Le risque systémique, où on ne l’attend pas

Depuis le double traumatisme de la faillite de Lehman Brothers et de la crise grecque, c’est l’obsession d’un monde qui tente encore de panser ses plaies: d’où viendra la prochaine crise? Et avec la même obsession, le monde tente d’éliminer les risques systémiques qu’il identifie dans l’excès de crédit, de complexité des instruments financiers et d’opacité financière.

Et si le nouveau risque systémique ne se cachait pas au même endroit que lors des dernières crises? Et s’il se terrait plutôt dans la concentration des richesses et des pouvoirs économiques et financiers? Et si la prochaine explosion n’allait-elle pas survenir au coeur du noeud des relations entre grands responsables de banques géantes, de fonds institutionnels gigantesques, d’investisseurs tentaculaires, de banquiers centraux et de très hauts dirigeants politiques?

C’est la thèse que défend brillamment Sandra Navidi dans un essai aussi brillant que glaçant, “$uperhubs, How the financial elite & their networks rule our world” (Nicholas Brealey, Londres et Boston, 2017).“La stabilité financière a été analysée avant tout sur la base des interconnexions institutionnelles plutôt qu’au niveau des individus. Pourtant, ce sont des êtres humains, et non des entités abstraites, qui prennent les décisions au nom de leurs institutions et impactent, au final, le système”, écrit-elle en conclusion de son livre.

Avocate internationale, ancienne banquière d’investissement, ancienne collaboratrice de l’économiste Nouriel Roubini, manifestement proche de George Soros, habituée des grands raouts tels que Davos, l’auteur témoigne de ce qu’elle connaît et voit sur une base régulière: les mêmes personnes, situées au sommet de la hiérarchie sociale, se partageant les réflexions et les informations en vase restreint (à défaut d’être clos) et profitant ainsi de l’avantage d’être systématiquement en avance sur leurs concurrents.

L’une des conséquences, identifiée par l’auteur, est connue: c’est la montée des colères et frustrations populaires s’exprimant toujours plus brutalement dans les scrutins, comme le Brexit, l’élection de Donald Trump, les résultats électoraux inquiétants de Geert Wilders aux Pays-Bas et de Marine Le Pen en France. Mais le succès des partis modérés à La Haye comme l’élection de Macron à l’Elysée semblent, pour un moment, écarter l’imminence d’une révolte populaire.

En revanche, la déconcentration des processus de prise d’information et de réflexion ne semble pas du tout à l’ordre du jour. Davos est certes davantage une caisse de résonance d’une réflexion à un moment donné; Bilderberg est certes plus concentré et ne prend pas de décisions; mais ces deux rassemblements, comme la myriade d’autres du même niveau (on pourrait par exemple mentionner Jackson Hole, rendez-vous annuel des principaux banquiers centraux ) perpétuent ce système de réflexion en circuit fermé.

Un appel d’air s’impose, par conséquent. Non pas pour permettre au “peuple” de dire son fait aux “élite”, ça non! Mais pour autoriser une plus vaste diversité des opinions, des analyses, et une meilleure circulation de l’information. Afin de retarder la prochaine crise systémique. Voire, rêvons, de l’éviter.

 

 

Post-scriptum: Pourquoi ce livre n’est-il pas publié en français? Paru initialement en allemand sous le titre “Wie die Finanzwelte und Ihre Netzwerke die Welt regieren” et rapidement traduit en anglais, l’ouvrage semble s’adresser tout particulièrement au lectorat francophone. Manque de curiosité ou de courage de la part des éditeurs?

France: Un(e) président(e) sans dents?

Le résultat du premier tour de l’élection présidentielle française a débouché sur une claire alternative: Marine Le Pen et ses promesses de fermetures des frontières, de l’économie, lesquels déboucheront sur un appauvrissement catastrophique de son pays et du continent tout entier, ou Emmanuel Macron, qui promet tout le contraire.

Mais aussi puissant que soit un président français sous la Cinquième république, il ne peut pas voter les lois ni les budgets et son gouvernement peut être mis dans l’impossibilité de gouverner s’il n’obtient pas une majorité parlementaire. François Hollande, le président sortant, en a fait l’expérience il y a juste une année en échouant de faire admettre à ses amis politiques son idée de déchéance de nationalité.

Or ni Marine Le Pen ni Emmanuel Macron ne disposent d’assises assez fortes pour emporter la majorité dans les deux Chambres (Assemblée et Sénat). Le parti de la première, le Front national, n’y a jamais compté que quelques députés tout au plus. Quant au second, il ne peut s’appuyer que sur En Marche, un mouvement (même pas un parti) qui ne compte que quelques mois d’existence et n’a aucune expérience d’une élection parlementaire. On peut, en outre, penser que les deux grands partis traditionnels (PS et Républicains) vont tout mettre en oeuvre pour conserver leurs positions dans chacune des circonscriptions électorales, surtout après l’échec humiliant de leurs candidats à la présidentielle, Benoît Hamon et François Fillon,

Le(la) futur(e) président(e) risque de se trouver fort démuni face à une Assemblée nationale qui marchandera le moindre de ses projets. La France retombera ainsi dans le parlementarisme, synonyme, dans ce pays, de non-décision voire de chaos. La Suisse et l’Europe y auraient tout à perdre.

A moins que les électeurs, cohérents, ne fassent subir à leur classe politique ce que les Italiens ont infligé à la leur il y a 23 ans, et que les Espagnols ont failli imposer à la leur il y a trois ans: un effondrement des partis traditionnels et l’émergence réelle du Front national comme important parti de gouvernement. Ou, nettement plus souhaitable pour tout le monde, que le mouvement En marche sache s’organiser à l’échelle de tout le pays et obtienne assez de députés pour imposer ses vues. Pour la France, ce serait historique, comme ce le fut en Italie. Et pour l’Europe, un immense bénéfice, une voie à suivre pour accompagner la reprise économique qui se fait jour.