Le défi masculin

Congé paternité et politique familiale: le changement de perception prend du temps.



Ainsi le PLR ne soutiendra pas le congé paternité (https://www.letemps.ch/suisse/surprise-plr-refuse-conge-paternite). Cela ne devrait pas être trop grave vu le large soutien dont jouit l’initiative. Mais le refus d’un changement tel que ce congé paternité, pourtant peu ambitieux, pose question. Nous voterons sur une formule au rabais mais elle va dans le bon sens.

Comment comprendre le refus d’une politique qui est favorable pour les familles, favorable pour les enfants, pour les pères et pour les mères? Car il s’agit bien de cela. On sait l’apport important que pourrait jouer la présence paternelle auprès des enfants. Ceux ci profitent d’avoir la dyade parentale comme interlocuteur et pas seulement leur mère. C’est bon pour leur développement, leur santé psychique et pour favoriser une reconnaissance profonde de l’égalité des sexes. C’est bon pour les pères aussi qui découvrent souvent avec surprise la richesse des interactions précoces qu’ils peuvent vivre avec leurs petits. Et c’est bon pour les mères. La carrière des femmes est favorisée par la présence paternelle auprès des enfants. Moins de ruptures dans leurs parcours et plus de stabilité leur permet de rester actives dans leurs professions et d’y évoluer tout en vivant leur maternité.

Alors? Pourquoi refuser un tel projet? Laissons tout de suite de côté l’argument du financement. La Suisse est à la traine des pays à haut standard de vie pour ce qui est de la politique familiale. Des pays moins prospères en font plus. Et la Suisse peut financer l’absence des hommes de leur travail sans difficulté lors qu’ils font leur service militaire. Le système de l’ APG (assurance perte de gain) pourrait fonctionner sans problème.

On peut se demander si les motivations du refus ne viennent pas d’ailleurs. D’un sentiment d’injustice, peut-être inconscient, lié au fait que pour la plupart d’entre nous, nos pères ont été absents, sinon physiquement, du moins psychiquement. Nos pères étaient terriblement pris dans leurs responsabilités professionnelles et dans le vieux modèle de l’homme qui pourvoit aux besoins financiers et de la femme qui gère la vie de famille. Leur amour passait par leur capacité à correspondre à ce vieux modèle et pas par le contact direct, senti, éprouvé avec leurs enfants. Ils étaient fiers de réussir à pourvoir au besoins matériels de leur famille et leur souffrance passait au second plan. Mais une fois leurs enfants grands, combien n’ont pas soupiré en constatant qu’il avaient manqué les meilleures années de la vie avec leur filles et leurs fils?

Les enfants, eux, n’ayant pas de point de comparaison, ont pris l’absence paternelle comme quelque chose de normal. Cela ne veut pas dire qu’il n’en n’ont pas souffert, bien sûr. Mais devant une absence douloureuse, ils se sont persuadé qu’il s’agissait d’une  norme  et qu’ils devaient avoir la force et le courage d’accepter cette norme. Ils se sont construits autour de ce manque avec un certain succès mais pas sans dommages. Dès lors, devant l’irruption d’un changement possible pour les futures générations, les douleurs du manque, soigneusement refoulées au nom de la  norme, refont surface. Avec la révolte: Pourquoi eux et pas nous? Pourquoi maintenant? Mon bel effort pour surmonter le manque n’a-t-il servi à rien? Les enfants ne seront-ils pas trop gâtés? Je me suis endurci pour surmonter l’absence, ne vont-ils pas devenir des mous? J’ai surmonté la frustration, qu’ils s’en sortent eux aussi!

L’absence paternelle a une autre conséquence: en tant qu’homme nous n’avons pas appris à pouponner. Ou plutôt, nous n’en avons pas fait l’expérience de la part de nos pères. On sait que les femmes ont appris la maternité avec leur propres mères. La plupart des hommes n’ont pas eu cette chance avec leur pères. Cela les met en position délicate et les incitent à laisser la responsabilité des enfants aux femmes qui s’en sortent mieux. C’est ce constat qui a poussé un pays avancé comme la Norvège à mettre en place un congé parental dans lequel une partie du temps imparti est consacré aux hommes pour les inciter à apprendre ce nouveau rôle (https://blogs.letemps.ch/alexis-burger/2020/02/09/conge-paternite-suite/).
Cette partie du congé parental ne sera pas octroyé si l’homme ne la saisit pas. Il s’agit d’une action positive qui vise à restaurer une égalité réelle, sentie, intégrée, à même de modifier dans la durée, chez les femmes et chez les hommes, la perception de la dynamique des genres.

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