L’économie déchiffrée

Ne taxons pas les robots. Subventionnons le travail

Le progrès rapide des robots soulève des craintes pour le revenu des travailleurs. Un subside aux salarié(e)s peut résoudre le problème, mais il ne faut pas le financer par une taxe sur les robots. Utiliser la TVA est bien plus efficace.

Une approche complète du problème

Analyser l’impact du progrès technique et la réponse à y apporter est complexe, car il faut prendre en compte l’interaction entre plusieurs variables : salaires, investissement, consommation, taxes, et j’en passe. Si l’on essaie de réfléchir de manière purement verbale cela relève de l’impossible.

Les modèles macroéconomiques sont faits précisément pour ce genre de question. Ils permettent de se concentrer sur les points clefs et prennent rigoureusement en compte les interactions entre les diverses variables. Voyons donc quel message ressort de cette analyse (je vous épargne les équations et autres détails techniques).

Bénéfices et coûts du progrès technique

Le développement des robots représente un progrès technologique asymétrique qui augmente la productivité du capital plus que celle du travail. Avoir un robot à disposition va certes augmenter ma productivité, mais il va avoir un impact encore plus important sur la productivité d’autres robots car ils se complètent directement.

Le progrès technique est bénéfique pour l’économie dans son ensemble. Ce gain est cependant mal distribué et le revenu du travail peut en souffrir. Cette tension entre un bénéfice global et une distribution déséquilibrée est d’autant plus forte qu’il est facile de substituer entre capital et travail dans la production.

Comment la technologie affecte l’économie

Le progrès apporte un gain global parce qu’il permet de produire plus avec une quantité donnée de capital et de travail. Plus il est aisé de substituer entre capital et travail, plus ce gain est élevé : une réorientation de la production vers une utilisation accrue du capital permet de tirer pleinement avantage de la meilleure productivité de celui-ci.

Le progrès peut également affecter la distribution du revenu. Tout d’abord, il entraîne un renchérissement du travail par rapport au capital (1). Les entreprises réorientent alors leur production vers plus de capital, diminuant ainsi le ratio entre les quantités de travail et de capital. Un point crucial est la mesure dans laquelle il est possible de remplacer les travailleurs par les machines.

Dans le cas le plus standard en analyse économique une hausse de 10 % du coût du travail (par rapport au capital) entraîne une baisse de 10 % du ratio travail-capital. Les deux aspects se compensent exactement et le ratio entre le revenu du travail (salaire multiplié par emploi) et celui du capital est constant. En d’autres termes, le progrès bénéficie à tout le monde dans la même mesure. Cette stabilité de la distribution des revenus est précisément ce pourquoi les économistes se sont concentrés sur ce cas, car les statistiques montrent une distribution très stable jusqu’à récemment.

Mais la venue des robots change la donne car ils peuvent plus facilement se substituer à un travailleur que ne pouvait le faire une machine. Une hausse de 10% du salaire entraîne une baisse de l’emploi (par rapport au capital) de plus de 10 %. Le revenu du travail baisse alors par rapport à celui du capital (voire même en termes absolus). Plus il est facile de remplacer le travail par le capital, plus le progrès technique va entraîner une inégalité de revenu.

Comment redistribuer ?

Contrer la péjoration du revenu des travailleurs demande un transfert du capital vers le travail, par exemple par un subside versé aux salariés. Si ce subside est clairement une bonne idée, il faut faire très attention à la manière de le financer.

Une recette souvent avancée est de taxer les robots (c’est-à-dire le revenu du capital). Le problème est que cette taxe pénalise l’investissement, car personne ne va accumuler beaucoup de capital si son revenu est ensuite fortement imposé. Nous pouvons montrer qu’une taxe stabilisant la part du revenu des travailleurs dans le PIB casse l’incitation à investir. Plus précisément, l’économie se retrouve dans la même situation que lorsque travail et capital ne sont pas facilement interchangeables (le cas où une hausse de salaire de 10 % réduit le ratio travail-capital de 10%). Certes l’économie bénéficie quelque peu du progrès, mais ce gain reste bien en deçà de celui qui serait réalisable.

Comment faire alors ? Une meilleure recette est de taxer la consommation. Cette taxe est payée par les consommateurs indépendamment de la source de leur revenu et ne péjore pas leur incitation à investir dans un capital plus productif. On pourrait objecter que les travailleurs sont péjorés car ils paient la taxe sur la consommation. Ce n’est pas un problème car leur paiement est plus faible que le subside qu’ils reçoivent. Les propriétaires de capital quant à eux paient la taxe mais ne reçoivent rien en retour. Nous avons donc bien une redistribution du capital vers le travail, mais d’une manière qui ne plombe pas l’investissement.

En pratique : impôt négatif sur le revenu et TVA

Comment un tel système pourrait-il être mis en pratique ? Une manière simple est de modifier le barème de l’impôt sur le revenu pour introduire un impôt négatif (c’est-à-dire un subside) pour les personnes aux revenus faibles, dont les ressources proviennent essentiellement du travail. Ce subside serait payé par une hausse de la TVA.

Il est donc tout à fait possible de corriger l’impact du progrès technique sur la distribution des revenus, mais ceci ne doit pas être fait via une taxe sur le progrès lui-même.

 

(1) Pouvoir travailler avec un robot me rend plus productif et augmente mon salaire. En revanche, le coût du capital ne change pas. Ce résultat apparemment étrange reflète le fait qu’il est possible d’accumuler du capital, c’est-à-dire d’investir, option qui n’existe pas pour le travail. La hausse de productivité stimule l’investissement, et l’abondance du capital qui en résulte réduit son prix.

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