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Crise sanitaire et alimentation : quel sera l’impact du coronavirus sur la politique agricole ?

Nous étions sur le point d’aborder, à la commission de l’économie, la nouvelle politique agricole (PA22+), au moment où le coronavirus a bouleversé nos quotidiens. Il est difficile aujourd’hui de savoir quel impact la crise sanitaire aura sur nos vies à plus long terme, mais on peut imaginer déjà que certains domaines seront plus touchés que d’autres. Ce sera certainement le cas de l’alimentation.

Se rapprocher des producteurs et des produits locaux

Le brutal ralentissement de l’économie, ainsi que le confinement, mettent en effet en lumière l’importance vitale de certaines activités, outre celles qui sont directement liées aux soins des malades. La production de denrées alimentaires en fait partie. Le simple fait, pour ceux d‘entre nous qui travaillent à domicile, de devoir cuisiner plusieurs fois par jour, est un changement important dans notre rapport à la nourriture et aux produits. On a pu constater une hausse des ventes d’œufs, de farine et de levure, alors que beaucoup de ménages commençaient à faire leur pain ou des pâtisseries maison. Après la fermeture des marchés, les consommateurs se sont en outre rabattus nombreux sur la vente directe à la ferme, se rapprochant ainsi des producteurs.

De manière générale, la crise sanitaire a remis en valeur l’économie et la production locales, ainsi que la nécessité de garder la mainmise sur notre approvisionnement, en particulier pour les biens de première nécessité. Les denrées alimentaires en font évidemment partie.

L’attention portée à la sécurité de notre approvisionnement, ainsi qu’à notre degré d’autonomie par rapport à l’étranger, devraient dès lors être renforcée dans les discussions sur la politique agricole. L’Union suisse des paysans s’est déjà exprimée à ce propos en critiquant la PA22+. L’idée d’une intensification de l’agriculture, afin de renforcer la productivité dans nos frontières, a dans ce contexte le vent en poupe.

Réduire le gaspillage et assurer le rendement agricole sur le long terme

Faut-il pour autant renoncer à une agriculture écologique ? Je ne le crois pas. Il y a d’autres moyens, plus durables, pour maintenir notre taux d’approvisionnement et notre autonomie, que l’intensification de la production au détriment de l’environnement. Celle-ci n’est qu’un leurre, puisqu’elle remet en cause les bases même de la productivité agricole, en portant atteinte au climat et à la fertilité des sols, et en polluant nos eaux.

Commençons par agir d’abord sur ce que nous consommons : ce sont deux tiers seulement de notre production ! Un tiers des aliments finit à la poubelle. Avant de prendre le risque d’épuiser nos sols, de souiller nos eaux et de dérégler notre climat avec des pratiques intensives, accordons un minimum de valeur à ce que nous produisons, et cessons de gaspiller le fruit de nos terres et du travail agricole. Cela nous offrirait déjà une belle marge de manœuvre, tout en ménageant la nature et notre porte-monnaie.

Favorisons ensuite les pratiques qui entretiennent les ressources naturelles et qui assurent le rendement de notre agriculture sur le long terme. L’agriculture biologique est déjà bien établie en Suisse et dispose d’un vaste potentiel de développement. L’agro-écologie et la permaculture peuvent aussi être très productives et ne sont d’ailleurs pas le seul visage de l’innovation agricole. Les agro-tech peuvent nous aider à concilier respect des ressources et haut niveau de productivité, à l’image de l’aéroponie, qui permet de produire à haut rendement là où les sols sont de piètre qualité, ou encore de l’utilisation, à la place de la chimie, de la robotique pour lutter contre les mauvaises herbes, ou des insectes auxiliaires pour chasser les nuisibles. Enfin, nous devons mieux protéger nos terres agricoles face à la pression de l’immobilier et des infrastructures. Sans terres à cultiver, il n’y a pas d’agriculture.

Repenser notre autonomie, en misant sur les ressources de nos régions

Nous devons aussi réfléchir à ce que signifie vraiment « plus d’autonomie » dans le domaine agricole. Les méthodes de production intensives ne nous donnent qu’une illusion de productivité, en remettant cette dernière en cause sur le long terme, mais aussi d’autonomie. En effet, elles nécessitent de nombreux intrants, pesticides, engrais minéraux et fourrage concentré, qui sont pour la plupart importés. L’élevage suisse, en particulier de volaille et de porcs, repose sur l’importation de quantités importantes de nourriture pour engraisser les animaux.

Si nous voulons renforcer notre autonomie par rapport aux importations, nous devons donc commencer par adapter notre agriculture – ainsi que notre consommation, cela va sans dire – à ce que peuvent fournir les ressources naturelles de nos régions. De la viande produite en Suisse sur la base de nourriture concentrée importée ne devrait pas être considérée comme étant à 100 % locale. Et, évidemment, le fait d’en produire en plus grande quantité de cette manière ne renforcerait pas vraiment notre autonomie. En agriculture biologique, on cherche au contraire à adapter l’élevage aux capacités de production locales. C’est plus réaliste à tout point de vue. Avec ses vastes surfaces de pâturages, la Suisse a une carte à jouer en la matière, même en respectant les limites de ce que nos régions peuvent offrir.

Considérer également les importations, les intermédiaires et les consommateurs

Dès lors, si nous voulons assurer sur le long terme la sécurité de notre approvisionnement, ainsi que notre autonomie, mieux vaut réduire le gaspillage actuel et miser sur une agriculture durable et innovante, basée sur nos ressources locales, qui préserve leur productivité aujourd’hui comme demain. Évidemment, nous ne pourrons ni avec une telle approche, ni avec une agriculture plus intensive, prétendre à un complet auto-approvisionnement. Mais nous pouvons, nous devons au moins maintenir le taux actuel.

Nous sommes un pays montagneux et densément peuplé, dont seule une petite partie du territoire est cultivable. Nous continuerons, dans tous les cas, à dépendre en partie des importations. Nous devrions considérer également, à l’avenir, leur impact écologique et social, afin de réduire la pression qu’elles effectuent sur nos propres agriculteurs, mais aussi de protéger les ressources et les familles paysannes au-delà de nos frontières.

Enfin, il n’y a pas de politique agricole durable si nous ne tenons pas compte de l’ensemble de la chaîne de valeur agro-alimentaire, jusqu’à la consommation. Les agriculteurs ne fonctionnent pas tout seuls, ils ne peuvent pas être tenus comme les responsables uniques de notre approvisionnement. Ils cultivent et produisent ce que les intermédiaires décident de transformer et de vendre, et ce que nous décidons d’acheter. Les intermédiaires et les consommateurs, dès lors, doivent faire aussi leur part, en luttant contre le gaspillage et en privilégiant les produits locaux et durables.

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