Mon oeil

L’Australie et les médias incendiaires

Touristes chinois sur fond de bushfires

« Certaines années, c’est pire. D’autres c’est moindre. Mais c’est comme ça en Australie chaque été avec les bushfires. La presse ? Elle sensationnalise. » confie John, loueur de voiture, Melbournais de naissance, Australien de cœur qui semble se réjouir de vivre une belle journée d’été alors que la température remonte après une nuit très fraîche. Cette attitude un brin décontractée face à la question des feux de forêt n’est pas unique ici. Il n’est pas rare non plus de voir des touristes chinois poser devant les feux (photo de tête).

Après plus de deux mois passés en Australie et à observer le traitement médiatique des événements sur place et au-delà, le sentiment domine d’une réelle dichotomie entre deux réalités.

D’un côté, un pays qui vit sa saison de bushfires comme elle en vit chaque année depuis toujours. Seulement, cette année, comme le dit Steven, vigneron à Penola, « ça fait un peu peur parce que ça commence plus tôt que d’habitude et que c’est vraiment très fort ». Un feu a pris à quelques kilomètres de ses vignobles, il y a une semaine.

Près de chez Steven, les grands arbres restent debout mais menacent de s’abattre bien longtemps après la fin du feu.

« Après les fortes pluies d’hier, on est soulagé ». Il n’évoque pas spontanément la question du changement climatique. En revanche, Jelena, médecin à Melbourne, n’hésite pas : « oui, le réchauffement est pour quelque chose dans la situation actuelle. La sécheresse dans certains états persiste depuis plus de trois ans ».

Ces trois témoignages résument assez bien la situation. Les bushfires font partie de l’Australie et de son histoire. Depuis, la fin du 19e siècle, on recense des ravages réguliers, provoqués par des phénomènes naturels (la foudre notamment), qui ont fait beaucoup plus de victimes que les feux de cette année. Il faut savoir que les bushfires font aussi partie de la gestion du territoire. Les Aborigènes en maîtrisent l’utilisation depuis longtemps. Les fermiers australiens également. A tel point que les incendies qui sont considérés comme dangereux actuellement sont appelés par les pompiers « out of control bushfires » par opposition à ceux qui sont contrôlés et font partie de la gestion des terres à cultiver ou de la prévention des feux que l’on veut éviter en créant, hors saison à risque, des zones coupe-feu (un peu à la manière dont on procède en montagne avec le déclenchement préventif des avalanches).

Une raison importante de l’aggravation des bushfires tient au réchauffement climatique. Il est difficile de dire dans quelle mesure exacte, mais il paraît certain qu’il favorise les conditions propices aux bushfires : intensification de la sécheresse, allongement de la saison à risque, augmentation des températures extrêmes.

Une autre des raisons qui explique l’aggravation des bushfires de cette année semble tenir au fait que l’administration ait mal géré les feux préventifs, notamment sous la pression de lois environnementalistes (qui les interdisent car ils produisent de la fumée) et aurait ainsi créé un terrain propice à des phénomènes bien plus ravageurs.

La dispersion des feux à travers un territoire immense a également compliqué la situation en empêchant les pompiers de concentrer leurs forces sur les incendies les plus destructeurs.

Enfin, il ne faut pas oublier les incendies volontaires ou liés à des négligences. Près de 200 personnes sont actuellement poursuivies par la justice australienne. 24 d’entre elles sont inculpées d’avoir délibérément allumé des incendies. Il faut encore ajouter à ce tableau la qualité exceptionnelle de la réaction des Australiens face à l’adversité. « Qu’il y ait si peu de victimes par rapport aux épisodes précédents (notamment en 2009 :

Depuis la fin du 19e siècle (avant le réchauffement, donc), les bushfires font d’importants ravages sur le continent.

173 morts pour un incendie beaucoup moins étendu, ndlr.) est un véritable miracle » se réjouit Steven qui n’est pourtant pas un supporter du gouvernement actuel. L’efficacité des pompiers, le système d’alerte et aussi une attitude très ferme des responsables qui imposent l’évacuation des zones en danger plutôt que de la       «conseiller» ont permis de limiter le nombre de victimes de manière significative. A l’heure actuelle, 25 personnes ont perdu la vie dans les incendies.

Phénomènes naturels et intentions criminelles sont des causes classiques et répétées des bushfires. Le réchauffement climatique, la dispersion des départs de feux et la négligence bureaucratique sont, eux, des causes de leur aggravation.

Voilà pour la réalité balancée des bushfires 2019-2020 vue d’Australie.

De l’autre côté, qu’en reste-t-il dans le traitement des médias traditionnels ?

Le réchauffement climatique.

Rien d’autre. A quelques exceptions près, les médias ne s’embarrassent pas de nuances.

On peut tenter quelques hypothèses sur les raisons de ce renoncement au traitement exhaustif et factuel des événements australiens.

 

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