L’économie déchiffrée

La croissance suisse à la traîne de l’Europe

Swiss growth lags behind Europe’s

Une impression fréquente en Suisse est que la croissance économique n’a pas trop souffert d’être en dehors de l’Union Européenne, surtout durant la crise. Ceci est trompeur, car depuis le début des années 1990 notre pays est à la traîne par rapport à des pays voisins de taille similaire. Rester en marge de l’UE s’est avéré bien coûteux, un point à méditer d’ici à la votation du 25 novembre.

Un retard jamais rattrapé depuis 1992

L’impression habituelle d’une bonne performance de la Suisse vient du fait que nous nous comparons souvent aux pays majeurs de l’UE comme la France et l’Italie. Il est cependant plus pertinent des considérer des petits pays avec une économie ouverte sur le monde, car leurs structures économiques et leurs tailles sont plus proches des nôtres.

Considérons donc la Belgique, les Pays Bas, le Danemark, l’Autriche et la Suède, les deux derniers ayant rejoint l’Union en 1995. La Suède est un cas particulièrement intéressant car le pays a subi une crise bancaire au début des années 1990, tout comme la Suisse avec l’éclatement de la bulle immobilière.

La figure 1 ci-dessous présente l’évolution du produit intérieur brut réel (corrigé de l’inflation) de ces pays depuis 1980, les valeurs étant normalisées à 100 en 1990 pour faciliter la comparaison (données du FMI). Nous voyons clairement que la croissance a été similaire entre la Suisse et les pays européens jusqu’à 1990. L’économie suisse a ensuite fortement ralenti, et ce déjà avant le vote sur l’Espace Economique Européen en 1992. Cette récession n’est pas en soi un problème, car nous ne pouvons pas nous attendre à ce que tous les pays évoluent exactement de concert. Plus frappant est le fait que la Suisse n’ait pas rattrapé son retard depuis lors.

Le retard de la Suisse est illustré dans la figure 2, qui présente l’écart entre le PIB suisse et celui des autres pays. Par exemple le chiffre de -9.6% pour l’Autriche en 2017 indique le PIB suisse serait aujourd’hui plus élevé de 9.6% si notre pays avait connu le même rythme de croissance que notre voisin. La figure montre bien qu’après le décrochement du début des années 1990 la Suisse est restée en retard (le Danemark n’étant certes pas si différent). L’écart de -16.3% avec la Suède est particulièrement frappant étant donné que ce pays a aussi subi une crise bancaire.

Un écart encore plus fort par habitant

On pourrait certes faire remarquer que l’écart de la Suisse varie beaucoup selon le pays que l’on considère comme référence, et que la situation n’est pas si grave par rapport à plusieurs d’entre eux. Pour affiner l’analyse il est intéressant de considérer le PIB par habitant, car c’est un meilleur indicateur du niveau de vie. Un pays peut en effet connaître une croissance tirée par la productivité qui augmente le niveau de vie (bonne croissance du PIB ainsi que du PIB par habitant), ou une croissance tirée par la hausse de la population avec un effet moindre sur le niveau de vie (bonne croissance du PIB mais avec peu de gains pour le PIB par habitant).

Les figures ci-dessous répètent l’exercice en termes de PIB par habitant, montrant l’évolution de cette mesure (figure 3) et l’écart de la Suisse par rapport aux autres pays (figure 4). Le constat est nettement plus frappant que celui des figures 1 et 2. La figure 3 montre bien que les pays européens connaissent des performances assez similaires alors que la Suisse décroche. Le PIB par habitant de notre pays se situe maintenant entre 15 et 20% du niveau qu’il aurait atteint si nous avions continué d’évoluer au même rythme que nos voisins (comme nous le faisions avant 1990). Un tel écart correspond à 2-2.5 mois de revenu chaque année. On imagine sans peine combien les problèmes économiques (retraites, coûts de la santé) seraient bien plus faciles à gérer avec ce supplément.

L’Alleingang coûte cher

Les chiffres montrent clairement un décrochage, que rien ne laissait présager car entre 1980 et 1990 la croissance suisse était proche de celle des autres. Que s’est-il passé ? Une analyse détaillée irait au-delà de ce blog, mais il est frappant de voir que l’émergence de l’écart coïncide avec le refus de l’EEE en 1992. Certes, la récession était alors déjà engagée, mais on aurait pu s’attendre à ce qu’elle soit ensuite résorbée, comme cela a été le cas en Suède. Il a en fait fallu attendre la signature des accords bilatéraux en 1999 et 2004 pour voir la croissance suisse repartir, mais sans rattraper le chemin perdu.

Alors que nous nous apprêtons à voter sur la relation entre le droit suisse et international, ce qui impactera nos relations avec l’Union Européenne, il est important de rappeler que la croissance suisse n’a pas brillé depuis le début des années 1990. La déclaration de Jean-Pascal Delamuraz que le refus de l’EEE représentait un « dimanche noir pour l’économie suisse » n’était pas exagérée.

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