France: Un(e) président(e) sans dents?

Le résultat du premier tour de l’élection présidentielle française a débouché sur une claire alternative: Marine Le Pen et ses promesses de fermetures des frontières, de l’économie, lesquels déboucheront sur un appauvrissement catastrophique de son pays et du continent tout entier, ou Emmanuel Macron, qui promet tout le contraire.

Mais aussi puissant que soit un président français sous la Cinquième république, il ne peut pas voter les lois ni les budgets et son gouvernement peut être mis dans l’impossibilité de gouverner s’il n’obtient pas une majorité parlementaire. François Hollande, le président sortant, en a fait l’expérience il y a juste une année en échouant de faire admettre à ses amis politiques son idée de déchéance de nationalité.

Or ni Marine Le Pen ni Emmanuel Macron ne disposent d’assises assez fortes pour emporter la majorité dans les deux Chambres (Assemblée et Sénat). Le parti de la première, le Front national, n’y a jamais compté que quelques députés tout au plus. Quant au second, il ne peut s’appuyer que sur En Marche, un mouvement (même pas un parti) qui ne compte que quelques mois d’existence et n’a aucune expérience d’une élection parlementaire. On peut, en outre, penser que les deux grands partis traditionnels (PS et Républicains) vont tout mettre en oeuvre pour conserver leurs positions dans chacune des circonscriptions électorales, surtout après l’échec humiliant de leurs candidats à la présidentielle, Benoît Hamon et François Fillon,

Le(la) futur(e) président(e) risque de se trouver fort démuni face à une Assemblée nationale qui marchandera le moindre de ses projets. La France retombera ainsi dans le parlementarisme, synonyme, dans ce pays, de non-décision voire de chaos. La Suisse et l’Europe y auraient tout à perdre.

A moins que les électeurs, cohérents, ne fassent subir à leur classe politique ce que les Italiens ont infligé à la leur il y a 23 ans, et que les Espagnols ont failli imposer à la leur il y a trois ans: un effondrement des partis traditionnels et l’émergence réelle du Front national comme important parti de gouvernement. Ou, nettement plus souhaitable pour tout le monde, que le mouvement En marche sache s’organiser à l’échelle de tout le pays et obtienne assez de députés pour imposer ses vues. Pour la France, ce serait historique, comme ce le fut en Italie. Et pour l’Europe, un immense bénéfice, une voie à suivre pour accompagner la reprise économique qui se fait jour.

Finance verte, virage raté

Un beau jour, la verdure a fini par atteindre les rivages de la finance, longtemps après avoir abordé ceux de la société civile, du monde politique et celui de l’industrie. Et progressivement, les financiers s’y sont intéressés. Parce qu’ils ont graduellement pris conscience, comme les autres avant eux, du caractère limité des ressources naturelles de la planète, bien sûr. Mais surtout parce qu’ils ont découvert qu’il y avait des profits à réaliser, comme il y a des profits à réaliser dans le financement du pétrole et du gaz ou dans l’industrie automobile.

Progressivement, les marchés financiers ont vu apparaître de nouvelles gammes de produits: des fonds investis dans des activités durables comme les énergies renouvelables ou la production d’eau potable, voire dans des activités encore plus exotiques comme le financement des programmes de développement dans des pays émergents ou même des parcs naturels. Et, surtout, une approche beaucoup plus critique concernant les entreprises qui n’adhèrent pas à une approche responsable envers la durabilité, l’environnement et les critères de bonne gouvernance.

Mais les banques suisses ne paraissent pas en avoir pris réellement conscience. Ou à peine. Quelques établissements ont lancé quelques fonds. Puis, l’an dernier, Swissbanking, l’association faîtière des banques suisses, a inscrit la finance verte parmi les objectifs de la place financière, laquelle est en manque de nouvelles impulsions depuis la fin du secret bancaire.

Hélas, seule Pictet s’affiche parmi les dix plus gros gérants européens de “fonds verts”, devant une gamme de grands gérants allemands (Deutsche AM, Ökoworld), britanniques (Jupiter, Pioneer, Blackrock), français (BNP Paribas) et néerlandais (Triodos, ASN Bank), selon un classement établi par Novethic. Quelle misère, lorsque l’on pense à la responsabilité vis-à-vis du futur de la planète, ou plus prosaïquement, des opportunités d’affaires croissantes!

