« Nouvelles routes de la soie » : anatomie d’un projet pharaonique

Les « Nouvelles routes de la soie », vaste projet d’aide au développement initié par Pékin il y a dix ans, est un puissant témoignage de ses ambitions impérialistes et l’un des principaux marqueurs de sa rivalité avec les États-Unis d’Amérique.

Quatre siècles avant notre ère, Thucydide affirmait qu’il avait toujours été dans la nature des êtres humains d’opprimer les individus qui cèdent et de respecter ceux qui résistent. Or, lorsqu’un État tente de s’affirmer en puissance hégémonique, les nations qui assistent à son émergence sont confrontées à un dilemme insoluble : observer sans réaction la montée en force de ce nouvel acteur central des relations internationales, ou s’y opposer, au risque de favoriser l’advenue d’un affrontement militaire. Depuis que l’extraordinaire développement économique de la Chine s’est doublé d’une volonté d’imposer une forme de domination morale sur des États situés bien au-delà de sa zone d’influence, les États-Unis paraissent déterminés à entrer en confrontation directe avec l’Empire du Milieu. Pourtant, la plupart des analystes s’accorde à affirmer que, s’il a des conséquences sur la sécurité et la stabilité politique de nombreuses régions, le conflit larvé qui oppose l’Amérique à la République populaire s’illustre d’abord par sa nature économique. Ainsi, à la différence de la Guerre froide, dont les ressorts étaient avant tout militaires et idéologiques, la confrontation sino-américaine s’inscrit dans le cadre d’une rivalité technologique et industrielle exacerbée. À cet égard, le projet des « Nouvelles routes de la soie », initié par le président Xi en 2013 dans l’espoir de développer l’influence de la Chine en Asie centrale et pacifique, en Afrique, en Amérique latine et en Europe, semble avoir ouvert la voie à un affrontement commercial d’une ampleur qui semble encore difficile à appréhender.

Les ambitions réelles de la Chine

L’objectif initial du projet « Une ceinture une route » (en anglais « Belt and road initiative » et généralement traduit en français par « Nouvelles routes de la soie ») était la constitution de plusieurs itinéraires terrestres et d’une voie maritime permettant de relier la Chine à l’Europe pour créer les conditions d’un développement économique favorable à l’Empire du Milieu dans les zones concernées par ce programme d’investissement. Dès son avènement, l’initiative de Pékin dissimulait mal l’envergure de ses ambitions politiques ainsi que sa volonté de devenir un acteur incontournable dans les pays en développement. Alors que les accusations de « néocolonialisme » proférées à l’encontre du régime communiste semblent en partie légitimes, il convient de s’intéresser plus précisément au cadre institutionnel et conceptuel dans lequel s’inscrivent les « Nouvelles routes de la soie » pour en saisir toutes les implications, bien que les dimensions gargantuesques de ce projet aient toujours rendu son appréhension particulièrement difficile. En dépit de son indétermination relative et au-delà des innombrables slogans déployés par le Parti pour en faire la promotion, il semble en effet possible d’identifier quelques constantes dans la politique de développement menée par la Chine depuis une décennie. La doctrine des trois corridors paraît ainsi particulièrement intéressante pour comprendre les ambitions de l’État communiste sur le continent asiatique et la façon dont elles se reflètent dans le projet des « Nouvelles routes de la soie ». En effet, selon l’économiste Martine Bulard, la Chine aurait désigné trois voies économiques prioritaires pour renforcer son influence dans la région : le corridor Chine-Pakistan qui s’est matérialisé par la construction de ports, de centrales électriques et de réseaux de télécommunication ; un corridor intégrant le Laos et la Thaïlande, principalement orienté vers la construction d’installations portuaires et un corridor devant relier le Bangladesh, l’Inde et la Birmanie, qui n’a pas encore fait l’objet d’un travail de définition rigoureux. Ainsi les « Nouvelles routes de la soie » sont-elles d’abord un projet asiatique, comme en témoignent par ailleurs les nombreux investissements stratégiques réalisés en Asie centrale ou dans les États situés entre la mer de Chine occidentale et l’océan Indien. Mais la vocation universelle de cette entreprise s’est illustrée dès 2014 par la création d’un fonds souverain de quarante milliards de dollars. En outre, l’établissement de nouvelles voies de communications, la construction d’installations énergétiques modernes et le développement de la capacité industrielle des pays engagés dans ce programme offrent de nombreux débouchés à certains grands groupes chinois actifs dans le domaine de la construction et favorise l’exportation des biens de consommation issus de la République populaire. Mais l’impérialisme économique de la Chine a conduit les États-Unis et certains de leurs alliés les plus proches à construire un réseau d’alliances et de partenariats commerciaux concurrents, dont il convient à présent d’évaluer le caractère et la portée pour comprendre leur importance dans la lutte d’influence qui oppose l’Amérique à la Chine.

