Au-delà des apparences

L’Europe et ses migrants

Il n’est pas rare de voir dans les médias, pour ne pas dire dans le langage de certaines ONG ou de personnalités politiques un même groupe qualifié successivement de « réfugiés », de « demandeurs d’asile » et de « migrants ».

Confusion

Si la confusion qui en découle est souvent instrumentalisée, pour ne pas dire politisée, elle est aussi la conséquence d’une situation qui échappe parfois à des définitions précises. Ainsi il est acquis qu’un « réfugié » est une personne qui fuit une persécution pour des raisons politiques, ethniques ou religieuses ou, accessoirement une situation de guerre.

Sauf dans des cas de déplacements massifs lors d’une guerre, un réfugié est d’abord un « demandeur d’asile » à savoir une personne qui s’estime persécutée dans son pays d’origine, qui se trouve à l’étranger et qui demande à être reconnue comme « réfugié ».

Si la demande de statut de réfugié est considérée comme justifiée le « demandeur d’asile » est qualifié de « réfugié ». Si elle ne l’est pas il est qualifié de « débouté » et doit en principe retourner dans son pays d’origine.

Qui est un réfugié ?

En fait, être reconnut comme « réfugié » ne donne à la personne concernée qu’un seul droit. Le droit de ne pas etre renvoyé dans un pays ou elle serait persecuté. En effet aucun état n’est tenu de lui donner un asile permanent.

Et un migrant

Enfin un « migrant » est une personne qui cherche à émigrer pour des raisons autres qu’une persécution personnelle ou un état de violence assimilable à une guerre.

Si sur le papier la problématique est simple. En réalité elle est autrement plus complexe. Ainsi le critère de « persécution » est pour le moins sujet a controverse. Les Conventions font état de raisons politiques, ethniques ou religieuses.

Femmes mutilées

Or on estime que, en Afrique, quelque 120 million de femmes sont victimes de mutilations génitales. Est-ce une « persécution » ? Aucune convention ne se prononce sur le sujet mais la Suède a accordé l’asile à une Soudanaise qui avait fait état du fait que si elle serait rapatriée elle serait victime d’une une mutilation. Le geste de lui accorder l’asile était louable mais il ne portait pas à conséquence. En revanche on peut se demander quelle aurait été la réaction de la Suède si 100 000 soudanaises avaient fait état de la même demande ; ou, en d’autres mots, à partir de quel point le souhaitable n’est simplement plus faisable ?

Une distinction difficile.

La problématique est rendue encore plus complexe lorsque migrant et réfugiés s’imbriquent. Ainsi il est acquis que les quelques 3.5 millions de syriens qui ont trouvé refuge en Turquie sont collectivement des « réfugiés », même si chaque cas n’a pas été évalué individuellement. Or si les conditions de vie des Syriens en Turquie sont pour le moins difficiles ils n’y sont pas persécutés. Ainsi tout mouvement de leur part au delà de la Syrie n’est plus motivé par un besoin de trouver asile. Il en découle que les si les Syriens qui se trouvent aujourd’hui à Lesbos sont bien des « réfugiées », ce n’est pas pour se mette à l’abri d’une persécution qu’ils se trouvent sur l’ile. En fait ils avaient déjà l’asile en Turquie et s’ils ont été bloqués à Lesbos par les autorités grecques c’est parce qu’ils cherchaient à émigrer illégalement vers l’Europe.  On assiste donc là à un nouveau phénomène à savoir le réfugié qui cherche à émigrer à partir du pays ou il a trouvé refuge et ou il n’est plus en danger.

L’exode à destination de l’Europe par la Libye est une autre version de la problématique migrant/réfugié.

Le cas Libyen

On estime que sous le régime du colonel  Ghaddafi chaque année 2 millions de personnes en provenance de l’Afrique Sub Saharienne se rendaient en Libye pour travailler. La plupart ne restaient que quelques mois dans le pays quitte à en suite rentrer chez eux pour revenir, l’année d’après mais ce-faisant ils assuraient la subsistance de leurs familles restées dans leur pays. Au total on estime que quelques 20 millions d’africains arrivaient ainsi à subvenir à leurs besoins. Quant à ceux qui cherchaient à procéder illégalement vers l’Europe ils étaient interceptés soit par les garde-côte Libyens soit par la marine Italienne qui les débarquaient discrètement en Libye.

Cet équilibre s’effondra quand l’administration Obama, par OTAN interposé, précipita la chute du régime Ghaddafi sans disposer de solution de rechange. En quelques semaines le pays sobra dans l’anarchie. Non seulement des millions d’africains perdirent tout source de revenu mais le pays devint une passoire dont profitent des gangs organisés qui alimente un flot ininterrompu de migrants vers l’Europe.