Les investisseurs se convertissent de plus en plus nombreux aux placements “verts”, que ce soit par conviction ou opportunisme. Les encours des fonds “verts” ont progressé de 47% en Europe ces trois dernières années! En Suisse, la progression des fonds a été moins spectaculaire. Mais lorsque l’on y ajoute les mandats discrétionnaires et les produits structurés, qui constituent une part essentielle des portefeuilles des individus fortunés, le volume a bondi de 169% en 2015 par rapport à l’année précédente, selon les derniers chiffres disponibles établis par le Forum Nachhaltige Geldanlagen.

De toute évidence, les responsables de l’investissement dans les banques suisses ne croient toujours pas au potentiel. Ils ne comprennent pas ce qui fait la spécificité de cette forme d’investissement émergente. et parfois même, ils croient, à tort, que les placements verts sont moins performants que les autres!Entièrement consacrées à leur adaptation au monde de transparence et aux fintechs du nouveau monde d’après-crise, les banques suisses oublient de voir qu’autour d’elles le monde de l’investissement évolue aussi. Et que les places sont à prendre maintenant. Que ce soit par le lancement  de produits. Ou par l’acquisition d’établissements étrangers qui se sont déjà faites une place.

Dans deux ans, des hypothèques plus chères

Avec des taux d’intérêt hypothécaires compris entre 1 et 2% depuis quatre ou cinq ns, on a fini par avoir le sentiment que l’argent presque gratuit, c’est pour toujours. Erreur, Herr Kommissar, cette douce période – pour ceux qui ont pu acheter la villa ou l’appartement de leurs rêves grâce à un endettement massif – tire progressivement à sa fin.

Inutile de chercher à lire l’avenir dans les arcanes langagières de la BNS car celles-ci peuvent changer d’un jour à l’autre, ni traquer les micro-modifications du marché de la dette privée, car elles ne livrent que peu de variations au jour le jour. La ligne, comme de coutume, est donnée par les Etats-Unis. Ne sont-ils pas toujours la première économie au monde, aussi bien par la masse (18’000 milliards de dollars de PIB contre 11600 pour la zone euro) que par le dynamisme économique (+1,9% de croissance contre 1,7%)? La Fed, la banque centrale américaine, s’est clairement engagée dans un cycle de hausse des taux, ce qu’elle a confirmé lors de sa réunion du 15 mars. Désormais, les taux courts sont déjà à 1% et devraient atteindre 1,5% à la fin de cette année.

Depuis la chute de Lehman Brothers en 2008, la Fed a systématiquement pris l’initiative des réponses à donner à la crise financière: chute brutale des taux, injections de liquidités ultra-expansives, puis “tapering” progressif et, enfin, reprise de la hausse des taux dès la fin 2015. La BCE, entravée par les divisions européennes, n’a fait que suivre avec un décalage de deux ans. La BNS s’est, pour sa part, cantonnée dans une stratégie de survie de l’économie suisse en choisissant les moins mauvais des maux, l’explosion de son bilan et le plongeon dans les taux négatifs.

Aux Etats-Unis, il ne fait aucun doute aujourd’hui que le cycle est en plein boom: l’inflation a bondit à 2,7%! Mais la zone euro s’en approche bien plus vite que ce que l’on croyait voici quelques mois encore: l’économie est en croissance dans la plupart des grands pays – même en France, qui se croit toujours en crise – et l’inflation atteint 2%, à la grande inquiétude des Allemands et pour la plus grande joie des autres. La BCE, qui s’est engagée à son tour dans une réduction progressive de ses injections de liquidités, pourrait hausser les siens dès 2018, estiment la majorité des économistes. La Suisse n’attend que cela pour mettre fin aux taux négatifs et revenir à une situation normale, ce qui renchérira le coût de l’endettement. Et donc des hypothèques.

