Au-delà des apparences

Eglise et Etat: questions sans réponse ?

Le 30 juillet 1956 le congrès américain adopta à l’unanimité une loi qui spécifiait que les mots ‘notre foi est en Dieu ‘ serait désormais la devise officielle des Etats-Unis et figurerait sur tous les billets de banque américains.

Adoptée en pleine guerre froide, cette résolution était censée souligner le fossé entre les valeurs chrétiennes représentées par les Etats Unis et le communisme athée représenté par l’Union Soviétique.

L’adoption de cette devise qui perdure aujourd’hui faisait des Etats-Unis une puissance dont la politique mondiale serait inspirée non seulement par ses intérêts nationaux mais aussi par sa foi dans un être supérieur défini comme Dieu. Ainsi la ‘foi’, pour ne pas dire la religion, devenait une des composantes de la politique d’un état qui constitutionnellement avait adopté le principe de la séparation ente l’Eglise et l’Etat.

Deux visions

Le concept de la séparation de l’Eglise et de l’Etat est relativement nouveau. Historiquement les deux institutions se confondaient et la foi faisait partie de l’environnement politique. Durant la première guerre mondiale l’armée allemande partit au combat avec ‘Gott mit uns’ gravé sur les ceinturons de ses militaires. Quant aux monarchies, elles étaient considérées de droit divin et le couronnement des souverains était une cérémonie religieuse. Cela explique pourquoi, encore aujourd’hui, des états européens comme les pays scandinaves ou le Royaume-Uni arborent sur leurs drapeaux des croix qui rappellent leurs origines chrétiennes. En revanche, des pays de plus récente facture comme l’Allemagne ou l’Italie, ou la France avec sa tradition révolutionnaire, arborent sur leurs drapeaux des combinaisons de couleurs plutôt que des pictogrammes avec des connotations religieuses.

La tendance visant à déconnecter l’Etat du cadre religieux est un phénomène essentiellement occidental. Il est basé sur le principe que la religion relève du domaine privé de l’individu et que la légitimité de l’Etat est basée sur un support populaire et non pas sur une inspiration d’origine divine. Il en résulte que chaque citoyen est libre de choisir sa foi et qu’il n’appartient pas à l’Etat d’imposer des normes religieuses à ses citoyens.

Un Pape visionnaire

Si le principe est clair, son application pratique ne saurait être divorcée de siècles de traditions et nombreuses sont les références à l’échelle mondiale qui relèvent d’une tradition chrétienne. Ainsi le calendrier international avec l’année commençant le premier janvier été introduit à l’origine par le Pape Grégoire XIII en 1582, d’où son nom de calendrier Grégorien. A ses débuts, rejeté par les pays protestants qui y voyaient une ingérence de l’église de Rome, il fut adopté par l’Angleterre en 1752, par le Japon en 1872 et la Turquie en 1919. Aujourd’hui il est une référence universelles et si certains pays comme le Népal, la Thaïlande, l’Iran ou Israël ont leur propres calendriers à usage interne, il est devenu une norme internationale déconnectée de toute connotation religieuse.

Si la notion de séparation de l’Eglise et de l’Etat est devenu un acquis dans les démocraties industrialisées occidentales, c’est le phénomène contraire qui s’est développé dans le tiers monde. Dans les années 1950, suite à la décolonisation, un nombre croissant de pays du tiers monde accéda à l’indépendance et le choix d’un drapeau national devint une de leurs priorités.

Un drapeau national

Pour ce faire beaucoup choisirent diverses variations de bandes de couleur. Mais d’autres choisirent une autre approche.

La grande majorité des pays issus de la colonisation avaient des frontières qui avaient été arbitrairement déterminées par la puissance occupante. Ainsi des pays comme l’Iraq, la Syrie, la Libye ou même les Indes sans compter la plupart des pays d’Afrique avaient des frontières artificielles qui ne correspondaient à aucune réalité sociale ou historique. Le résultat fut une déficience au niveau du ciment social qui était censé assurer un minimum de cohésion nationale. Le premier exemple de ce déficit furent les Indes.

En 1947 lorsque le pays devint indépendant il comptait 540 millions d’habitants dont 370 millions d’Hindous et 170 millions de Musulmans. Or les Musulmans exigèrent d’avoir leur propre état ; le résultat fut un conflit qui fit 12 millions de déplacés, un million de morts et la création de la République Islamique du Pakistan ,le premier Etat fondé sur un choix basé sur une appartenance religieuse plutôt que politique ou nationale.

Le cas fit école

En effet beaucoup de pays à majorité musulmane, lorsque ils accédèrent á l’indépendance, choisirent un drapeau national qui comportait un symbole religieux afin d’affirmer ainsi non seulement leur identité nationale mais aussi leur appartenance à l’Islam.

