Jérusalem, nid de start-up

Lorsqu’un coup de feu lui passe à proximité immédiate, la mouche est évidemment déstabilisée par le souffle de la balle. Elle opère plusieurs mouvements de rotation sur elle-même. Puis, reprenant graduellement le contrôle de ses mouvements. Elle bat ses ailes en direction de l’avant, lui permettant de retrouver une certaine assise. Cet ajustement lui prend quelques secondes, puis elle poursuit son vol. Entre-temps, chacun de ses mouvements a été capté par une caméra de très haute précision et rapidité, afin de reconstituer chacun de ses gestes. Les images serviront à mieux comprendre comment cet insecte réagit à la surprise et proportionne sa réponse.

L’ensemble des informations ainsi obtenues sur le comportement de la mouche en temps de stress alimenteront les connaissances que réunissent le professeur Yaakov Nahmias et ses collaborateurs du Micro Tissue Lab de l’Université hébraïque de Jérusalem. Sommité internationale de l’étude des tissus (vivants), des microfluides et du métabolisme, ce noiraud élancé estime que « les insectes ont encore beaucoup à nous apprendre, notamment sur la manière d’évoluer en l’air lorsque l’on a une si petite taille ». Les applications sont nombreuses, jusqu’à recréer des insectes artificiels aux usages potentiels aussi multiples qu’inattendus.

Les recherches du professeur Nahmias ne sont pourtant que l’un des domaines développés auprès de l’Université hébraïque, dont le campus aéré et agréablement boisé s’étend à l’ouest du coeur de la Ville sainte, à proximité du quartier gouvernemental. L’institution fondée notamment par Albert Einstein et Chaïm Weizmann en 1925 en abrite maints autres, dans des domaines aussi variés que la nanotechnologie, la physique quantique, la cybersécurité. Elles est même l’une des huit à avoir signé un accord de coopération avec l’université de Genève. Et elle s’apprête, d’ici la fin de l’année, à mettre un somptueux immeuble (au budget proche de 100 millions de francs, bien plus que projeté) signé Norman Foster, aux façades illustrant les synapses du cerveau, à la disposition du professeur Idan Segev. Ce sexagénaire aux cheveux fous dirige le Lab for Understanding Neurons,et dirige le volet israélien du Blue Brain Project, cette ambitieuse tentative de créer un cerveau synthétique dirigée depuis l’EPFL par Henry Markram.

Yaakov Nahmias, Idan Segev, leurs collègues de l’Université hébraïques et des autres institutions israéliennes (notamment le Technion à Haïfa et l’Institut Weizmann dans la grande banlieue de Tel-Aviv) sont deux des multiples projets présentés cette semaine à la délégation suisse au DLD Tel Aviv Innovation Festival, salon des start-ups numériques de la capitale économique israélienne. Elles sont avant tout les fers de lance de l’effervescente création de start-ups qui saisit Israël depuis au moins les années 1970 et qui, grâce à un ingénieux système d’encadrement des étudiants prometteurs et de financements publics et privés, permet à ce pays de rivaliser avec la Silicon Valley et les autres grands pôles d’innovation mondiaux, sinon de les dépasser.

A quelques centaines de mètres de là, la Vieille Ville, ses Lieux saints, le Mur des lamentations, l’Esplanade des mosquées. Lieux chargés d’Histoire, d’émotion profonde. Emblèmes de l’interminable conflit  entre Israéliens et Arabes. Cette proximité géographique fait enore plus ressortir le caractère désespérant de cet insoluble affrontement.

Yves Genier

Journaliste économique depuis le milieu des années 1990, historien de formation, je suis particulièrement intéressé aux questions bancaires, financières, fiscales et, naturellement, macroéconomiques et leurs conséquences politiques et sociales.