Minute, là, et ces gigantesques masses de liquidité qui noient les trésoreries des entreprises et pèsent sur le marché de la dette, ne vont-elles pas empêcher tout décollage? Certains le pensent, confortés par le relatif immobilisme des taux longs américains: 2,4% pour les emprunts à dix ans en dollars, pratiquement inchangé depuis cinq ans. En zone euro, c’est bien pire, les taux longs ne cessent de baisser depuis 2008 et affichent 0,4%. Ils semblent se redresser depuis quelques mois. Mais ce n’est pas la première fois qu’un tel rebond fait mine de vouloir inverser la tendance.

Le “savings glut”, comme les économistes appellent cet excès de liquidités et d’épargne, pourrait néanmoins se réduire sous l’effet de l’accélération de l’économie, qui appelle les investissements, de la reprise de l’inflation, qui écorne l’épargne, et de l’action des banques centrales, si elles parviennent à agir (plus ou moins) de concert. Sous l’effet de cette double pression, le loyer de l’argent va se renchérir. En Suisse aussi, du fait que le pays et son économie ne sont pas immunisés face aux mouvements de l’économie mondiale.

Ce beau scénario, allègrement optimiste, ne peut cependant se réaliser que si:

  • Donald Trump ne lance pas de missile nucléaire sur la Corée du Nord;
  • Donald Trump ne ruine pas la crédibilité de la Fed en remplaçant sa gouverneur Janet Yellen par un candidat peu crédible;
  • Marine Le Pen n’est pas élue ou, à tout le moins, ne retire pas la France de la zone euro;
  • Les Européens adhèrent sérieusement à leur “Déclaration de Rome”, pérennisant l’UE.

Ce qui fait déjà une bonne proportion d’inconnues. Mais si ces risques se matérialisent, les taux des hypothèques pourraient bien rester où ils en sont aujourd’hui. Voire descendre encore!

 

Combat à mort pour marché en recul

Que des entrepreneurs privés cherchent à s’emparer d’une prérogative lucrative de l’Etat, rien de plus normal. C’est la tentative, engagée depuis de très nombreuses années, d’entrepreneurs des médias électroniques, surtout alémaniques, essentiellement zurichois, pour s’emparer de morceaux du marché publicitaire télévisuel occupé majoritairement par la SSR et ses nombreuses chaînes de télévision et de radio.

Leur combat s’explique par un simple chiffre: 749 millions de francs. C’est à dire le chiffre d’affaires total de la publicité diffusée sur les postes de télévision dans les trois régions linguistiques du pays, selon la Fondation statistique suisse en publicité. Pour une grosse PME comme Goldbach Media (495,5 millions de francs de chiffre d’affaires, 29,5 millions de résultat avant impôts et intérêts, 351 employés en 2015), qui commercialisent notamment les annonces suisses sur des chaînes de TV étrangères et une multitude de sites internet, c’est évidemment un potentiel de croissance intéressant.

Mais leur jeu en vaut-il la chandelle? Le marché publicitaire suisse est en baisse depuis de nombreuses années. La télévision se défend certes mieux que la presse écrite – où la chute est brutale – en parvenant à maintenir le niveau général du chiffre d’affaires. Mais combien de temps le petit écran résistera-t-il encore à la tornade qui emporte les journaux et leurs recettes publicitaires? Nul ne le sait. Mais la bonne vieille pub à la TV va bientôt apparaître aussi obsolète que l’antique annonce pleine page quadrichromie qui a fait le bonheur des éditeurs de presse écrite pendant de longues années.

Les entrepreneurs privés en sont sans aucun doute très conscients. Et s’ils cherchent à croître en s’attaquant au monopole public, c’est d’abord pour assurer leur survie. Affaiblir la SSR, c’est pouvoir s’emparer d’une partie (sinon la totalité) de ses recettes. Celles-ci leur permettront de se prémunir, à leur tour, contre les évolutions futures du marché de la publicité électronique. Leur erreur, probablement, est de s’attaquer à un marché stagnant, sinon à la veille de s’effondrer.

La victime collatérale est évidemment le large accès à la richesse informative et culturelle du service public, radiodiffusé et télévisuel. Sans parler, évidemment, de ces notions tant rebattues de cohésion nationale, de diversité de l’information, etc. etc.

Le combat de Goldbach Media et des autres éditeurs ne vaut pas ce sacrifice.

