« Terrorisme » : l’impossible définition

Un homicide commis le 12 septembre à Morges était passé relativement inaperçu dans les médias jusqu’à ce que des motivations terroristes soient suspectées. L’affaire prend depuis une tournure politique. L’occasion de revenir sur toute l’ambiguïté du terme «terrorisme».

Samedi dernier, un homme est poignardé à mort en pleine rue à Morges en soirée. Le drame ne fait pas grand bruit et est vite classé dans les faits divers. Mercredi, la RTS, citant une source judiciaire, dévoile que le prévenu a justifié son crime par «vengeance contre l’Etat Suisse» et pour «venger le prophète». Invitée un peu plus tard dans Forum, la conseillère nationale Jacqueline De Quattro (PLR/VD) parle de «terrorisme». De fait divers, l’événement est devenu politique.

Cela pousse à se demander: qu’est-ce, au juste, que le terrorisme? Le terme est si ancré dans l’imaginaire collectif que la réponse semble évidente. On y voit quelque chose de grave, de «terrorisant», littéralement. De la violence gratuite pour revendiquer quelque chose. Une forme de mal absolu. Pourtant, si l’on essaie de véritablement et honnêtement définir le terme, les choses perdent rapidement de leur clarté.

Terrorisme d’Etat

Premier réflexe, on regarde ce que dit la loi. Etonnamment, aucune définition ne se trouve dans le Code pénal suisse. Il faut donc se tourner vers la Loi sur le renseignement, qui stipule dans son article 19 que les actes terroristes sont des «actions destinées à influencer ou à modifier l’ordre étatique et susceptibles d’être réalisées ou favorisées par des infractions graves ou la menace de telles infractions ou par la propagation de la crainte».

Aussi précise qu’elle soit, cette définition ne tient plus la route lorsque l’on essaye d’établir des critères objectifs. En effet, cette façon de concevoir le terrorisme présuppose que seules les entités non-étatiques peuvent être qualifiées de terroristes. C’est pour cela que les infractions de ce genre sont réglées par le droit pénal, en Suisse comme ailleurs. Pas fous, les Etats ne se donnent pas la possibilité de s’accuser eux-mêmes.

Le problème n’apparait que plus évident: que faire des Etats qui commettent des actes en tout point similaires à des groupes labellisés comme «terroristes»? L’affaire du «Rainbow Warrior», du nom du bateau de Greenpeace coulé par les services secrets français en 1985, en constitue un parfait exemple. L’opération avait même reçu l’accord explicite du président François Mitterrand. Difficile de considérer cet acte de manière différente d’un acte terroriste «classique».

Pas de principes moraux universels

On pourrait essayer de trouver secours auprès du Centre national de ressources textuelles et lexicales (CNRTL pour les intimes), plus neutre. Le terrorisme y est alors défini comme l’«ensemble des actes de violence qu’une organisation politique exécute dans le but de désorganiser la société existante et de créer un climat d’insécurité tel que la prise du pouvoir soit possible».

Assez vite, on se rend compte qu’une telle définition est trop vaste. Comment différencier les actes terroristes des actions d’une armée engagée dans une guerre régulière? Celles-ci ont aussi pour but de désorganiser une société existante afin d’imposer le pouvoir d’un Etat sur l’autre.

Il pourrait alors être tentant de s’orienter à l’aide de la légitimité ou non des actions commises. Mais comment définir ce qui est légitime et ce qui ne l’est pas? On l’a vu, le droit ne fournit pas une réponse satisfaisante. Le problème est qu’il n’y a pas de principes moraux universels qui puissent régler cette question, comme le rappel mièvreusement – néanmoins justement  – l’adage qui veut que «les terroristes des uns» soient «les combattants de la liberté des autres».

Des cibles parfois délibérément choisies

Dans une même logique, on pourrait considérer que les actes terroristes supposent immanquablement des violences commises envers des innocents, ou du moins des non-combattants. Mais une telle définition ne fonctionne pas non plus: dans ce cas, les attaques du Pentagone du 11 septembre 2001 se verraient qualifier différemment de celles contre les tours jumelles.