Nouvelles alliances

Depuis plusieurs décennies les Américains ont tenté de donner un sens nouveau au concept de « zone “Indo-pacifique” » – qui correspond à l’aire géographique qui s’étend de l’océan Indien aux confins du Pacifique – en s’associant aux pays d’Asie du Sud-ouest pour développer leurs perspectives économiques, stratégiques et militaires. Ainsi, en tentant de réunir leurs soutiens traditionnels dans la région pour endiguer la montée en puissance de l’Empire du Milieu, les États-Unis ont donné vie à l’une des plus grandes zones économiques du monde, établie sur la base d’un accord de libre-échange signé par plus d’une dizaine de pays sous la présidence de Barack Obama. Initialement nommé Partenariat transpacifique (TPP), ce projet fut rebaptisé CPTPP lorsque Donald Trump décida d’en sortir quatre jours après sa prise de fonction. Malgré la diminution sensible du poids économique de ce nouveau traité (alors que le TPP correspondait à 30 % du PIB mondial, le CPTPP n’en représente plus que 13%) et l’établissement d’une zone de libre-échange concurrente par la République populaire de Chine afin d’étendre son influence dans une région longtemps dominée par les Américains, ces derniers sont néanmoins parvenus à poursuivre le développement d’une large série d’alliances militaires et industrielles, dont les plus notables sont le « Quadrilateral security dialogue » – qui regroupe l’Inde, l’Australie, le Japon et les États-Unis autour d’objectifs stratégiques communs – et le pacte de défense AUKUS, constitué en 2021 par l’Australie, les États-Unis et le Royaume-Uni afin d’accentuer leur collaboration en matière de renseignement ainsi que le déploiement de leurs capacités militaires. Mais si cette stratégie d’endiguement, rappelant à certains égards la politique menée par le bloc occidental vis-à-vis de l’Union soviétique pendant la Guerre froide, paraît avoir quelque peu entamé les possibilités d’expansion de la Chine, il semble que ce soit surtout son aptitude à répondre aux fragilités de son modèle économique et politique qui déterminera la forme que prendra la confrontation de ces deux impérialismes dans les années qui viennent.

 

Antoine Lévêque

Agé de 19 ans, Antoine Lévêque s'engage depuis plusieurs années au sein du PLR. Passionné depuis toujours par l'action politique, il se bat pour une plus grande participation des jeunes à la vie démocratique. En dehors de ses études gymnasiales il se consacre notamment à la rédaction d'une pièce de théâtre interrogeant notre rapport à l'histoire ainsi qu'à la lecture de livres de philosophie.

5 réponses à “« Nouvelles routes de la soie » : anatomie d’un projet pharaonique

  1. Monsieur Lévêque,
    J’apprécie beaucoup vos analyses mais, cette fois-ci, je crains que l’indépendance habituelle de votre point de vue ne soit victime de la bien-pensance occidentale. En effet, celle-ci qualifie la Chine d’impérialiste, tout comme la Russie d’ailleurs, alors que ce vocable ne s’applique en réalité qu’aux Etats-Unis et à l’Europe son vassal. En fair, l’une et l’autre de ces deux puissances mondiales veulent la fin du mondialisme et du colonialisme occidental et leur remplacement par un multilatéralisme respectueux des souverainetés nationales et des diverses civilisations qu’elles renferment.

    1. Bonjour,

      Merci pour votre commentaire. Je partage en partie votre analyse, mais je suis convaincu que les Nouvelles routes de la soie sont aussi un moyen de développer l’influence de la Chine dans certaines régions du monde. Cela n’est pas forcément négatif et je ne voulais pas donner de connotation particulière au terme “impérialisme”.