Prévoyance 2020: Entreprises contre contribuables

Des deux modèles de réforme de la prévoyance 2020 en concurrence aux Chambres fédérales, l’on a coutume de dire qu’il en est un émanant du Conseil des Etats et l’autre défendu par la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national, soutenu par ce dernier. Le premier est le plus proche du projet présenté, après des années de négociations, par le conseiller fédéral Alain Berset, le second est défendu par la majorité UDC-PLR de la Chambre basse. En cas de désaccord, mi-mars, entre les deux chambres, c’est la situation actuelle qui prévaudra, amenant mécaniquement une baisse des prestations sous la pression conjuguée de l’allongement de la durée de vie et de l’érosion des rendements des placements.
Mais il y a une autre manière de voir cet affrontement; celui des représentants des entreprises contre ceux des contribuables. Les premiers sont forts au Conseil national. Les seconds prévalent aux Etats.
Le projet du National repose notamment sur un allongement de la durée du temps de travail et une progression des bonifications (prélèvements paritaires sur les salaires). Et s’oppose, comme cela est constamment rappelé, à une élévation de 70 francs mensuels de la rente AVS.
Par conséquent, il favorise, sur le marché de l’emploi, les travailleurs jeunes au détriment des travailleurs âgés. Ces derniers restent au chômage plus longtemps, voire doivent recourir à l’aide sociale lorsqu’ils ne peuvent pas trouver de solution satisfaisante comme travailleurs indépendants. Les coûts de financement paritaire du 2e pilier sont donc maintenus sous contrôle, pour le bien des trésoreries des entreprises, qui financent au moins à parité les cotisations de leurs employés. Mais la charge est reportée sur l’Etat, et donc les contribuables.
Le projet des Etats, au contraire, repose notamment sur des prélèvements accrus sur les salaires pour financer les prestations du 2e pilier, par deux moyens: l’aplatissement de la courbe des bonifications d’une part, et par augmentation plus forte des prélèvements paritaires pour financer, sur la longue durée, la hausse des prestations de l’AVS d’autre part. Elle rééquilibre les chances des différentes classes d’âge sur le marché de l’emploi et contribue ainsi à une réduction du chômage de longue durée des travailleurs seniors. Au prix d’une élévation des charges sociales sur les salariés et les entreprises. Mais au moins l’aide sociale est-elle moins sollicitée, au bénéfice des finances publiques.
Pour résumer, le durcissement des Chambres amène à la situation absurde où les entreprises sont amenées à s’affronter aux contribuables… dont elles font aussi partie. Une situation hautement malsaine au moment de répondre, pour de nombreuses années, un défi majeur pour la stabilité sociale de la Suisse.

Le petit pays qui croit à sa presse

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Au centre de Helsinki, entre la gare centrale et le Parlement, se dresse un récent immeuble design de verre abritant une institution que les Finlandais ont appris à respecter : le Helsingin Sanomat, la Gazette de Helsinki. Ce nom désigne le principal quotidien de la capitale finlandaise, qui fait autorité dans tout ce pays nordique.

Lorsque l'on y est accueilli, l'impression qui se dégage est celle du sérieux, du respect de l'institution et des personnes qui y travaillent. L'accueil est formel, sérieux, les procédures de sécurité effectives. Une fois ces obstacles franchis, le visiteur est dirigé vers l'une des salles de réunion du sous-sol faites de bois clair, de mobilier design, de moquette épaisse et de discrétion. Si le rendez-vous est fixé à midi, il s'accompagne d'un repas, servi par les cuisines du journal. En Suisse, on ne trouve tel accueil guère que dans les banques et les sièges de grandes sociétés, mais en tout cas pas dans les médias.

Le Helsingin Sanomat emploie près de 400 journalistes, photographes, monteurs, ce qui, pour un pays de quelque cinq millions d'habitants, représente une force de frappe conséquente. C'est comme si la Suisse romande, forte de ses deux millions d'habitants, était capable de nourrir un journal de référence fort de 160 personnes !