Ce choix n’était pas seulement symbolique. En effet tous les pays concernés choisirent de fonder leurs législations nationales sur la Sharia, l’ensemble des lois dérivées du Coran. Le droit devint ainsi pour eux le reflet de la foi.

Deux classes de citoyens

Le résultat fut la création de deux classes de citoyens, à savoir ceux qui appartenaient à la religion majoritaire et ceux appartenant à une autre religion mais qui se voyaient imposer les dictats d’une foi qui n’était pas la leur.

L’inspiration divine du droit a comme corollaire que chaque tentative de changer la loi déborda du domaine politique dans le domaine de la religion avec tout ce que cela peut comporter d’émotionnel. Ainsi, la constitution de la Tunisie, possiblement l’état arabe le plus démocratique prévoit l’égalité des droits entre les hommes et les femmes. Cependant, c’est seulement en 2017 que le gouvernement réussit à annuler une directive inspirée par la Sharia et adoptée en 1973 qui interdisait à une femme musulmane d’épouser un homme d’une autre religion. En revanche le gouvernement s’est trouvé incapable de mobiliser au Parlement une majorité nécessaire pour amender la loi sur les héritages. Celle-ci en effet, basée sur la Sharia, prévoit qu’une femme hérite moins qu’un homme. Or toutes les tentatives pour amender la loi et s’assurer que hommes et femmes jouissent des mêmes droits en matière d’héritage ont faillit face à l’opposition des mouvements islamiques et en Tunisie et dans le monde arabe. Il en résulte qu’une loi qui dérive d’un édicte religieux basée sur la foi musulmane en vient à s’appliquer même a ceux qui ne sont pas musulmans.

Dans une perspective historique la relation entre l’Eglise et l’Etat a été déterminée par l’époque, la nature de l’Eglise et l’environnement social. Traditionnellement, les religions monothéistes avec leur croyance dans un Dieu unique ont étés moins tolérants envers les tenants d’autres religions que les fois basées sur le Bouddhisme, le Taoïsme ou le Confucianisme. Le temps a aussi joué un rôle crucial et il est évident que la Catholicisme d’aujourd’hui ne saurait se comparer à celui en cours à l’époque de l’Inquisition. Quant au contexte social, son rôle est fondamental.

Il y a actuellement de par le monde trois Théocraties ; des régimes dont le chef de l’Eglise est également le chef de l’Etat : L’Iran, le Vatican et le Royaume Uni. L’Iran se passe de commentaires. Le Vatican ne dispose pas de pouvoir temporel. Reste le Royaume-Uni dont le Souverain est à la fois le chef de l’Etai et le chef de l’Eglise d’Angleterre. Le cérémonial mis à part, cela ne porte pas à conséquence. En effet la tradition britannique de tolérance et de démocratie est si profondément ancrée dans la société qu’il n’est pas question d’imposer à un groupe les préceptes religieux d’une foi qui n’est pas la leur.

Si l’environnement social est déterminant dans la définition de la relation entre Eglise et Etat il n’en reste pas moins que certaines fois sont plus exclusives que d’autres et imposent à leurs adhérents des règles de conduite quotidienne dont les exigences peuvent varier considérablement Aujourd’hui, la fracture se situe essentiellement entre les sociétés industrielles à tradition Judéo-chrétiennes et celles à tradition Arabo-Islamiques. Encore que la fracture est loin d’être uniforme.

Des règles diététiques

Ainsi, l’Algérie, la Mauritanie et la Libye interdisent l’élevage de porcs dont la consommation est interdite par le Coran. En revanche le Maroc, considérant le nombre de touristes en provenance de l’Europe, l’autorise et le Bahreïn a refusé la proposition d’un député islamiste d’en interdire l’importation, arguant que l’on ne peut pas imposer des règles diététiques provenant de l’Islam à des personnes pratiquant une autre religion.
Si Bahreïn est une exception, elle reflète une forme de libéralisme comme aussi une multiplicité d’interprétations du Coran qui se reflètent aussi dans la diversité des écoles Coraniques. Mais cette diversité ne peut faire abstraction du fait que le Coran est considéré comme reflétant à la lettre la parole de Dieu et a donc ancré l’Islam dans des codes de conduite difficilement portés vers un concept évolutif.

Un ciment social

Dans ce cadre, la présence d’un symbole religieux sur un drapeau national a une double signification. D’une part il fait de la religion une des composantes du ciment social qui est censé souder un peuple appartenant à un même Etat.Mais d’autre part, et ce-faisant ,il sous-entend une société par définition moins inclusive que celles qui n’arborent pas de symbole religieux sur leur drapeau national.

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