Explosion démographique

Or ce flot migratoire n’est pas un phénomène transitoire ou conjoncturel. Durant les prochains 25 ans l’Afrique sub saharienne dont proviennent les migrants passera de 1 milliard à 2 milliards d’habitants et l’Afrique du Nord de 210 à 350 millions d’habitants. Même en tenant compte des pronostics les plus optimistes, rien ne laisse supposer que durant ce lapse de temps les condition politiques, économiques et sociales dans la région évolueront au point de représenter une réelle alternative à une émigration massive et illégale.

La même problématique se pose dans l’est méditerranéen. La tentative de l’administration Obama de faire tomber le régime syrien par Etats du Golf interposés et de nouveau sans solution de rechange a non seulement avorté mais a laissé une Syrie en ruines avec quelques 6.2 millions de déplacés internes et 5.6 millions de réfugiées dont 3.5 millions en Turquie.

25 millions de migrants ?

La conséquence immédiate, en plus du cout humain, a été de donner à la Turquie une carte politique, pour ne pas dire un instrument de chantage dont elle n’a pas hésité à s’en servir. En effet, il suffit que la Turquie, comme elle l’a déjà fait, entrouvre ses frontières pour voir des centaines de milliers de réfugiés syriens affluer vers l’Europe. Or ceci n’est que la pointe de l’iceberg. Aujourd’hui les trois pays de la région producteurs d’un flux combiné de réfugiés et de migrants à savoir la Syrie, l’Iraq et l’Iran comptabilisent un total de 93 millions d’habitants. Dans 25 ans les projections donnent un chiffre de 147 millions, ce qui, ajouté à l’Afrique fait un pool de 2.4 milliards de personnes. Se basant sur cette projection, si seulement 1 %  cherchent à émigrer vers l’Europe on arrivera à un flux potentiel de 25 millions de personnes. Or quelle que soit l’étiquette que l’on donne aux migrants, ou les contingences de leur départ, les chiffres sont là et ils représentent pour l’Europe une réalité politique et sociale incontournable.

Un Pacte Migratoire

Le résultat, avec des décennies de retard, est un nouveau Pacte Migratoire que la Commission Européenne a soumis aux états membres et qui, en pratique, constitue une révision complète des principes censées gérer la migration telle qu’elle est conçue aujourd’hui. Le premier principe c’est l’abandon du système dit de Dublin par lequel ce sont aux pays de premier accueil de gérer leurs influxs respectifs. Désormais, il appartiendrait à l’ensemble des pays européens de se répartir les nouveaux arrivants dont les dossiers devraient être, en première instance, statués en l’espace de cinq jours. En parallèle, toute décision négative devrait etre associée à un ordre de retour dont la mise en pratique serait facilitée par la création de centres de transit dans les pays d’origine.

Problèmes

A ce jour les premières réactions ont été prévisibles. Les pays du groupe de Višegrad – Pologne, Hongrie, Slovaquie et République Tchéquie – ont déclaré qu’il n’était pas question pour eux d’accepter des migrants même à titre temporaire. D’autre part on a assisté à une levée de boucliers de la part de la communauté des ONGs.

Le nouveau Pacte Migratoire aura certainement besoin de retouches et son application pratique inévitablement laissera parfois à désirer. Néanmoins, il est légitime de croire qu’il constituera un progrès face à la confusion actuelle, et cela d’autant plus que, si les critiques sont nombreuses, aucune ne présente une alternative susceptible de cadrer avec la réalité. Or celle-ci comporte un fait incontournable ; les inégalités sociales, l’injustice, la pauvreté et la répression qui poussent les gens à partir ne seront pas résolues de ci-tôt et ce ne sera pas l’Europe qui pourra imposer un nouvel ordre social aux pays d’origine.

Quelle alternative ?

Dans cette perspective il n’y as pas d’autre alternative pour l’Europe que d’adopter une politique migratoire à long terme qui fait la part des choses en cherchant à concilier un minimum d’exigences morales avec des contraintes pratiques dont on ne peut faire abstraction.

Mais une politique migratoire à elle seule ne tient pas la route sans un apport politique.

En effet, les deux grandes crises migratoires actuelle  qui impactent l’Europe, Libye et Syrie, sont les conséquences directes des tentatives de Washington de renverser deux régimes, abjectes sans doute mais dont l’affaiblissement ou la chute se sont révèles pire que le mal. Or c’est aujourd’hui l’Europe qui paye le prix des errements de la politique étrangère américaine.

Pour que de tels événements ne se répètent pas il ne suffit pas d’un Pacte Migratoire. Il faut aussi que l’Europe politique s’affirme, et cela non seulement par rapport à ses ennemis mais aussi par rapport à ses amis.

 

 

 

 

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