Or, comme on le sait, la rédaction commune du Temps et de L'Hebdo a été jugée trop bien dotée par son éditeur, alors qu'elle n'employait que 112 personnes pour produire un quotidien et un magazine, tous deux référentiels. Le résultat est connu : L'Hebdo est mort, Le Temps est menacé, 36 personnes ont été mises à la porte.

Pourquoi la Finlande parvient-elle à maintenir son patrimoine de presse écrite alors que la Suisse romande échoue à faire de même ? La question est d'autant plus pertinente que les deux pays ne sont pas si différents : minoritaires, entourés – ou bordé, dans le cas finlandais – de grands ensembles, ils doivent se battre pour affirmer leur existence et leur originalité. Dans le cas finlandais, la défense culturelle est une évidence depuis l'éveil du XIXe siècle qui a vu émerger une littérature originale en langue finnoise en opposition aux puissances colonisatrices suédoise, puis russe. C'est dans cet esprit que le Helsingin Sanomat a vu le jour.

La Suisse romande aussi doit se battre pour faire valoir sa personnalité et son originalité aussi bien face à la majorité alémanique que par rapport à la France. Mais elle ne semble pas vraiment en avoir pris conscience. Sinon, pourquoi laisserait-on mourir deux de ses principaux journaux ?

Il est vrai que la Suisse romande n'a pas toujours ressenti ce besoin. Les écrits intelligents sont fournis par la France ou la Belgique à bien moindre coût que s'ils sont faits à domicile. Quant au reste, Berne pourvoira. Pendant des siècles, ce pays était surtout le fait de paysans, d'horlogers, d'agents immobiliers et de mini-oligarchies urbaines cantonales qui ne voyaient pas vraiment le besoin de développer des références culturelles communes. Ce besoin n'est, somme toute, que récent, avec le réveil culturel du dernier tiers du XXe siècle qui a vu la multiplication des théâtres et des festivals. Il n'a donc pas encore eu le temps de pénétrer suffisamment les esprits pour faire éclater son évidence.

Dommage ! La Suisse romande, qui a su si bien rattraper son retard économique, technologique et culturel ces trente dernières années avec le développement des ses universités, de l'EPFL, de grandes entreprises ouvertes sur le monde et de son exceptionnelle densité de théâtres, de cinémas et d'événements en tous genres, va faire un immense pas en arrière. Un peu comme si l'on décidait de fermer l'EPFL, la jugeant insuffisamment rentable. Il y a eu un précédent récent : la fermeture de Merck Serono. Les dégâts ont été considérables.

Sans presse de qualité, sans véhicule sérieux, crédible et respecté, l'information ne circule plus qu'imparfaitement, le débat ne parvient plus à se former. Puisque les éditeurs commerciaux n'y croient plus – c'est leur droit – qu'attend-on pour mobiliser les moyens d'une renaissance ? Parce que ce que la Finlande réussit, la Suisse romande peut le réaliser aussi.

Tous derniers râles de secret financier

Il est furieux, Bob Richards, le Premier ministre des Bermudes. Si les intérêts de son île, territoire britannique d'Outre-mer, sont menacés, il "n'hésitera pas à réclamer l'indépendance". L'an dernier, il brandissait cette menace à la lumière du Brexit. Désormais, c'est la fin promise par Londres du secret bancaire et financier de son pays qui le mettent au pied du mur.

Depuis des années, le gouvernement britannique – sous pression de l'OCDE, du G20, des Etats-Unis (eux mêmes pas sans reproches!) et de l'UE – cherche à imposer une transparence nouvelle à ses multiples territoires ultramarins. Le projet qui fait consensus est l'imposition à chacune de ces juridictions (les Bermudes bien sûr, mais aussi les Îles Vierges, les Îles Caïman et d'autres lieux enchanteurs) la création d'un registre des sociétés dans lesquels seraient consignées les identités des détenteurs de sociétés offshore. En clair, imposer par la loi ce que les Panama Papers ont partiellement dévoilé grâce à une gigantesque indiscrétion.

Evidemment, les gouvernements des territoires concernés s'y opposent, arguant du fait que le Royaume-Uni est lui-même un "paradis fiscal" avec une concentration de millionnaires due "au climat fiscal", ainsi que l'a clamé Bob Richards. Un argument pas faux, connaissant le régime des "résidents non-domiciliés" en vigueur dans le pays. Un régime en déclin, du reste, qui verra l'introduction de nouvelles limitations.

