Aimer la langue française

En ce monde où la la littérature est placée au rang de simple divertissement et où la langue n’est plus considérée que comme un moyen d’expression sans éclat, il semble important de redonner à l’apprentissage du français et à l’étude de ses plus grands auteurs l’envergure qu’ils avaient autrefois.

La langue est l’affaire de tous 

Comme Anatole France, tout me conduit à penser que la langue française, par sa richesse, sa précision et son amplitude, « est une femme » à laquelle on ne peut « jamais […] être infidèle ». Pourtant, à l’heure où la rapidité des rapports humains s’impose comme une évidence, il convient de se souvenir, ainsi que l’affirmait Paul Morand, que « la notion de vitesse est née de la notion de progrès » et qu’« elle est fonction du moindre effort ». Or, le français est une langue prodigieusement compliquée pour une société qui semble honnir toute idée d’exigence, de discipline et de contrainte. L’apprentissage de la grammaire, par la rigueur qu’il impose à ceux qui s’y essaient, n’est plus considéré comme primordial dans le développement intellectuel de l’enfant, et les enseignants craignent à présent de paraître élitistes en insistant trop sur la beauté de la langue de Molière ou sur le génie de ceux qui l’ont portée aux nues. Ainsi, au nom de l’égalité, certains des plus grands noms de la littérature française, jugés « trop compliqués », sont-ils devenus infréquentables. Mais le délaissement de ces éminentes figures littéraires s’inscrit dans un mouvement plus large et plus préoccupant. En effet, si la langue a toujours été un moyen de domination politique et morale, il semble que depuis plusieurs décennies, le français ait cédé sans résister à la colonisation de l’anglais global et aux assauts répétés des tenants du langage inclusif, résolus à imposer à tous des formes dont l’inélégance est d’abord faite pour provoquer. Par ailleurs, je crains que comme moi à une époque lointaine, beaucoup de jeunes gens ne se sentent obligés, pour être acceptés par leurs semblables, de recourir à un vocabulaire volontairement familier, imprécis et limité. Alors que beaucoup ont cessé de « travailler » et ne font plus que « bosser », que l’on n’ose plus « se reposer » par peur d’offenser ceux qui préfèrent « chiller », que l’on ne veut pas « spoiler » la fin d’un bon livre à ses amis, le temps semble être venu de donner à la jeunesse les moyens de se réapproprier la langue française. Car si les linguistes s’attachent à affirmer que le français s’est toujours nourri d’emprunts faits à d’autres langues, il semble que comme l’affirmait récemment Hélène Carrère d’Encausse, Secrétaire perpétuel de l’Académie française, l’anglicisation galopante à laquelle le soumettent les jeunes est dangereuse dans la mesure où elle lui impose une syntaxe et une structure langagière inadaptée. Au lieu de chercher à imposer à tous l’usage de l’écriture inclusive, dont les effets négatifs sur l’apprentissage de la langue française sont incontestables, ou de faire de la féminisation des noms donnés aux fonctions et métiers une lutte existentielle, il convient de donner aux jeunes l’envie d’écrire et de lire le français, langue littéraire par excellence.

Vivre au temps de « l’après-littérature »

Dans un essai paru en novembre 2021 et intitulé L’après littérature, Alain Finkielkraut nous rappelait que la société sans valeurs ni véritable sens du sublime dans laquelle nous évoluons était en partie le produit de l’abandon de la littérature par une couche toujours plus grande de la population. Or, comme ce grand intellectuel français, je suis convaincu que la littérature est la plus belle ouverture sur le monde qu’un enfant puisse connaître. Pour rendre compte de cet émerveillement devant la puissance de la langue, on ne peut citer ici que cet émouvant passage de Péguy dans l’Argent : « Il faut qu’il fasse du latin, avait-il dit : c’est la même forte parole qui aujourd’hui retentit victorieusement en France de nouveau depuis quelques années. Ce fut pour moi cette entrée dans cette sixième à Pâques, l’étonnement, la nouveauté devant rosa, rosae, l’ouverture de tout un monde, tout autre, de tout un nouveau monde, voilà ce qu’il faudrait dire, mais voilà ce qui m’entraînerait dans des tendresses. Le grammairien qui une fois la première ouvrit la grammaire latine sur la déclinaison de rosa, rosae n’a jamais su sur quels parterres de fleurs il ouvrait l’âme de l’enfant ». Ainsi, j’affirme sans gêne que l’on peut presque tout apprendre par les livres et je me souviens du temps où je déflorai pour la première fois les romans de Balzac, Stendhal et plus tard de Proust comme d’une période bénie. Je sais aujourd’hui que la littérature m’a permis d’écrire différemment, de réfléchir et d’envisager le monde avec plus de profondeur. Or, si j’ai voulu par ces quelques lignes rappeler l’importance de la langue et le rôle matriciel de la littérature, c’est que je suis convaincu de la nécessité de donner à chaque enfant la possibilité de se réaliser pleinement en étudiant la langue française avec passion.

