Pop, rock musiques et politique

Une taxe sur les plateformes de diffusion de musique, pour un circuit de diffusion plus vertueux

On l’a vu à la session d’automne du parlement, grâce à la lex Netflix, les autorités fédérales sont capables de s’immiscer quelque peu dans le marché libéral du contenu digital. Face à un fort lobbying du milieu audiovisuel, la loi a finalement passé la rampe, bien qu’elle soit encore fortement contestée par les adeptes de la « main invisible » en la matière.

Des discussions sont également menées au niveau de l’OCDE pour taxer les Gafa sur les recettes publicitaires et les abonnements que ces dernières génèrent sur les territoires. Pour l’instant, la participation de la Suisse est un peu timide alors qu’elle représente un territoire dans lequel une bonne partie de la population bénéficie d’un fort pouvoir d’achat et consomme beaucoup de contenus audio et visuels. A l’instar, le Canada, qu’on ne peut pas taxer de pays socialiste, adopte une posture beaucoup plus volontariste sur cette question. Un pays qui a compris l’enjeu de revoir les modèles de création de valeur des œuvres musicales ; «Le gouvernement s’est engagé à faire en sorte que les sociétés de tous les secteurs, y compris les sociétés numériques, paient leur juste part sur l’argent qu’elles gagnent en faisant affaire au Canada», peut-on lire dans le budget de la ministre des Finances Chrystia Freeland[1]

Et quid pour la musique ? Et si on se lançait dans la mise en place d’une « lex Spotify » ? [2]

Contrairement à ce que pense le Conseil fédéral en réponse à la question écrite du parlementaire M. Baptiste Hurni, il est temps urgemment de poser les bases d’un système plus vertueux qui générerait une plus-value pour l’ensemble de la filière musicale.[3]

Le contexte

Depuis le début du 21ème siècle, le marché de la musique mondial est chamboulé avec la prédominance du streaming et de la consommation de musique en ligne, ceux-ci dépassent la vente de supports physiques en 2015. Depuis, le marché du disque ne cesse de s’adapter à ces nouvelles données et ces nouveaux acteurs.

Février 2020, pandémie mondiale, crise sociale et politique ; le monde de la culture est quasiment à l’arrêt, les salles sont fermées, les tournées annulées, reste la possibilité de diffuser sa musique sur les agrégateurs, médias et réseaux sociaux. D’ailleurs Spotify ne souffre pas de la crise, au contraire, le nombre d’abonnements a augmenté sur de nombreux territoires, grâce au confinement. Les artistes, les autrices, auteurs, les créatrices et créateurs ainsi que les structures qui développent des artistes ne faisant pas partie de la top liste des artistes les plus écoutés ne bénéficient pas, malheureusement, des mêmes retombées.

Les plans promotionnels en ligne deviennent d’autant plus indispensables et les campagnes de promotion sur ces plateformes gagnent encore plus du terrain. En effet, pour un-e artiste suisse il est important de gagner de l’audience rapidement au-delà du territoire national, celui-ci étant trop exigu pour générer suffisamment de possibilités de revenus.

De l’argent public et des ressources des labels et des artistes investies sur ces plateformes, un circuit non vertueux qui ne ré injecte pas de richesses dans le marché local

Ces dernières années, les artistes et les structures travaillant à leur développement mènent régulièrement des campagnes digitales, notamment sur ces plateformes. Ils et elles investissent des sommes non négligeables, afin d’augmenter la visibilité de leurs oeuvres en ligne.

Jusque-là rien de plus choquant que ça. Les artistes ou leurs représentant-e-s ont toujours investi des moyens pour promouvoir des projets, financer des campagnes de promotion, investir dans du marketing, mandater des attaché-e-s de presse ou des agences de communication. Ces montants investis, qui peuvent être parfois de l’argent public octroyé pour qu’un-e artiste distribue son projet plus largement, se retrouvent sur le marché de la musique et reviennent à travers les impôts que les entreprises paient à leur état. Mais lorsque cette rétrocession n’est pas là, le mouvement ne va que dans un sens, alors que les moyens eux sont bien là.

La taxation des plateformes en raison de leur nombre d’abonnements et leurs recettes publicitaires permettrait de ré injecter des sommes dans l’économie de la création et de la production, afin de continuer à alimenter le système et développer des projets de qualité avec un peu plus de moyens financiers. 

 

Pour une chaîne de diffusion plus vertueuse

L’objectif de cette taxe qui viserait à prélever un pourcentage à définir entre 3 et 8% sur les recettes des abonnements générés en Suisse et sur les recettes de la publicité permettrait de redistribuer de l’argent à celles et ceux qui alimentent ces plateformes, aux artistes et aux labels qui les produisent et les diffusent. Toute la chaîne serait gagnante, la création serait favorisée, des produits de plus grande qualité pourrait se créer avec de réelles stratégies de diffusion et l’investissement sur les plateformes serait augmenter. De plus, Spotify, par exemple, pourrait justifier cette fois-ci de son soutien aux créatrices et créateurs par un engagement réel dans la création et la valorisation des productions artistiques.

La démarche attentiste du Conseil fédéral ne suffit pas, nous avons déjà pris près de 15 ans de retard, il s’agit aujourd’hui, non pas de remettre en cause l’existence de ces plateformes, mais de les intégrer réellement dans un circuit économique de la production et de la diffusion de musique. Les musiques actuelles demeurent un pan de la culture non soutenu par la Confédération, contrairement à d’autres secteurs. Nous avons à minima besoin des autorités fédérales pour nous appuyer dans nos négociations avec ces plateformes de diffusion en ligne.

Les artistes et les professionnel-les du secteur en ont besoin, en période de pandémie, plus que jamais.

 

[1] In Le journal de Québec- 19 avril 2021 « Taxe Gafa : Ottawa garde le cap pour janvier 2022 »

[2] avec ses 345 mio d’utilisateurs-trices dans le monde en 2020 (sur près de 80 territoires), dont 155 mio d’abonnements payants pour un chiffre d’affaires mondial de 7,9 milliards d’euros en hausse de 16% par rapport à l’année précédente. Chiffres tirés des Echos, du 3 février 2021, « Spotify affiche 345 millions d’utilisateurs dans le monde »

[3] Interpellation du 3 mars 2021 « Streaming musical et soutien aux créateurs de contenus. Mauvaise note pour la Suisse »

Image en titre flyer d’une manifestation de 2021 organisée par l’association “musician workers union justice at spotify” aux Etats Unis.

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