Mais imaginons un instant que Bob Richards obtienne l'indépendance de son pays. Il pourra maintenir ses précieux secrets… le temps que les autres pays réagissent et lui imposent la batterie de sanctions prévue par le Forum sur la transparence et l'échange de renseignements. Un organe que la Suisse a appris à respecter ces dernières années, pour éviter de retomber dans les listes grises ou noires.

Moralité: les défenseurs du mythique secret bancaire, qui n'ont pas encore désarmé en Suisse, vont se retrouver de plus en plus seuls. Les partisans de l'initiative Matter, qui cultive l'illusion de pouvoir encore bétonner le secret bancaire dans la Constitution fédérale et qui sont même parvenus à emporter l'adhésion des Chambres (!) pourront toujours convier Bob Richards à une fondue à déguster sur le Grutli. Qu'ils gagnent ou qu'ils perdent en votation populaire. Car cela ne changera strictement rien.

La BNS et Donald Trump

Inébranlable, la Banque nationale le martèle à chaque occasion: Sa politique faite d'interventions massives sur les marchés des changes et de taux d'intérêts négatifs (-0,75%) est là pour durer le temps qu'il faudra, notamment tant que l'euro reste faible. Il se pourrait, cependant, que cette détermination doive se soumettre à une réalité nouvelle.

Celle-ci s'appelle Donald Trump. Le président américain, tout à sa politique "America first", ne cesse de tonner contre les pays manipulateurs de taux de change. La Chine est évidemment la première visée, mais d'autres pays risquent d'être concernés à leur tour, dont la Suisse. Celle-ci remplit déjà deux des trois critères retenus par le locataire de la Maison-Blanche: des interventions sur les marchés des changes dépassant 2% du PIB celles de la BNS atteignent 9%), un déséquilibre de la balance des paiements supérieur à 3% (la Suisse encaisse 10% de fonds de plus des Etats-Unis que l'inverse) et un déficit commercial d'au moins 20 milliards de dollars (La Suisse en est à 13 milliard, en progression rapide), selon une analyse de la Deutsche Bank relayée par le site Alphaville.

Afin d'éviter d'être visée par une rafale de tweets agressifs de la part du locataire de la Maison-Blanche et de subir le désagrément de mesures de rétorsions désagréables comme l'instauration d'une "border tax" de 20% anéantissant la compétitivité de ses exportations, la Suisse ne peut qu'agir sur les critères imposés par l'administration Trump. Et le plus évident, c'est le ralentissement, voire la fin des interventions sur les marchés des changes destinées à freiner la hausse du franc par rapport à l'euro.

La seule solution qui resterait à la BNS serait d'abaisser encore ses taux d'intérêt pour renchérir encore la détention de francs par rapport à l'euro et/ou au dollar. Avec les conséquences que l'on imagine sur la santé de la prévoyance professionnelle, des banques, et de l'économie dans son ensemble. L'avenir est lourd de menaces.

Franc suisse, le prix de l’impuissance

Il y a une chose qui ne fait pas rire Johann Schneider-Ammann, le chef du Département fédéral de l'économie: c'est la valeur du franc par rapport à d'autres monnaies. Le conseillef fédéral le juge encore "trop élevé". Tout comme Thomas Jordan, président de la Banque nationale, qui répète, intervention publique après intervention publique, que "le franc est surévalué". Et comme l'ensemble de l'économie et de la classe politique suisse.

Il y a deux ans, la suppression du cours plancher et l'instauration des taux d'intérêt négatifs par la Banque nationale avait fait brutalement prendre conscience aux Suisses des limites du pouvoir de protection face à la fureuru du monde que pouvait assurer leurs autorités. Le Conseil fédéral ne pouvait que regretter la décision de la BNS qui, de son côté, soulignait l'énormité des risques qu'elle faisait prendre à l'économie suisse dans son ensemble si elle persistait dans le maintien d'un cours forcé. C'était une dure leçon d'économie réelle et de brutalité du monde qui était administrée à la Suisse.