La neutralité impossible

En ce siècle de profonds bouleversements géopolitiques et moraux, est-il encore possible pour un pays comme la Suisse d’être neutre ? Alors que notre détermination à maintenir une politique de neutralité perpétuelle, véritable fondement de notre identité collective depuis 1815, fait l’objet d’une remise en cause toujours plus importante, il paraît nécessaire de donner à cette notion la profondeur historique et conceptuelle qu’elle mérite.

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Pourquoi Boris Johnson n’avait rien d’un populiste

A l’heure où les conservateurs britanniques cherchent un dirigeant capable de succéder à l’artisan du Brexit et d’une révolution idéologique sans précédent dans cet Etat insulaire, toujours resté à l’écart des évolutions politiques du continent, il paraît nécessaire de déterminer les ressorts et les conséquences des profondes mutations du paysage politique britannique au miroir des changements institutionnels et sociaux observés dans les autres démocraties européennes depuis deux décennies.

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L’illusion du “monde d’après”

Tout homme est habité par un besoin de rupture et l’histoire est faite de dépassements perpétuels. Cette définition du progrès, basée sur la vision téléologique du devenir historique qui s’est déployée en Europe depuis les lumières françaises et allemandes, me paraît marquée par un idéalisme exacerbé, que plusieurs siècles de conflits et de déchirements n’ont fait que renforcer. (suite…)

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Le triomphe de l’idéologie woke

«Le vingt-et-unième siècle sera spirituel ou ne sera pas». Cette phrase d’André Malraux prend une portée particulière dans une époque dominée par un profond besoin d’absolu, illustré avant tout par l’influence toujours aussi marquée des idéologies sur nos sociétés. En effet depuis plusieurs décennies, le débat public est empreint d’un fort désir de radicalité, de “pureté doctrinale”, qui contraste avec le prétendu relativisme des sociétés modernes. Ce phénomène est particulièrement visible chez les jeunes, où la tentation des extrêmes est toujours plus forte. L’idéologie woke est le meilleur exemple de cette radicalisation des discours, qui semble refléter un profond besoin de repères moraux dans un monde sans valeurs.

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Le réalisme à l’épreuve de la guerre

« Les hommes sont si nécessairement fous qu’il serait être fou par un autre tour de folie que de ne pas être fou ». Ces quelques mots de Blaise Pascal, que j’ai lus avec délice ce matin m’ont rappelé l’article publié sur ce blog il y a six jours, dans lequel j’affirmais justement que Vladimir Poutine n’avait rien d’un fou. Quelle folie ! Aussitôt publié, mon article faisait l’objet d’une avalanche de commentaires hostiles, railleurs, méprisants, que leur radicalité assertorique m’empêchait de rendre publics. Certes, beaucoup, énormément en réalité, m’ont écrit pour féliciter ma lucidité, la modération de mon propos, ma volonté de nuance, et je leur en suis profondément reconnaissant. Mais en proposant une lecture légèrement différente de l’actualité, en osant affirmer que l’invasion de l’Ukraine par la Russie était prévisible en ce quelle était issue d’une planification méticuleuse et rationnelle, en ayant l’audace de dire que l’occident avait peut-être une part de responsabilité dans cette situation fâcheuse, je devenais en quelques heures un émissaire de Moscou.


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Non, monsieur Poutine n’est pas fou

L’invasion de l’Ukraine était prévisible (et évitable)

Il est évident que la situation est dramatique pour le peuple ukrainien. Les images des explosions, mais aussi le nombre croissant de civils blessés ou morts suite à l’arrivée des soldats russes et enfin la vive détresse de la population ukrainienne ont de quoi émouvoir profondément les opinions publiques européennes. Pourtant, Vladimir Poutine n’est pas l’unique responsable de cette situation affligeante. Les occidentaux ont eu le temps de se préparer à une invasion de l’Ukraine par la Russie ; ils auraient dû considérer avec plus de sérieux les revendications de M. Poutine et sa profonde détermination à agir pour restaurer un ordre régional favorable aux intérêts de la Russie. Alors que la plupart des Etats européens, en particulier la France, jugeaient les alertes américaines avec une arrogante désinvolture, certains de pouvoir amadouer l’ours russe par l’étalage de leur vertu et de leur bonne volonté, il eût été plus sage de tenter de comprendre enfin quelle était l’essence véritable des demandes, des inquiétudes et des ambitions de la Russie, qui n’ont pas changé depuis vingt ans. (suite…)

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2022 ou l’exigence de l’unité

“Le Sonderfall n’est pas un mythe”. Voilà comment résumer l’opinion – encore largement répandue dans notre pays – selon laquelle la Suisse serait à l’écart des mouvements du monde. Pourtant, après cette année marquée par la radicalisation du débat public et l’exacerbation de nos divisions internes, nous ne semblons plus faire figure d’exception. Dès lors, comment croire que la Suisse est toujours cet îlot de paix, cette nation d’équilibre et de modération, ce miracle démocratique dont nous avons toujours été si fiers ?

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