Une idée qui revient assez souvent est qu’une attaque terroriste implique des victimes forcément choisies au hasard. Une telle définition aurait pour avantage de ne pas prendre en compte les actions menées par une armée contre une autre, tout en laissant la possibilité de concevoir le terrorisme d’Etat. Mais cela impliquerait de ne pas qualifier les attaques de Charlie Hebdo de terroristes, car les victimes ont été délibérément ciblée. En pleine période du procès cinq ans après les faits, pas sûr que ce soit la définition la plus judicieuse…

Pas de consensus dans la recherche

Plusieurs chercheurs se sont posé ces questions, et pour l’instant, aucune définition ne fait consensus. Fondateur et rédacteur en chef du journal académique Critical Studies on Terrorism, Richard Jackson propose néanmoins une piste intéressante. Selon lui, l’étiquetage du terme terroriste ne doit pas se faire en fonction des coupables ou des victimes, mais en fonction de la portée communicative de l’acte. Ainsi, une attaque terroriste devrait présupposer une «instrumentalisation des victimes» dans le but de faire passer un message.

Malheureusement, cette approche comporte aussi des faiblesses, que relève notamment Dominic Bryan, anthropologue et philosophe à la Queen’s University de Belfast. Dans ses travaux, il explique que l’on ne peut pas se focaliser sur la dimension communicative d’une violence pour la qualifier de terroriste, car toutes les violences ont pour but de faire passer un message. Il prend pour exemple les condamnations à mort, dont l’objectif est moins de punir le coupable que de servir de dissuasion.

Abandonner le terme?

Face à ce constat, Dominic Bryan plaide pour l’abandon pur et simple du terme de terrorisme dans la recherche sur les violences politiques, car le mot est si chargé négativement qu’il est dangereux de l’employer sans une définition claire et satisfaisante. Cette position reste toutefois minoritaire dans le débat scientifique.

Dans le débat public, il paraît évident que le terme ne va pas être abandonné. Cesser de l’utiliser laisserait ainsi la voie libre à ceux qui veulent l’instrumentaliser. Mais il est important de garder en tête que sa définition, forcément subjective, implique un positionnement moral. Et que l’emploi du mot «terrorisme» ne pourra jamais être neutre.

 

Pour aller plus loin :

Bryan, Dominic, Liam Kelly, and Sara Templer. 2011. “The Failed Paradigm of ‘Terrorism.’” Behavioral Sciences of Terrorism and Political Aggression 3 (2): 80–96. https://doi.org/10.1080/19434472.2010.512151.

Jackson, Richard. 2009. “Critical Terrorism Studies: An Explanation, a Defence and a Way Forward.” University of Leicester, UK, Paper prepared for the BISA Annual Conference, 14-16 December, 2009, , 23.

Jackson, Richard. 2011. “In Defence of ‘Terrorism’: Finding a Way through a Forest of Misconceptions.” Behavioral Sciences of Terrorism and Political Aggression 3 (2): 116–30. https://doi.org/10.1080/19434472.2010.512148.

Antoine Schaub

Réalisant un master en études du développement à l’IHEID, Antoine Schaub est un passionné de journalisme. Il a été corédacteur en chef du journal des étudiants de Lausanne et écrit régulièrement pour le satirique numérique La Torche 2.0. A travers ce blog, Antoine partage, avec ses mots, ses réflexions et ses analyses sur l’actualité internationale.

2 réponses à “« Terrorisme » : l’impossible définition

  1. Excellent article, bravo. Le choix des termes est effectivement d’une importance capitale pour encourager ou pour tenter de dissuader les auteurs de la violence. Bien que terrorisme a une connotation négative, le terme reste comme un énorme acte de bravoure pour ceux qui veulent faire du mal à toute la société. Tout comme radicalisation, djihadisme, extrémisme, comportent un aspect glorieux pour ceux qui commettent des crimes sous ces étiquettes. Je pense que si la justice et le journalisme devraient utiliser les mots exacts comme: voyous, bandits, criminels, etc., ainsi les jeunes occidentaux refuseront à y adhérer. N’oublions pas que les radicaux Suisse ont construits la Suisse que nous connaissons aujourd’hui !

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