      Je porte un regard aussi critique que vous sur le colonialisme et le moralisme de l’occident.

  2. le capitalisme occidental ne cherche qu’à verser des dividendes à ses actionnaires; or l’Occident n’est dirigé actuellement que par le capitalisme, dont le Pd macron n’est d’un serviteur zélé; la Chine semble avoir, elle un projet, politique; du temps de De Gaulle il était question de politique; période révolue; Pompidou c’était la banque Rotschild à L’ Elysée; Giscard , lui , a inventé la TVA, impôt injuste au regard des différences de revenus, grévant la population , au bénéfice des plus riches; Mittérand a autorisé la libre circulation des capitaux, donc les délocalisations, donc la désindustrialisation, donc à terme la destruction du système social à la Française; Chirac a fait “pschitt” et qq abracadantesques déclarations sauf refuser de soutenir les US à la guerre à l’Irack; Zarkosy, c’est Al Capone à l’Elysée, faisant liquider Kadhafi plutôt que ce dernier ne rende publique son aide financière pour des élections présidentielles; Hollande, capitaine de pédalo, allant guerroyer au Mali tout en créant des lois quant aux homosexuels et autres LGBT, c’est à dire de l’électoralisme gratuit; quant à Macron, c’est le fond du fond, président des riches et larbin s’il en est de la finance, il ne cesse de déverser de la peur au public par les médias mainstream, à savoir la doxa sanitaire en défense du prétendu vaccin anti covid, puis la pensée unique anti Poutine, puis la peur quant à l’énergie, puis actuellement la peur sur l’alcool ! Rien de politique dans tout cela mais la seule défense des intérêts de plus fortunés ! on est très mal barrés (la barre du bateau )

  3. Il me semble qu’il ne faut pas sous-estimer l’aspect idéologique du mercantilisme 2.0 pratiqué par la Chine.

    Ses avancées géostratégiques et économiques lui permettent de proposer (d’imposer ?) un système semi-totalitaire dont le principe est d’assurer la prospérité et une certaine forme d’insouciance matérielles pour le plus grand nombre pour autant qu’il laisse le parti et les politiques diriger le pays à leur guise.

    Derrière une attitude de vierge effarouchée, l’Occident, aussi bien sa population que ses dirigeants, observe avec attention, et (trop) souvent envie, les régimes illibéraux comme la Chine ou la Russie. Leurs gouvernements l’ont très bien compris et utilisent les techniques du « soft power » à l’américaine pour faire avance leur projet de société auprès d’une population en partie prête à l’accepter. Projet de société que Dostoïevski avec «Le Grand Inquisiteur » avait pressenti :

    « Alors nous leur donnerons un bonheur doux et humble, un bonheur adapté à de faibles créatures comme eux. (…) nous leur prouverons qu’ils sont débiles, qu’ils sont de pitoyables enfants, mais que le bonheur puéril est le plus délectable. Ils deviendront timides, ne nous perdront pas de vue et se serreront contre nous avec effroi, comme une tendre couvée sous l’aile de la mère. Ils éprouveront une surprise craintive et se montreront fiers de cette énergie, de cette intelligence qui nous auront permis de dompter la foule innombrable des rebelles. Notre courroux les fera trembler, la timidité les envahira, leurs yeux deviendront larmoyants comme ceux des enfants et des femmes; mais, sur un signe de nous, ils passeront aussi facilement au rire et à la gaieté, à la joie radieuse des enfants. Certes, nous les astreindrons au travail, mais aux heures de loisir nous organiserons leur vie comme un jeu d’enfant, avec des chants, des chœurs, des danses innocentes. Oh! nous leur permettrons même de pécher, car ils sont faibles et sans force, et ils nous aimeront comme des enfants car nous les autoriserons à pécher. Nous leur dirons que tout péché sera racheté, s’il est commis avec notre permission; (…) nous résoudrons tous les cas et ils accepteront notre décision avec allégresse, car elle leur épargnera le grave souci et les effrayantes souffrances actuelles de choisir eux-mêmes librement. »

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