En apparence, la situation ne semble guère avoir évolué depuis lors, entre un franc toujours "surévalué" et des taux toujours négatifs. En réalité, la situation est en voie de normalisation. L'écart entre le cours réel du franc face à l'euro et son cours d'équilibre théorique s'est resserré. Il était d'une bonne dizaine de centimes (plus de 1,30 francs) lorsque la BNS dépensait des milliards pour le maintenir à 1,20 francs. Il n'est plus, actuellement, qu'aux alentours de 1,10 à 1,15 alors que le cours réel est de 1,07. Pourquoi? en raison de la (faible) différence d'inflation entre la Suisse et la zone euro, et de la hausse structurelle du franc du fait que la Suisse reçoit davantage de revenus de ses placements à l'étranger qu'elle n'en investit. De plus, l'économie revient à un taux de croissance proche du potentiel à long terme (environ 2%), un rythme de croissance qui pourrait être atteint en 2017 ou 2018; les entreprises se sont remises à embaucher et le chômage baisse.

Mais les coûts ne sont pas encore réglés. Outre la baisse de rentabilité des entreprises (les exportateurs de machines et les banques ont été très bruyants pour déplorer la dureté des temps), deux secteurs d'activités en ressortent sinistrés, le commerce de détail et le tourisme. Et plus grave, le système de prévoyance dans son entier a été déséquilibré par l'instauration des taux négatifs, contraignant les institutions à réduire leurs promesses de rentes à une génération entière de futurs retraités. Qui devront donc réduire le train de vie qu'ils ont prévu de mener dès la retraite, et recourront peut-être plus facilement aux aides publiques comme les prestations complémentaires, payées par le contribuable.

Il faudra encore de très longues années pour que soit payé le prix de l'indépendance monétaire que la Suisse défend avec tant d'opiniâtreté.

 

Secret bancaire, le mythe du Parlement

D'ordinaire, les Chambres fédérales recommandent le rejet des initiatives populaires. Assez curieusement, le Conseil national a rompu avec cette habitude le 15 décembre pour donner son appui au texte de l'initiative "pour le maintien de la sphère privée", qui veut ancrer le secret bancaire dans la Constitution.

Tout le monde le sait, cette démarche va à l'envers de l'Histoire puisque la Suisse conclut à marche forcée des dizaines d'accords permettant l'échange automatique d'informations avec des pays aussi divers que l'Argentine, le Canada et l'Inde. Elle est même nuisible à la Suisse puisqu'elle complique la tâche des autorités fiscales pour lutter contre la fraude à l'intérieur du pays, et pénalise l'image d'un pays qui n'a pas encore convaincu le reste de la planète de la sincérité de son atachement aux nouveaux principes.

Alors que le secret bancaire a permis pendant des décennies à la place financière de prospérer au détriment des fiscs étrangers, il ne va plus faire qu'une victime, le contribuable suisse, qui devra payer pour les fraudeurs que le maintien du secret va continuer de protéger. Alors que les budgets se serrent partout, aussi bien à la Confédération et dans les cantons, l'absurdité de la démarche n'échappe à personne.

Le plus aberrant est que l'initiative n'aura, au mieux, qu'un effet très limité, voire aucun effet du tout. Les gros fraudeurs, qui soustraient plus de 300'000 francs, sont poursuivis pénalement, procédure qui permet déjà la levée du secret bancaire. Quant aux petits, il leur est de plus en plus difficile de dissimuler des revenus, tant les moyens de contrôles du fisc se sont développés!

Au mieux, donc, un tel texte ne peut que profiter à quelques avocats, notaires et banquiers peu scrupuleux du bien public et enchantés de vendre un secret bancaire largement vidé de sa réalité. Et qui sont minoritaire: les associations professionnelles, à commencer par l'ASB, sont opposées à ce texte.

La décision du National ressemble à une tentative inutile de prendre une revanche sur l'Histoire qui, on le sait, a forcé les autorités et les banques suisses à se conformer à la transparence. Chez certains, à commencer par le banquier et conseiller national UDC Thomas Matter, père de l'initiative, cet alignement forcé n'a toujours pas été avalé. On peut faire moins puéril.