Demain le commun

Villes, faites du bruit (?)

La ville fait du bruit. Circulation, chantier, activités commerciales ou artisanales, restaurants, noctambules: le tapage n’est, depuis longtemps, plus seulement nocturne ni ponctuel. Vous vouliez du calme? Il fallait habiter ailleurs, voyons! Telle est en somme – avec des variantes – la réponse à laquelle s’exposent les citadins qui s’agacent de leur difficulté à dormir, à travailler ou à profiter, lorsqu’ils en ont un, de leur balcon. Elle était si pratique, cette réplique: loin, les familles avec leurs moutards sensibles, les délicats de la feuille, les vieux susceptibles, les sensibles en tous genre. Laissez l’urbanité à ceux qui en ont vraiment envie: la ville, on l’aime bruyante ou on la quitte.

Or, on le sait, pour les zones de villas mitoyennes, en périphérie ou à la campagne, les petits locatifs entourés de grandes surfaces libres offrant quatre places de parc par appartement, les vieilles maison villageoises tout juste rénovées, les beaux jours sont plutôt derrière que devant. Le frein à l’étalement urbain, incarné en Suisse par le vote de la nouvelle loi sur l’aménagement du territoire en 2013, correspond aujourd’hui à une prise de conscience européenne. L’idée que l’accroissement démographique devra se traduire par une occupation plus dense des territoires déjà bâtis, plutôt que par la construction sur de nouvelles surfaces, modifie fondamentalement la palette des choix d’habitat. Pour les familles avec enfants, par exemple, l’option du départ vers la campagne (qui est parfois simplement une zone périurbaine) et de la concrétisation du rêve de la petite propriété devient plus difficilement praticable, l’offre se réduisant et les prix augmentant.

Conséquence: habiter en zone urbaine ne sera, et n’est de fait déjà plus, un choix librement consenti, préféré à d’autres options. L’aménagement du territoire n’est pas seul en cause: quitter la ville, c’est aussi, pour une personne âgée, possiblement s’éloigner de la vie sociale, des transports et des services publics, et donc de l’autonomie. Pour une famille, cela peut être perdre la place en garderie ou l’accès à une offre culturelle de proximité.

Il faut donc accepter que vivre en ville, et donc vivre dans un environnement bruyant, ne peut plus être seulement renvoyé à une décision individuelle. La densification impose un nouveau regard sur la question des nuisances sonores, comme le relevaient récemment deux commissions fédérales s’occupant… de bruit et d’aménagement du territoire. Face à cette nouvelle configuration, les solutions techniques peuvent apporter une contribution intéressante: revêtements phonoabsorbants pour les routes, fenêtre à triple vitrage, murs et parois anti-bruit, etc. Mais, là comme ailleurs, la technologie ne remplacera jamais la politique. La réduction de la vitesse de circulation, le développement massif des transports publics, ou encore la mise en place de règles plus strictes pour les bars et discothèques appartiennent aux solutions. Pour ne prendre que ce dernier cas, il suscite inévitablement de fortes réactions: on se souviendra de G. Barazzone, conseiller administratif genevois, interdisant les télévisions en terrasse pendant la dernière Coupe du monde. A Lausanne, l’an passé, la Municipalité avait eu à arbitrer l’un de ces conflits d’usage moderne à propos d’un parc au centre-ville. On se souviendra également du feuilleton des “nuits lausannoises” qui, de 2012 à 2015, aura défrayé la chronique (on en trouve un résumé ici). Dans chacun de ces cas, et dans bien d’autres, le débat est posé en des termes durs, caricaturaux: on y brandit la liberté (de faire du bruit, d’acheter de l’alcool à l’emporter à toute heure) contre le droit (au silence, au respect des zones d’habitat), on y oppose anti-jeunes sécuritaires et irresponsables libertaires. Les termes du débat sont à peine moins durs lorsqu’il s’agit de modérer la circulation routière…

Depuis 1983, le bruit est considéré comme une pollution environnementale par la loi fédérale. Le réduire dans les zones urbaines n’est pas plus un caprice de bobo qu’une exigence de vieux ronchons. C’est un impératif pour que la ville de demain permette à tous de cohabiter sans conflit et en bonne santé. Si les dépassements temporaires sont acceptables et même souhaitables – festivals et événements lausannois ont eu trop souvent à pâtir d’une police du commerce un peu tatillonne –, l’élévation permanente du niveau du bruit n’est pas une perspective d’avenir pour nos cités.

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