de l’intégration (25% d’étrangers sans problèmes de communautarisme), l’excellence académique (largement ouverte aux étrangers), l’excellence hôtelière, une concentration de tables étoilées, une nature remarquablement préservée, deux villes riches de culture : Zurich et Bâle. Et, vertu majeure, une liberté d’entreprendre, encouragée, qui assure une prospérité dont les fruits ne sont pas répartis de manière égale, certes, mais qui profite à chacun. Tout le contraire des systèmes étatiques qui s’acharnent, au nom de l’égalité, à répartir équitablement la pauvreté. On peut imaginer que cela ait pu aussi intéresser les auditeurs d’Europe 1.

 

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